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Durabilité et vigilance : l’impact limité sur la responsabilité des dirigeants et des administrateurs

Par Anne Portmann

Le 22 octobre 2024, le Club des juristes a publié un rapport rédigé par un groupe de travail présidé par Didier Martin, associé du cabinet Bredin Prat, et coordonné par Olympe Dexant-de Baillancourt, professeur à l’université de Franche-Comté, sur la responsabilité civile des administrateurs et des dirigeants en matière de durabilité et de vigilance. Sophie Schiller, professeur à l’université Paris-Dauphine PSL et membre du groupe de travail en présente les grandes lignes.

Pour quelles raisons un groupe
de travail a-t-il été constitué
sur ce sujet ?

Il nous a paru assez important de se pencher sérieusement sur le sujet, car souvent, dans les médias généralistes, le sujet de l’impact des nouveaux textes sur la durabilité et le devoir de vigilance sur la responsabilité des dirigeants et des administrateurs est évoqué. Des discours alarmistes sont nourris par des intérêts divers et variés et, à les écouter, ils donnent l’impression d’un « grand soir » de la responsabilité des dirigeants. Nous avons voulu faire le point là-dessus.

Comment avez-vous travaillé ?

Ce travail n’avait rien d’évident, car les textes évoluent sans cesse. Pendant l’élaboration du rapport, nous avons travaillé sur les versions successives de certains articles et nous avons fait de nombreuses mises à jour. Les textes vont peut-être continuer à évoluer, mais nous avons néanmoins remis notre rapport et clôturé nos travaux après la publication des deux grandes directives européennes sur le sujet, à savoir la CSRD et la CS3D, qui vont rester d’actualité pendant un petit moment, au moins pendant le temps des travaux de transposition par les États membres.

Quels sont les principaux enseignements du rapport ?

Avec les membres du groupe de travail, nous avons recherché dans les textes si un régime spécial de la responsabilité des dirigeants et des administrateurs avait été instauré pour ces questions de durabilité et de vigilance. Nos travaux permettent cependant de constater la prédominance du régime classique de responsabilité des dirigeants, avec le triptyque général de la faute, du préjudice et du lien de causalité, certes avec ses spécificités propres, mais les obligations liées à la durabilité et à la vigilance ne mettent pas en place de schéma dérogatoire. En l’état actuel du droit et au regard de la façon dont les juridictions les prennent en compte, l’impact de ces nouvelles obligations sur la responsabilité des dirigeants et des administrateurs devrait rester somme toute assez limité. Cette analyse prend un peu le contrepied des discours qui prétendent que le risque de voir engagée leur responsabilité est fortement renforcé par ces dispositions.

Pour quelles raisons cet impact
est-il limité ?

Ces obligations liées à la durabilité et au devoir de vigilance s’imposent, au premier chef, à la personne morale. La responsabilité des dirigeants et des administrateurs est secondaire. En ce qui concerne les dirigeants exécutifs, le régime de responsabilité est variable, selon qu’ils ont ou non la qualité d’associés. Le plus souvent, les demandeurs sont des tiers et il faut alors engager la responsabilité des dirigeants sur le fondement d’une faute détachable des fonctions, qui est pratiquement impossible à démontrer.

S’agissant de la responsabilité des membres du conseil d’administration, elle est possible en théorie. Mais la question se pose alors de savoir s’il faut rechercher celle de tous les membres du conseil ou d’un seul, et alors à quel titre ? Cela devient compliqué. L’indice le plus sûr de l’impact limité de ces nouvelles dispositions est d’ailleurs que les cotisations d’assurance de responsabilité civile des dirigeants n’ont, pour le moment et à notre connaissance, pas augmenté. Or, on sait combien les assureurs sont vigilants pour répercuter un accroissement des risques.

Y a-t-il eu des difficultés au sein du groupe de travail ou vous êtes-vous retrouvés sur une ligne commune ?

Le président du groupe de travail a veillé à respecter une composition équilibrée au sein du groupe de travail, mais cette diversité n’a pas créé de divergences fortes en notre sein. L’un des membres du groupe de travail, François de Cambiaire, a demandé à publier une note en annexe du rapport, ce qui a bien sûr été accepté, mais pour autant la position de l’auteur n’est pas en opposition avec celle des autres membres du groupe.

Le consensus entre nous est arrivé assez rapidement, en réalité. À un moment de l’élaboration du rapport, nous avons réfléchi à l’opportunité d’introduire des règles inspirées du droit étranger sur ces questions. Mais nous sommes arrivés, assez rapidement, à la conclusion qu’en l’état actuel, l’arsenal français était suffisant. 

 

Lire le rapport : https://think-tank.leclubdesjuristes.com/les-commissions/presentation-du-rapport-responsabilite-civile-des-administrateurs-et-dirigeants-en-matiere-de-durabilite-et-de-vigilance/