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Des allégations et engagements environnementaux au greenwashing

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

La Cour de cassation a organisé, mi-septembre, une conférence intitulée « Des allégations et engagements environnementaux au greenwashing : comment distinguer les engagements réels des pratiques commerciales déloyales et sanctionner les comportements insincères ? ». Synthèse des débats.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avait alerté le monde sur l’effondrement climatique, début septembre, à la suite du record mondial de températures atteint pendant l’été dans l’hémisphère nord. Face à cette situation, les entreprises multiplient les engagements volontaires, qu’elles s’attachent à faire connaître : campagnes publicitaires, labellisation zéro déforestation, certification ISO 26000, adhésion à des principes directeurs de type OCDE. Elles peuvent conclure des partenariats avec des ONG chargées de contrôler la mise en œuvre de leurs engagements, ou encore rejoindre des fédérations professionnelles dotées d’une charte éthique. Elles peuvent également coucher leurs engagements dans un code de conduite, les diffuser sur leur site internet et, plus formellement, les inscrire dans leurs statuts et prétendre à la qualité de société à mission. Enfin, elles ont la faculté d’imposer leurs engagements à leurs cocontractants à travers des clauses de RSE.

Si faire valoir publiquement un engagement environnemental fait entrer cette démarche responsable dans le maillage du droit, dans quelle mesure ces engagements facultatifs libres en la forme sont-ils créateurs d’obligations juridiques ?

Pauline Abadie, maître de conférences en droit privé à l’université Paris Saclay, rappelle que l’article 1110 du code civil prévoit que « les obligations naissent d’actes juridiques, de faits juridiques ou de l’autorité seule de la loi. Elles peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui ». Chacun de ces quatre fondements peut justifier la force obligatoire des engagements environnementaux.

Ainsi, les obligations nées de faits juridiques sont sanctionnées par le droit de la responsabilité extracontractuelle, celles nées de l’autorité de la loi renvoient au texte sur le devoir de vigilance de 2017. Les engagements créateurs d’obligations volontaires relèvent, quant à eux, d’actes juridiques, d’une part, et de la promesse d’exécuter un devoir de conscience, d’autre part.

Les engagements contractuels

Lorsque l’engagement de RSE a été expressément contractualisé par les parties, deux possibilités sont envisagées. Premièrement, celle d’un contrat commercial classique : l’engagement de RSE prend alors la forme d’une clause. Sa méconnaissance va déclencher toutes les sanctions envisagées par l’article 1217 du code civil, c’est-à-dire l’exécution forcée, la résolution et la réparation des conséquences de l’inexécution.

D’autres types d’accords existent, dont l’objet porte intégralement sur la mise en place d’une stratégie RSE. Ces accords sont qualifiés de sui generis de RSE, n’entrant dans aucune classification des contrats connus. Outre leur objet particulier, ils ont pour spécificité de mettre autour de la table l’entreprise et ses parties prenantes (ONG, organismes de recherche, établissements publics, fédérations professionnelles, etc.). L’accord de remédiation, conclu en 2013, entre l’association Sherpa et le groupe Bolloré à l’issue du Point de contact national français, à l’occasion de circonstances spécifiques, qui fait l’objet aujourd’hui d’une action en exécution devant le tribunal judiciaire de Nanterre entre dans cette catégorie. Pauline Abadie souligne que plusieurs questions sont soulevées par la requérante à l’occasion de cette procédure, certaines relevant du droit commun des contrats, tandis que d’autres sont plus spécifiques à ce type d’accord sui generis. Aucune décision n’a encore été rendue sur le fond.

En dehors des cas où l’engagement de RSE a été expressément contractualisé, son existence peut être contestée. « Le rôle du juge est ici extrêmement important, parce qu’il va soit faire entrer l’engagement dans une catégorie juridique connue, soit forcer le contrat pour y faire pénétrer des obligations qui n’ont pas été expressément souscrites par les parties, explique Pauline Abadie. Il pourrait par exemple parfaitement assimiler un engagement RSE affiché sur un site internet à un message publicitaire et le faire entrer dans le champ contractuel, dès lors que, suffisamment précis et détaillé, l’engagement a déterminé le consentement du cocontractant ».

Mais qu’en est-il lorsque le contenu du contrat est contraire à des normes ou à des principes de RSE ? Pauline Abadie s’appuie sur un arrêt de la Cour de cassation, de février 2019, publié au Bulletin (civ. 1re, 6 février 2019, 17-20.463). La première chambre civile a confirmé l’annulation d’un contrat pour illicéité de son objet au regard d’un code de déontologie professionnelle sans valeur réglementaire (code des ostéopathes). « Le parallèle peut être aisément fait avec la RSE, considère le maître de conférences. Les normes de RSE s’appliquent dans un contexte professionnel, sont de nature 

éthique, n’ont pas de caractère réglementaire. On pourrait donc imaginer qu’un contrat ou des clauses soient annulées parce qu’elles sont contraires à un guide de l’OCDE ou aux principes directeurs des Nations unies ».

Les engagements unilatéraux

La question de l’engagement unilatéral de volonté a ensuite été évoquée. La plupart du temps, c’est par la voie d’une déclaration unilatérale à un public indéterminé que les entreprises font état publiquement d’une politique RSE. Une telle déclaration peut-elle lier l’entreprise avant même d’atteindre un consommateur ou un partenaire commercial ? Pauline Abadie déclare qu’« en dehors du droit du travail, qui reconnaît ce qu’on appelle l’engagement unilatéral de volonté, une majorité d’auteurs et de tribunaux considéraient jusqu’à présent que cet engagement n’était pas créateur d’obligations juridiques. Mais l’ordonnance de 2016, qui a réformé le droit des contrats, va peut-être changer les choses ». L’article 1110 alinéa 2 du code civil prévoit en effet que les obligations peuvent naître de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui, en l’espèce les générations futures. « Pas un jour ne passe sans que l’on ne soit alerté par un consensus mondial de chercheurs ou par une résolution unanime des Nations unies de l’inexorable altération du climat, de la perte irréversible de la biodiversité. Dès lors, adopter un comportement écologiquement responsable au-delà des exigences réglementaires s’impose comme un devoir éthique pesant sur tout un chacun et en particulier sur les entreprises. En faisant état d’une démarche RSE ou d’une ambition de neutralité climatique, il n’est pas impossible que le juge considère un jour la promesse d’exécuter un devoir comme une véritable obligation juridique engageante », estime le maître de conférences.

Protéger les consommateurs
du greenwashing

L’impact sur le consommateur n’est pas écarté de cette conférence, qui aborde la question du greenwashing. Hugo Pascal, doctorant à l’université Paris-Panthéon-Assas, a dressé un panorama des différents mécanismes juridiques susceptibles de permettre de sanctionner les allégations environnementales trop optimistes, trompeuses ou fausses. Le recours à la qualification de pratiques commerciales trompeuses semble aujourd’hui être devenu le fondement le plus développé pour rechercher la responsabilité d’une entreprise, dont les allégations ne seraient pas vérifiées dans la pratique et à ce titre pourrait indûment prétendre à des avantages commerciaux en affectant la liberté de choix des consommateurs. Promulguée le 24 août 2021, la loi Climat et résilience a d’ailleurs inscrit, aux articles 121-2 et suivants du code de la consommation, le greenwashing parmi les pratiques commerciales trompeuses.

Les avancées de la finance durable
face au greenwashing

Le rôle des organes non juridictionnels à même de jouer un rôle dans la responsabilisation des entreprises en matière d’allégations et engagement dans le domaine extra-financier a également été abordé. Si à ce jour, aucune sanction n’a été prononcée par l’AMF ou par les tribunaux français en lien avec l’information extra-financière, ce risque ne peut pourtant pas être écarté. Ce type d’actions se multiplie d’ailleurs déjà à l’étranger.

Fort d’un arsenal réglementaire considérable et exigeant en termes de finance, comment faire, en tant que régulateur, pour identifier un cas de greenwashing ? La directive taxonomie (2020/852 du 18 juin 2020) qui vise directement les pratiques d’écoblanchiment pose un problème, selon Viet-Linh Nguyen, responsable stratégie & finance durable, secrétaire du comité exécutif de la direction de la régulation et des affaires internationales de l’AMF. Selon lui, « d’une part, le texte ne parle que des produits financiers et non des services ou des entités. Ensuite, il n’évoque que l’environnement. Or la réglementation communautaire porte sur l’ESG dans sa globalité, donc le pilier social et celui de bonne gouvernance sont ici oubliés. Enfin, le texte parle de l’obtention d’un avantage concurrentiel indu. Si les allégations environnementales ne sont pas fondées, mais qu’il n’y a pas d’avantage concurrentiel, ça n’est donc plus du greenwashing ? ».

Depuis le 2 août 2022, les conseillers financiers ont l’obligation d’interroger les épargnants sur leurs préférences en matière de durabilité, c’est-à-dire sur la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux de leurs placements. Ces nouvelles questions s’ajoutent à celles qui leurs sont déjà posées en cas de consultation pour réaliser un placement. Or la définition de l’investissement durable dans le règlement SFDR (2019/2088 du 27 novembre 2019) ne définit aucun seuil quantitatif. « Elle permet à la personne qui élabore le produit financier de fabriquer sur-mesure ses petits volets ESG, avec une diversité de produits, de niveaux de verdissement qui conduit à des confusions et à des potentiels risques de greenwashing », poursuit-il. Heureusement, la Commission européenne a confié aux trois autorités de supervision financière (l’Autorité bancaire de supervision, l’Autorité européenne des marchés et l’Autorité européennes de supervision des assurances) le soin de se pencher sur la définition du concept de greenwashing et des risques associés. Trois rapports ont été rendus, posant une définition commune. Mais elle est, pour l’instant, non contraignante.