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Entreprise et contentieux : les nouveaux enjeux à maîtriser

Par Ondine Delaunay

Le 26 septembre dernier, le cabinet Signature Litigation a organisé une conférence très originale au sein du Medef sur les nouveaux enjeux des contentieux que doivent désormais maîtriser les entreprises. Que ce soit face au développement des litiges de masse ou sur les nouveaux rôles de certains acteurs des contentieux, comme les autorités de surveillance ou les ONG, comment les sociétés gèrent-elles le risque ? La LJA a sélectionné quelques passages marquants des débats.

Qu’elles aient une activité internationale ou pas, les entreprises sont confrontées de façon croissante à des contentieux de plus en plus variés, qu’il s’agisse de leur fondement ou des acteurs. « Comment aborder ces contentieux, qui sont bien généralement une mauvaise nouvelle pour l’entreprise, et comment les prévenir ? », s’est interrogé Thomas Rouhette, associé du cabinet Signature Litigation, en guise d’introduction. Le développement des contentieux de masse est au cœur des préoccupations des entreprises européennes. À l’occasion de la première table ronde de l’après-midi, consacrée à ce sujet, Pedro Oliveira, directeur des affaires juridiques de Business Europe, a rappelé les données publiées par CMS dans son rapport annuel sur l’action de groupe. « L’augmentation du nombre d’actions de groupe est importante depuis 5 ans en Europe. Ce type de contentieux a quasiment doublé et les secteurs affectés se multiplient », a-t-il indiqué. En France, c’est la loi Hamon du 17 mars 2014 qui a installé cette nouvelle forme de contentieux qui s’est progressivement étendue au secteur de la santé, à la discrimination et aux relations de travail, aux dommages environnementaux et aux données personnelles.

Une tentative de mécanisme européen harmonisé a ensuite été prévue par la directive relative aux actions représentatives pour la protection des intérêts collectifs des consommateurs en 2020. « Quasiment tous les pays européens ont aujourd’hui transposé le texte », a indiqué Maria-José Azar Baud, maître de conférences en droit privé et avocate spécialisée en class action (agissant pour le compte des consommateurs). Bien sûr, des actions transfrontalières vont se développer en Europe, avec un risque qui pèse de plus en plus lourd sur les entreprises. Mais à la différence d’autres pays européens, les résultats sont encore décevants en France du point de vue des consommateurs. « Depuis la promulgation de la loi française, il n’y a eu en moyenne que 4 actions de groupe par an, sauf en 2023 et 2024 où il n’y en a eu aucune », a précisé l’avocate. La loi Hamon est-elle un dispositif suffisant ? « Pas du tout », a lancé Maria-José Azar Baud. L’avocate recommande le développement du third party funding qui permettrait de financer ce type de litiges, particulièrement long et onéreux pour une association de consommateurs. Elle suggère également de modifier le système d’opt-in qui oblige les consommateurs à adhérer pour être indemnisés, par un modèle d’opt-out comme c’est le cas à Chypre, en Bulgarie ou en Slovénie. Mais Pedro Oliveira de souligner « le risque d’abus inhérent à l’opt-out, qui n’est pas une tradition en Europe ». Et s’agissant du financement par les tiers, il recommande que l’Europe s’intéresse d’abord à la régulation de ces services financiers très particuliers1. Pour Marianne Bardant, directrice des affaires juridiques et conformité de Leem (organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France), « l’idée de massifier des actions pour des situations personnelles souvent très différentes n’a pas de sens ». Elle s’interroge également sur le cadre judiciaire français : « Est-il capable d’accueillir des contentieux de masse alors qu’il est déjà sous tension ? » Et du côté des entreprises, comment intégrer ce risque dans sa pratique et dans sa stratégie d’innovation, notamment dans le secteur de la santé ? « La question de la compétition entre les territoires ne doit pas être négligée », a rappelé la directrice juridique.

L’influence croissante de nouveaux
acteurs dans les contentieux

Par-delà la vigilance des associations de consommateurs, les entreprises et leurs activités sont également scrutées par les autorités de surveillance de marché, ainsi que par les ONG. Que recherchent ces acteurs ? « Sont-ils des adversaires, des aiguillons ou des partenaires pour l’entreprise », s’est interrogée Sylvie Gallage-Alwis, associée de Signature Litigation, pour lancer le débat. Pour Christophe Mistral, directeur juridique litigation & compliance du groupe Renault, certaines autorités peuvent être considérées comme des partenaires de l’entreprise. À l’image de l’AFA, de la CNIL voire, dans une certaine mesure, de l’Autorité de la concurrence qui peuvent avoir une démarche pédagogique à l’égard des entreprises grâce à la publication de guides ou de sites. « Des ONG comme WWF ont une relation exigeante mais fructueuse avec le temps », a-t-il poursuivi. Mais pour le reste, « les autorités sont rarement dans un rapport de conseil et de soutien. Quant à certaines ONG, elles sont dans un comportement de pure sanction ». Pour Pierre Chalançon, vice-président affaires réglementaires de Vorwerk, « les ONG sont des aiguillons des pouvoirs politiques, pas des entreprises. Elles cherchent avant tout à obtenir des changements réglementaires grâce à des campagnes coordonnées au niveau européen qui sont très efficaces ».

Philippe Guillermin et Laurent Jacquier, qui représentaient la DGCCRF, ont assuré que la dimension de partenaire des autorités publiques prenait de l’ampleur. Ils ont évoqué la diffusion des lignes directrices, des FAQ et le développement des rescrits. Pour autant, ils ont également assumé le développement de la pratique du name & shaming « pour donner une plus grande efficacité à notre action ». Laurent Jacquier a même indiqué : « Ce sur quoi on ne communique pas n’existe pas. La publicité est indispensable. » Et de rappeler le pouvoir de communication du ministre des Finances sur une procédure en cours, à l’image de l’intervention récente de Bruno Le Maire dans le conflit qui oppose Carrefour à une partie de ses franchisés. « C’est un moyen efficace de faire évoluer les pratiques avant même que la sanction ne soit prononcée », a-t-il été lancé par le représentant de la DGCCRF. Une appréhension tout de même un peu particulière du partenariat. 

Notes

(1) La Commission européenne envisage une proposition législative pour réglementer le financement de contentieux par les tiers.