Connexion

Avancees et carences de la loi confiance en la justice

Par Anne Portmann

Jeudi 23 juin 2022, le cabinet Clifford Chance a organisé un colloque, en partenariat avec l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) et le groupe professions juridiques, libérales et de conseil de Science-Po Alumni, autour du secret professionnel de l’avocat et des apports de la loi pour la confiance en la justice du 22 décembre 2021.

La table ronde était animée par Thomas Baudesson, associé du cabinet Clifford Chance, qui a délimité le sujet aux entreprises détenant des documents couverts par le secret professionnel. Il a rappelé que, depuis 30 ans, se posait la question de l’étendue de la protection du secret professionnel de l’avocat, comme conséquence de la fusion de la profession d’avocat avec celle de conseil juridique. Sur cette période, on a assisté à l’essor de la fonction de juriste d’entreprise dans les sociétés, qui s’est transformée au fil du temps, passant du contentieux au conseil, de l’oral à l’écrit, puis au numérique. En dépit du texte de 1990 sur la protection du secret professionnel, qui a été intégré à l’article 66-5 de la loi de 1971, la chambre criminelle résistait, à l’occasion de saisies fiscales effectuées chez d’anciens conseillers juridiques, jugeant que cette protection ne pouvait jouer en matière de conseil. Cette opposition persistante entre magistrats et avocats a conduit à l’adoption de la loi du 22 décembre 2021, dans la foulée de l’affaire Bismuth et de celle des fadettes. Le texte renforce la protection du secret professionnel dans la procédure pénale et met l’accent sur la distinction entre les éléments couverts par le secret relevant de la défense dans un contentieux et ceux qui relèvent du conseil. Mais concrètement, quels sont ses apports ?

Un cadre pour les perquisitions en cabinet d’avocats

Camille Potier, déléguée du bâtonnier de Paris et associée du cabinet Chatain & Associés, a d’abord livré quelques chiffres, révélant qu’en 2017 (année qui était dans la moyenne), à Paris, les perquisitions avaient concerné 23 avocats, dans 32 lieux, et avaient donné lieu à 12 contestations devant le juge des libertés et de la détention (JLD). L’Ordre de Paris est en train d’analyser les données pour distinguer entre les trois motifs identifiés de perquisitions auprès des avocats : celles motivées par l’activité professionnelle de l’avocat, en sa qualité de défenseur d’un client, celles visant ses activités personnelles et, enfin, celles qui posent véritablement problème - que Camille Potier surnomme les « perquisitions-marché » - occasionnées par la recherche dans le cadre d’une enquête en cours de documents détenus par l’avocat et confiés par le client en dehors de toute procédure. Camille Potier observe que ces dernières, les plus contestables, tendent à diminuer. « On revient à un usage plus conforme de la perquisition », note-t-elle.

De l’étendue du secret professionnel

Camille Potier rappelle que les magistrats considèrent que si les avocats sont soumis aux règles du secret professionnel, à la fois pour leur activité contentieuse et de conseil, le secret professionnel n’est en revanche pas opposable aux enquêteurs. Une distinction a toujours été opérée entre le secret professionnel relevant du champ de la défense et celui portant sur l’activité de conseil de l’avocat. « Les documents relevant de l’activité de la défense ont toujours posé moins de difficultés, mais il n’y avait pas de règle. C’était réglé au cas par cas en cas de contestation de la saisie devant le JLD », explique-t-elle. L’avocat salue l’introduction, par la loi du 22 décembre 2021, entrée en vigueur le 1er mars, d’un recours contre les décisions du JLD. La loi confiance a le mérite, selon elle, d’avoir clarifié la notion de secret et d’avoir introduit, dans le code de procédure pénale, une distinction expresse entre le secret de la défense et celui du conseil. Ce texte introduit par ailleurs la possibilité, pour les entreprises perquisitionnées, de contester devant le JLD la saisie dans leurs locaux de documents qu’elles estiment couverts par le secret. Vincent Nioré, vice-bâtonnier de Paris, pointe quant à lui les imperfections de cette loi, issue des travaux de la commission Mattei, dans laquelle les magistrats étaient majoritaires. « Il y a un travail à faire du côté des juristes d’entreprise pour leur apprendre à contester les saisies », annonce-t-il, estimant que les magistrats auraient dû accepter la présence de l’avocat en perquisition, aux côtés du client. Rappelons en effet que cette disposition, acceptée par le Sénat, avait été retoquée par l’Assemblée nationale. La réticence, explique-t-il, viendrait surtout des magistrats instructeurs, marginalisés par les réformes actuelles. « Avec les représentants du parquet, le dialogue est plus franc. Ils sont habitués à notre présence lors des perquisitions administratives et sont ouverts à la justice négociée », observe-t-il. Le vice-bâtonnier pointe également la confusion de la loi et sa circulaire d’application, qu’il qualifie de « scélérate » et qui, selon lui, défait la protection supplémentaire du secret professionnel accordée par la loi.

Repenser le systeme

Aurélien Létocart, premier vice-président du PNF, a livré son interprétation de la loi du 22 décembre 2021, dont il concède qu’elle est peu intuitive. Mais, à la lumière des travaux parlementaires, il considère, à l’instar de ce qu’avait constaté Camille Potier, que si désormais le CPP garantit le secret professionnel de l’avocat, il ne le rend pas, pour autant, opposable aux autorités d’enquête. Selon lui, la loi ne précise par le degré de garantie du secret professionnel, puisque le législateur a maintenu la distinction entre le secret professionnel lié à l’exercice des droits de la défense, qui bénéficie de l’opposabilité, et le secret professionnel « simple ». Il explique que le législateur a entendu préserver l’efficacité des enquêtes et que, d’ailleurs, il a introduit une exception au caractère absolu du secret, même lorsqu’il est lié à l’exercice du droit de la défense, en matière de fraude fiscale, de terrorisme et de corruption. « C’est une importation directe du droit anglo-saxon, qui prévoit une exception au secret en cas de fraude », explique-t-il. Le magistrat va plus loin, estimant que la protection absolue du secret, en toute matière, ne pourrait être possible, en l’état actuel du droit. « Elle nécessiterait de changer entièrement de paradigme, notamment en faisant des avocats, des collaborateurs plus actifs dans des matières telles que la lutte anti-blanchiment, en sanctionnant sévèrement le mensonge, qui est toléré en France, et en introduisant des procédures de discovery, détaille-t-il. C’est une révolution culturelle que nous essayons d’initier au PNF ». Jean-Philippe Gille, président de l’AFJE, a d’abord déploré que ces dispositions aient laissé de côté les juristes d’entreprise, parents pauvres du secret professionnel, dont les écrits ne sont pas protégés alors qu’ils sont soumis à des obligations pénales. Il réclame l’instauration du legal privilege pour les 20 000 représentants de sa profession, car il estime que les avocats sont trop opposés à l’avocat en entreprise. « Il ne s’agit pas d’un pavillon de complaisance », plaide-t-il, en rappelant que « sur le vieux continent, nous avons l’adage “fraus omnia corrumpit”, qui nous oblige également et sanctionne le mensonge ». Le président de l’AFJE estime qu’il s’agit d’un outil nécessaire à la compétitivité française et que la survie de l’écosystème juridique est en jeu. « Nous avons 30 ans de retard, martèle-t-il, et sommes entourés de pays où le legal privilege existe. Qu’arrivera-t-il si demain, les directions juridiques se délocalisent » ?