Procédure sans audience : comment y faire adhérer l’avocat et son client ?
La procédure sans audience éclipse la plaidoirie. Sa disparition programmée est critiquée par les avocats mais aussi par leurs clients. Pourquoi ? Toute affaire ne nécessitant pas un débat oral, comment l’avocat peut-il convaincre son client d’y renoncer ? Comment peut-il se convaincre lui-même ? Et si la solution reposait simplement sur un renouveau des relations de collaboration entre avocats et magistrats…
Selon l’article 21.1.1 du règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN), « […] Il est du devoir de l’avocat non seulement de plaider la cause de son client mais aussi d’être son conseil ». Il semble que depuis la réforme de la procédure civile de 2019, généralisant la procédure dite « sans audience » (PSA), il soit porté atteinte au respect de la mission de l’avocat qui « est une condition essentielle à l’État de droit et à une société démocratique » (art. préc.). Les objectifs poursuivis sont de faire face à un manque de moyens du service public de la justice, et de permettre le désengorgement des tribunaux. Le recours à une PSA relève, en principe, de l’initiative des parties et de leur accord exprès (COJ, art. L. 212-5-1). Cette décision est le fruit d’une réflexion stratégique entre l’avocat et son client. Déposer le dossier met fin à toute possibilité pour l’avocat de plaider, de soumettre à l’épreuve du juge ses talents oratoires pour défendre son client et remporter le procès.
La plaidoirie : un élément essentiel des droits de la défense
L’absence de plaidoirie est fortement décriée par les avocats mais aussi par une certaine typologie de clientèle : les dirigeants de TPE-TPI ou PME-PMI, particulièrement. « Ils sont impliqués autant qu’ils pourraient l’être dans un dossier personnel. Ils attendent une prestation intégrale de qualité couvrant la phase écrite et orale, ce qui inclut la plaidoirie qu’ils considèrent être un élément du dossier. La plaidoirie c’est la présentation de vive voix de l’aboutissement d’un raisonnement intellectuel, lorsqu’aucune solution amiable dans le processus de mise en état du dossier n’a été trouvée », énonce Norbert Gradsztejn, avocat d’affaires chez NGA. Même constat du côté de Justine Charbonneau, avocate experte en droit social chez Justine Charbonneau Avocat : « Mis à part en appel où l’écrit est devenu le principe, dans la procédure prud’homale, c’est la plaidoirie qui fait quasiment tout le dossier et les employeurs de TPE-PME y sont attachés. Elle caractérise la relation de confiance entre l’avocat et le client – l’intuitu personae – et le travail réalisé ensemble. Elle apporte au juge un éclairage contextuel et humain du dossier ». Pour Mathilde Lefranc-Barthe, associée en contentieux du cabinet international Winston & Strawn, la plaidoirie est « un des éléments essentiels des droits de la défense, le droit de se présenter et d’être entendu. Et la pièce de théâtre, qui est l’audience, participe au bon fonctionnement de la justice en général. Elle a un rôle social ». En quinze ans de carrière, l’avocate, qui assure principalement la défense de clients grands comptes, n’a jamais pris l’initiative de ne pas plaider : « On se laisse toujours la chance de pouvoir convaincre à l’oral et beaucoup de magistrats se servent de l’audience, non pour faire basculer leur conviction, mais pour avoir des précisions sur les écritures. Elle est utile pour tous ». On soulignera que concernant la durée de la plaidoirie, les avocats rapportent qu’il leur est demandé en début d’audience de l’estimer. La moyenne serait de quatre minutes ; le cap des dix passés, la parole serait coupée.
Alors comment l’avocat peut-il convaincre son client d’y renoncer ? À cet effet, de quels outils disposent-ils ?
La PSA : une décision stratégique reposant sur l’expertise de l’avocat
Plaider ou déposer ? La réponse est fonction de la qualité et de la complexité du dossier. « On procède à une analyse qui consiste d’abord à établir le risque de condamnation, ensuite le risque financier. Ce travail a été facilité par les barèmes Macron qui permettent à l’employeur de provisionner en cas de condamnation », expose Justine Charbonneau. Et Norbert Gradsztejn de compléter : « Un dossier simple, gagnant ou perdant, s’évalue très vite. Dans ce cas, j’explique au client que l’on ne prend aucun risque à déposer. Mais si mon confrère veut plaider, je n’y suis pas opposé. Pour un dossier complexe, j’estime qu’il faut plaider pour essayer de faire basculer la balance du côté de mon client ». Rappelons que l’évaluation repose sur l’expertise des avocats. Aucun ne recourt aux outils prédictifs actuellement disponibles sur le marché, mais qui attisent toutefois leur curiosité.
Pour définir sa stratégie, Mathilde Lefranc-Barthe aborde chaque dossier selon la technique développée par les américains Roger Fisher et William Ury dans leur ouvrage Getting to Yes : la BATNA (Best Alternative to a Negociated Agreement), en français la MESORE (meilleure solution de repli). « L’idée majeure est de sortir du conflit de position et de réfléchir en termes d’intérêts. À son arrivée au cabinet, le client est campé sur une idée, il est persuadé d’être dans son bon droit. Il est pertinent, de creuser avec lui, de chercher les sous-jacents, les intérêts et préoccupations en présence, les siens mais aussi ceux de la partie adverse. Bâtir sa MESORE c’est renoncer à vouloir moucher la partie adverse, c’est sensibiliser le client sur la durée et le coût de la procédure, c’est anticiper et estimer ce qu’il peut espérer obtenir tout en mesurant son risque, et c’est le rendre plus à l’écoute pour trouver la solution la plus satisfaisante pour lui. Quand on fait cet exercice, on est outillé, que l’on aille au contentieux ou vers un mode amiable de résolution », précise l’avocate.
Autre outil d’aide à la décision qui peut avoir pour effet de faire revenir le client (hors grands comptes) à la raison et le faire renoncer à la plaidoirie : l’argent. La PSA a ouvert la discussion des honoraires avec les clients. À leur demande, la convention est détaillée et prévoit le « avec » et le « sans ».
Le temps judiciaire joue aussi dans la stratégie. La période Covid-19, qui a élargi le champ d’application de la PSA, a renforcé le caractère ubuesque des calendriers lorsque la solution du report a été retenue par les parties. Si, pour des raisons d’ego, l’obligation de conciliation échoue fréquemment car elle arrive trop tôt dans la procédure, le temps du report a permis à certains de réenvisager un recours, initialement rejeté, à un mode amiable de résolution des différends (MARD). « Même en cas d’échec de la médiation, le client n’aura pas perdu son temps puisque la date d’audience est parfois fixée à deux ans, y compris en droit commercial. En outre, le procédé peut être moins onéreux qu’une procédure judiciaire menée jusqu’aux plaidoiries », souligne Mathilde Lefranc-Barthe.
Vers un renouveau du dialogue avocat/magistrat ?
Si l’extension de la PSA n’a fait que renforcer le sentiment des avocats d’être au fur et à mesure davantage muselés, des substituts, non prévus pas les textes, semblent s’être mis en place pendant la crise sanitaire. Certains magistrats auraient pris l’initiative d’échanger directement avec les conseils des parties : soit via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA), soit directement par mail, tout en respectant impérativement le principe du contradictoire. Devant la mort programmée et peu dissimulée de la plaidoirie, l’intervention est bien accueillie par les avocats. Ils y voient une plus forte implication en amont des magistrats qui, selon les tribunaux, découvrent parfois les dossiers à l’audience. Ils s’accordent ainsi à penser que l’allègement du rôle du juge en audience peut leur octroyer plus de temps pour les éclairer sur les arguments avancés. Et Mathilde Lefranc-Barthe de conclure : « Je reste attachée à la plaidoirie mais si ces échanges directs peuvent se généraliser, si l’on arrive à créer un dialogue avec les magistrats, à travailler ensemble, cela rendra la chose (NDRL : le « sans audience ») plus acceptable pour les clients… et pour nous ».