Baromètre Day One : les jeunes ont fait le mercato de 2021
Le baromètre Day One, relatif aux mouvements d’associés dans les cabinets d’avocats d’affaires en France en 2021, vient juste de paraître. L’occasion de mener une analyse chiffrée et détaillée du mercato de l’année passée, animé en partie par les collaborateurs ayant accédé au partnership en changeant de structure.
L’année 2021 a-t-elle été un nouveau record des mouvements des associés de cabinets d’avocats d’affaires ? Pas vraiment. Jérôme Rusak, associé du cabinet Day One qui pilote le baromètre depuis seize ans, évoque plutôt un « plateau », avec 305 mouvements recensés sur le marché français. « C’est quasiment exactement le même volume qu’en 2020, où 307 mouvements avaient été comptabilisés, retrace-t-il. Depuis 2019, les statistiques dépassent la barre des 300, alors que le plafond se situait plutôt autour de 230 mouvements annuels il y a dix ans ».
Plusieurs éléments permettent d’expliquer cette nouvelle tendance. En premier lieu, les attentes des clients. On le sait, pendant plusieurs années, les directions juridiques ont cherché à internaliser les compétences, notamment pour des questions budgétaires. Les dossiers qu’elles envoyaient hier à des cabinets d’affaires sont désormais traités par leurs soins, notamment après avoir largement recruté d’anciens avocats. Par conséquent, les clients cherchent aujourd’hui des compétences extrêmement pointues chez leurs conseils externes, c’est-à-dire celles qu’elles ne possèdent pas au sein de l’entreprise. Et les cabinets l’ont bien compris. Rares sont les associés à se présenter simplement avec le titre « associé en droit des sociétés ». Aujourd’hui, les titres à rallonge, très précis et privilégiant la tournure anglaise, sont de mise. Ces attentes très spécifiques des clients ont eu, pour conséquence, la multiplication des créations de cabinets de niche ultraspécialisés.
La multiplication des boutiques
Depuis deux ans, environ 27 % des arrivées d’associés ont lieu dans des cabinets nouvellement créés, soit 1 mouvement sur 4. Ces nouvelles structures témoignent du dynamisme du marché français, mais aussi de l’élargissement de l’offre. L’enquête révèle que les annonces d’ouverture de boutiques se sont enchaînées durant les quatre derniers mois de l’année, avec bien souvent des positionnements extrêmement spécialisés. Rappelons par exemple l’ouverture du cabinet Qolumm, dédié au droit des produits alimentaires et de grande consommation (Cf. LJA 1505), mais aussi d’Adveniat Avocat, qui se concentre sur le droit douanier, la fiscalité énergétique et environnementale et les contributions indirectes (Cf. LJA 1506), ou encore de Life Avocats, spécialisé en santé numérique et sciences du vivant (Cf. LJA 1504). Notons que, bien souvent, ces boutiques sont installées en régions et portées par des associés formés dans de grandes maisons, ayant finalement décidé de prendre leur indépendance quitte à faire régulièrement la navette vers la capitale. Une conséquence, sans doute, de ces derniers mois de pandémie ayant engendré une remise à plat des modes de vie. « Parmi les 83 mouvements qui ont lieu vers ces nouveaux cabinets, 41 étaient des femmes, soit 1 mouvement sur 2 », précise par ailleurs Jérôme Rusak.
Ces nouveaux cabinets constituent en outre une voie royale pour permettre aux collaborateurs de changer de statut et devenir associé. L’enquête révèle que 37 % de ces collaborateurs ont en effet rejoint des structures créés en 2021 ou fondé eux-mêmes un cabinet. Car pour les avocats qui souhaitent donner un nouvel élan à leur carrière, ou passer une autre étape, il existait auparavant deux voies : l’association en cabinet, ou le passage en direction juridique. Cette dernière voie semble désormais plus difficile car, d’après les chasseurs de têtes interrogés par la rédaction, les entreprises peinent à s’aligner sur les rémunérations parfois élevées proposées par certains cabinets installés à Paris. Difficile pour un collaborateur, ayant 8 ou 9 ans d’expérience, d’abandonner 50 % de sa rémunération pour rejoindre une direction juridique. Dès lors, ces seniors n’ont plus vraiment d’option : jouer des coudes pour accéder à l’association dans un cabinet, quitte à ne jamais y arriver, ou bien fonder le leur.
Le recrutement latéral à l’honneur
Faut-il y voir un lien de conséquence ? Jamais autant de cabinets n’avaient recueilli de nouveaux associés via un recrutement latéral. « Quelque 173 cabinets différents ont accueilli au moins 1 associé en provenance de l’extérieur, soit une hausse de 8 % par rapport à l’année précédente », précise Jérôme Rusak, qui qualifie l’année 2021 d’historique sur ce point. Si en 2020, 65 % des mouvements ont classiquement concerné des avocats déjà associés dans leur ancienne structure, cette donnée est tombée à 54 % en 2021.
Parmi les cabinets qui ont le plus recruté cette année d’associés de l’extérieur : Lacourte Raquin Tatar, Moncey Avocats, Squair et Earth Avocats. Ces deux derniers cabinets sont ceux qui ont le plus favorisé le recrutement latéral de collaborateurs pour les faire accéder à l’association en les accueillant dans leur structure. En tout, ce sont 39 % des mouvements d’associés qui ont concerné ce type de profils, ce qui « constitue non seulement un record historique en pourcentage mais également en volume avec 118 mouvements, contre 105 en 2019 », indique l’étude.
La proportion est encore plus impressionnante pour les femmes, qui bénéficient du mercato comme levier promotionnel : 43 % des mouvements féminins concernent des collaboratrices devenues associées en changeant de cabinet. Et cette année, le baromètre Day One est entré dans les détails en recherchant les structures qui ont le plus recruté de femmes. Ce sont les cabinets Squair, Adaltys, Desfilis, Earth Avocats et Racine qui sortent du lot. « Parallèlement, les cabinets qui ont le plus alimenté les autres structures en associés femmes sont Fidal, DLA Piper, CMS Francis Lefebvre et DS Avocats », ajoute l’enquêteur.
Après 2019, l’année 2021 est le deuxième record du nombre de mouvements féminins avec 127 répertoriés, soit 42 % du total des changements observés. Parmi ceux-ci, ce sont les compétences sociales qui sont les plus recherchées chez les associées (64 % des mouvements). Suivent, derrière, le M&A et la finance, avec une tendance à l’augmentation des recrutements de femmes spécialisées sur les sujets de conformité ou de données personnelles.
Corporate, concurrence/distri et immobilier, les expertises les plus recherchées
Plus globalement et sans grande surprise, c’est la pratique corporate/M&A qui génère le plus de mouvements d’associés (24 %). Compte tenu du marché extrêmement actif, le private equity est également à l’honneur avec 35 mouvements d’associés spécialisés (2e chiffre historique après 2019). Mais ce sont plusieurs autres expertises qui ont battu le record de mouvements d’associés en 2021. D’abord la concurrence, consommation, distribution (34 changements), autrement appelé droit économique. Rappelons par exemple la création du cabinet Bodari Avocats par Inès Daulouède et Romain Bourgade, anciens de DS Avocats (Cf. LJA 1508). Le droit public des affaires (31) et l’immobilier sont également dans le peloton de tête des expertises recherchées. « Si on y ajoute les mouvements records des experts de l’urbanisme et de l’environnement, on voit émerger la structuration de pôles de compétences liées aux évolutions sociétales autour de grandes thématiques structurantes comme l’environnement et l’urbanisme », précise l’étude. À l’image de la stratégie mise en œuvre, au printemps dernier, par Lacourte Raquin Tatar, qui a recruté Xavier de Lesquen et Benoît Neveu, associés respectivement en environnement/urbanisme et en contrats publics (Cf. LJA 1491).
C’est en revanche la chute libre pour le droit fiscal, spécialité qui était la deuxième la plus recherchée en 2020 et qui, cette année, est en queue de peloton. Ceci s’explique sans doute par la fin de la guerre entre Fidal et KPMG Avocats et la fin des transferts entre les deux maisons. Ce serait finalement un retour à la normale pour une spécialité qui se compose d’associés assez sédentaires, qui ne cèdent pas au chant des sirènes si facilement.