Sanctions extraterritoriales américaines : la guerre juridique est déclarée
L’Institut de veille et d’étude des Relations internationales et Stratégiques (IVERIS) et l’Académie Géopolitique de Paris ont tenu, au sein de l’Assemblée nationale, un colloque sur ce thème le 13 juin dernier. L’occasion de revenir sur la manière dont les américains utilisent leur arsenal juridique à des fins économiques, mais aussi politiques. Mais la riposte se prépare.
«Donald Trump nous a réveillés », a lancé l’ancien député Jacques Myard (LR) qui estime que si c’est Obama qui a « industrialisé le droit comme arme économique », son successeur l’a lui, revendiqué haut et fort, provoquant des réactions en Europe et ailleurs dans le monde. Pierre Lellouche, également ancien député, et co-auteur, en 2016, avec Karine Berger d’un rapport parlementaire sur l’extraterritorialité du droit américain, qui vient de signer un article sur le sujet, considère que les forces en présence sont en train de changer et que l’Europe est en train de devenir « le champ de bataille de l’affrontement entre les États-Unis et la Chine ». Il donne l’exemple de Huawei et estime que depuis son rapport le « rouleau compresseur normatif » s’est élargi, avec l’entrée en lice des russes. Pierre Lellouche, qui n’était pas prévu au programme, remplaçait au pied levé le député Raphaël Gauvain (LREM), auteur d’un rapport très attendu sur la protection des entreprises contre les procédures extra-territoriales et finalement indisponible.
Patricia Lalonde, députée européenne et membre de la commission du commerce international à quant à elle dit « le choc » qu’elle a eu en entrant au Parlement. « Les états-Unis verrouillent tout ». Selon elle, l’Union européenne passe son temps à élaborer des résolutions pour sanctionner les violations des droits de l’Homme, en particulier en Russie, ce qui peut certes être considéré comme une arme, mais « pas très efficace ». Le politologue Emmanuel Leroy a ensuite expliqué pourquoi, de son point de vue, les sanctions prononcées par l’Europe contre la Russie ont été influencées par les états-Unis qui mènent « une politique de racket et de prédation dont Mitterrand nous avait avertis ». Les participants à cette première table ronde, dont le président de l’Académie de géopolitique de Paris, Ali Rastbeen, ont ensuite évoqué la question iranienne et le retrait des états-Unis de l’accord de Vienne avec les menaces de sanctions à l’encontre des entreprises qui ne respecteraient pas l’embargo décrété par les américains.
La riposte en préparation
Une fois ces propos, davantage de nature politique, posés, l’avocat Olivier de Maison Rouge, spécialiste du droit de l’intelligence économique, a rappelé que ce qu’il était convenu d’appeler l’extraterritorialité n’était pas si nouveau et que cette « machine de guerre » existait depuis une vingtaine d’années et affectait les fleurons de l’industrie française et européenne. L’une des premières affaires étant celle de BNP Paribas, accusé d’avoir violé les lois d’embargo, qui a permis de voir comment le droit pouvait être instrumentalisé dans en cas de la guerre économique. Après le temps de la bipolarisation entre le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest, la mondialisation est venue rebattre les cartes, explique l’avocat. Le nouvel ordre mondial a conduit les états-Unis à la conquête du marché du monde, ce qui s’est juridiquement traduit par la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une seule et même norme internationale s’est alors appliquée à tous les pays et a imposé des normes de standardisation en matière monétaire, commerciale, mais aussi juridique. « Une forme d’imperium juridique » s’est alors imposée. Selon l’avocat, cela a permis aux américains de « mettre un pied dans la porte » et le droit romano-germanique s’est peu à peu effacé au bénéfice du droit anglo-saxon. « Il ne faut pas s’étonner, dès lors que ce droit se retourne contre nous, car c’est précisément le principe de la guerre économique » estime-t-il. L’avocat a ensuite révélé qu’il était en train de travailler, avec les services de Bercy, et en lien avec les conclusions de la mission Gauvain, sur un projet de texte relatif à une loi de blocage rénovée. Si ce texte voit le jour, il faudra solliciter une autorisation du ministère de l’Économie et des Finances pour transmettre des informations à une autorité, notamment étrangère, a révélé l’avocat, sous peine d’une amende qui pourra atteindre 4 % du chiffre d’affaires ou 20 millions d’euros, une sanction que le gouvernement espère assez dissuasive pour contraindre les opérateurs économiques. Le professeur Alina Miron, dans son intervention, a quant à elle déploré la confusion faite par les politiques entre d’une part, les sanctions extra-territoriales et d’autre part la politique de lutte contre la corruption, qui ne relève pas des mêmes mécanismes. Elle considère que les lois de blocages nationales ne serviront à rien et que seule une négociation menée au niveau international serait efficace. « Il y a une vision stratégique et juridique globale à avoir », a-t-elle conclu.