« Sensibiliser les juristes au numérique et les ingénieurs au droit »
Le 23 mai dernier, EY Société d'avocats, en partenariat avec l’AFJE, organisait les 5es rendez-vous de l’innovation pédagogique en droit. L’occasion de faire le point sur la formation des juristes et sa transformation.
Le 26 mars dernier, paraissait un article des EchosStart intitulé « Les nouvelles technologies, grandes absentes des études de droit », qui avait suscité de vives réactions dans l’écosystème de la formation initiale. Le panel réuni lors de ce nouveau rendez-vous sur l’innovation pédagogique, qui rassemblait enseignants, chercheurs, étudiants et praticiens faisait cependant mentir ce titre. Lors d’une table ronde, consacrée à la formation universitaire, les intervenants ont présenté la richesse et la diversité des programmes proposés aux étudiants en droit. Julie Chapenet, chercheuse auprès de l’université de Nice et coordonnatrice de la Fablex, explique que le Master 2 Cyberjustice, couplé au DU proposé est né dans le but de « pousser à ce que les technologies ne fassent plus peur aux juristes ». « Les algorithmes sont aujourd’hui producteurs de normes », constate la chercheuse convaincue qu’il est indispensable, pour les juristes, d’investir ces champs laissés aux ingénieurs qui parlent un langage différent. Guillaume Zambrano, également chercheur et directeur du DU Justice prédictive et Legal Tech à l’université de Nîmes partage cet avis. « Il faut évangéliser les juristes afin que cesse leur « rapport magique » à la technologie ». Et pour construire une intelligence artificielle au service des juristes, il est indispensable que ceux-ci comprennent le raisonnement algorithmique. « Moi-même, je vois désormais la matière juridique au prisme du raisonnement mathématique », confesse le chercheur. « C’est une évidence, le numérique a investi la place », constate Stéphane Prévost, co-responsable du DU Droit du numérique à l’université de Reims (anciennement DU Juristes 2.0), qui souhaite faire dialoguer juristes et ingénieurs. « Il faut sensibiliser les juristes au numérique et les ingénieurs au droit », résume-t-il. Catherine Ledig, directrice du DU Cyberjustice, à Strasbourg, souligne également que dans l’intégration de ces nouvelles technologies, il y a aussi un enjeu de compétitivité, car « le juriste est toujours le parent pauvre de l’innovation »
Innover sur la forme : enseigner autrement
Mais les intervenants insistent également sur le fait que la mutation de la formation initiale ne porte pas seulement sur le fond mais également sur la forme. Ainsi, il y a peu ou pas de cours magistraux dans les formations universitaires présentées, étudiants et apprenants sont invités à raisonner à partir de cas concrets. Procès fictifs, simulations de cyber-attaques, rédaction de véritables contrats, hackathons, serious games, voici quelques exemples de contenus pédagogiques. Guillaume Zambrano, qui invite d’ores et déjà ses étudiants à élaborer des data sets (ou des jeux de données), voudrait aller plus loin en imaginant des « simulateurs judiciaires », des dossiers entièrement virtuels, qui pourraient permettre de modéliser le comportement des juges au moyen d’algorithmes et entraîner les juristes à identifier les biais. à Nice, dans le cadre de la « semaine du jeu », organisée par l’université, un jeu de plateau a été créé. L’association Open Law rappelle quant à elle qu’en septembre prochain, elle organisera à l’Ecole des avocats de Strasbourg (ERAGE), deux jours de legal games. Cette tendance à la « gamification » se retrouve après l’université, au sein des écoles d’avocats, qui rivalisent d’imagination pour proposer aux élèves de nouveaux enseignements, plus pratiques.
Des « parcours innovants » dans les écoles d’avocats
Les 11 écoles d’avocats ont de longue date pour certaines, pris le train de l’innovation. Enke Kebede, directrice de l’ERAGE, à Strasbourg, fait figure de pionnière en la matière. Elle raconte avoir fait face à de fortes réticences de certains élèves avocats lorsqu’elle a voulu les initier au legal design et à d’autres « nouvelles matières ». Karine Losfeld, directrice de l’IXAD, à Lille, a fait le même constat. L’introduction, dans le cursus de 8 « parcours innovants », qui permettent de suivre, selon l’option choisie, des cours supplémentaires de codage ou d’une autre discipline et la perspective, qui sera concrète en 2020, de n’avoir que 2 jours de cours par semaine, le reste du temps d’enseignement étant consacré à autre chose, suscite parfois la perplexité. « Certains élèves veulent devenir avocats pour plaider comme papa », constate Patrick Delahaye, ancien bâtonnier de Lille et président de l’association des écoles d’avocats. Enke Kebede assume, de son côté, vouloir former des élèves afin qu’ils opèrent la transformation des cabinets d’avocats dans lesquels ils seront embauchés. Mélanie Parnot, co-présidente du Réseau national des incubateurs, a pointé « l’inertie » de la profession en matière d’innovation. « Sur 60 000 avocats en France, combien innovent ?, demande-t-elle. Moins de 1 % ! Il n’est pas étonnant que les jeunes ne se projettent pas dans l’avenir dans ces conditions ».