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ELTIF pour moderniser les FIA français

Par Ondine Delaunay

L’ordonnance ELTIF, portant modernisation du régime des fonds d’investissement alternatifs, est parue le 3 juillet 2024. Elle apporte un certain nombre de changements essentiels dans le secteur du private equity pour moderniser les outils des gérants de fonds. Caroline Steil, directrice policy, juridique et fiscal de France Invest, a animé un groupe de travail incluant les membres des comités juridique et fiscal de l’Association1, qui a été moteur dans la rédaction de ce texte en lien avec le Trésor, la Chancellerie et l’AMF. Explications.

Quel est l’objectif de cette ordonnance ELTIF ?

Elle vise à moderniser les outils des gérants de fonds d’investissement de long terme pour les rendre aussi compétitifs que ceux de nos voisins européens. En effet, à la suite de l’entrée en vigueur, le 10 janvier dernier, du règlement européen ELTIF 2, permettant notamment à un fonds d’un État membre d’être commercialisé auprès du grand public dans d’autres pays de l’UE, il devenait essentiel pour les gérants français d’avoir, face à cette ouverture à la concurrence, des fonds ayant les mêmes avantages que les autres

Le texte est divisé en trois chapitres.
Le premier vise d’abord les fonds qualifiés
de professionnels par le code monétaire
et financier…

Ce premier chapitre permet en effet de mettre en ligne avec leurs pairs européens, les fonds professionnels spécialisés (FPS) ayant le label ELTIF et qui sont dès lors accessibles au grand public. Jusqu’à présent, ils ne pouvaient pas émettre de titres de créances et les investisseurs ne pouvaient souscrire qu’à des titres de capital, ce qui ne permettait pas une distribution régulière et programmée. Or certains investisseurs internationaux, qui investissent dans un fonds de capital-investissement, d’infrastructure ou encore plus de dette privée, recherchent un rendement et non une plus-value à la sortie. La réforme permet d’offrir le choix aux investisseurs comme c’est le cas en Irlande ou au Luxembourg.

Elle a également clarifié le fait que les FPS peuvent émettre des parts traçant une partie des investissements du fonds comme des parts à profil de rendement différencié. Il est ainsi possible d’avoir une part senior, avec un retour sur investissement plus rapide mais plus limité, et des parts juniors qui auront un retour sur investissement subordonné au remboursement des premières mais qui sera plus élevé.

Autre avancée majeure : la simplification des conditions de détention de propriété des biens dans des FPS. Jusqu’alors, ces fonds avaient plusieurs contraintes pour la détention de biens, qui ne pouvaient pas faire l’objet de sûretés préalables. Il fallait également, entre autres conditions, respecter les règles de preuve de la propriété au sens du droit français, même si le bien se trouvait à l’étranger. Désormais, il n’y a plus qu’une condition : le fonds doit pouvoir démontrer la propriété par un acte conformément au droit applicable à cet acte.

L’ordonnance permet aussi la création
de la société de libre partenariat spéciale.
En quoi est-ce une nouveauté majeure ?

Pour mémoire, la société de libre partenariat (SLP) a été créée en 2015 par la loi Macron pour concurrencer les limited partnerships anglo-saxons. Dans une certaine mesure, ce véhicule a permis à la France d’être plus attractive. Néanmoins, le fait que la SLP ait une personnalité morale créée un frottement fiscal défavorable pour certains investisseurs étrangers (Canada, Belgique, Allemagne…) la personnalité juridique de la SLP étant vue par l’administration fiscale de leur pays comme rendant le véhicule opaque. Nous avons donc proposé de rendre la personnalité morale optionnelle, pour avoir la possibilité de créer des SLP avec, et d’autres, sans. Le Luxembourg a déjà cette option depuis dix ans !

C’est un changement majeur en France, qui a impliqué des modifications dans le code civil, le code monétaire et financier et le code de commerce. Le défi était d’avoir une société sans personnalité juridique capable de détenir vis-à-vis des tiers les biens mis en commun par les associés. La seule autre société sans personnalité juridique qui existait jusque-là en droit français était la société en participation. Innovation supplémentaire : la SLP spéciale est enregistrée au RCS.

Qu’en est-il des fonds non professionnels ?

Les fonds non professionnels, qui sont agréés par l’AMF, sont ceux qui sont les plus connus par les distributeurs et du grand public. Il était donc logique que l’ordonnance ELTIF les fasse évoluer, notamment au regard d’incohérences textuelles et de redondances. Mais il s’agit surtout de changements touchant aux fonds immobiliers.

Côté capital-investissement, la principale nouveauté concerne le quota juridique des FCPR avec la prise en compte des investissements dans des fonds de private equity, que ces derniers investissent directement ou indirectement en titres de capital ou donnant accès au capital de sociétés non cotées. Il est donc désormais possible d’investir dans les fonds de fonds. En outre, pour permettre aux investisseurs une meilleure diversification géographique dans leur stratégie, le fonds de fonds n’a plus besoin d’être impérativement dans l’OCDE.

Un travail réglementaire demeure.
Sur quels points restez-vous vigilants ?

Notre groupe de travail composé de membres éminents de cabinets d’avocats comme Clifford Chance (Véronique de Hemmer Gudme et Xavier Comaills), CMS Francis Lefebvre (Matias Labé), DLA Piper (Raphaël Bera), Gide (Stéphane Puel), Jones Day (Marine L’Hostis, Emmanuel de La Rochethulon et Florence Moulin), Kirkland & Ellis (Nadine Gelli et Raphaël Bloch) ou encore Linklaters (Édouard Chapellier), demeure très attentif aux travaux réglementaires à venir. Je pense notamment aux précisions attendues sur l’article 16 portant sur l’éligibilité des fonds aux FCPE. Sur les fonds non professionnels labellisés ELTIF, il faudra veiller également à ce que les règles nationales qui encadrent la composition de l’actif ne viennent pas se superposer aux règles européennes.

Dès mars 2023, France Invest a transmis à l’administration fiscale 54 pages de propositions pour faire évoluer le code monétaire et financier. Beaucoup ont été intégrées à l’ordonnance. D’autres sont d’ordre réglementaire, c’est pourquoi nous allons continuer à contribuer aux travaux de Place qui devraient reprendre dès septembre. T

Ondine Delaunay

Notes

(1) Comité juridique (Membres du Comité juridique de France Invest | France Invest) et comité fiscal (Membres du Comité fiscal de France Invest | France Invest) de France Invest

C. Steil