Première édition des Assises du droit social : les visages du Travail de demain
La première édition des Assises du droit social s’est tenue, le 20 septembre dernier, à la maison de la Mutualité. Co-organisé par l’Association les Assises du droit social, la LJA, ainsi que les magazines Liaisons sociales et Entreprise & Carrières, l’événement a été l’occasion de s’interroger sur les visages du Travail de demain. Retour sur une belle journée d’échanges et de partages.
«Cette journée se veut prospective. Notre souhait est de réfléchir ensemble aux enjeux de la transformation profonde que le Travail a amorcée ». C’est par ces mots que Jacques Berlioz, directeur de publication associé de la LJA, a ouvert la première édition des Assises du droit social. Pour favoriser les échanges entre les 700 professionnels présents, les organisateurs avaient reçu le soutien d’un spécialiste en intelligence collective, Thibault Vignes, lequel, par un agencement minutieux des tables et des chaises, a encouragé le partage d’idées, les prises de position et la concertation. Car l’objectif était bien celui-ci : décloisonner, échanger et insuffler une réflexion commune entre les communautés concernées sur les visages du Travail de demain pour permettre aux entreprises et aux organisations de s’adapter. Et c’est ainsi qu’ont été aperçus des dirigeants, des représentants syndicaux, des DRH et des avocats en grande conversation sur les bouleversements du travail. Mais aussi Myriam El Khomri et Jean-Claude Mailly, discutant les yeux dans les yeux.
Transformer les métiers
Le postulat était unanime pour la première plénière relative à « L’avenir du travail humain ». Le monde du travail évolue grâce aux nouvelles technologies et les relations au sein de l’entreprise en sont modifiées. Il est donc perpétuellement remis en question. « La légende qui met le chômage sur le dos de la technologie est la même que celle qui le mettait sur le dos de l’immigration, a lancé Nicolas Bouzou, économiste-essayiste et directeur-fondateur d’Asterès. On nous fait craindre la perte des emplois, mais les chiffres démontrent le contraire ! Les métiers ne vont pas disparaître, mais se transformer ».
Dans ce contexte, « Le droit a toujours un, voire deux trains de retard sur l’avancement des nouvelles technologies », a regretté un membre honoraire du Conseil d’Etat, présent dans la salle lors de la deuxième plénière sur « L’entreprise révolutionnée ». Il est pourtant imposé de consulter les salariés sur les orientations stratégiques de l’entreprise, l’évolution des emplois et l’introduction de nouvelles technologies. Mais, selon Bruno Mettling, président d’Orange Afrique, « le droit ne pourra être repensé que lorsque la relation de travail le sera ». Et Joël Grangé, associé de Flichy Grangé Avocats, d’insister : « Les salariés doivent prendre part à ces évolutions et le code du travail le prévoit. Peut-être même qu’un jour, la machine avec laquelle on travaille sera un élément du contrat de travail ».
Redonner du sens au travail
Les ateliers ont été l’occasion de s’interroger sur les progrès technologiques qui sont venus bousculer nos repères et poser la question du sens du travail de manière aiguë. « L’économie digitale va bouleverser les modes d’organisation du travail et suscite une anxiété réelle chez les salariés. C’est sans doute paradoxal à une époque où les gains de productivité n’ont jamais été aussi faibles », a noté Gilbert Cette, économiste. « Il faut repenser la dimension de la subordination qui n’est pas adaptée au XXIe siècle », a ajouté Denis Pennel, DG de la World Employment Confederation.
Les salariés oeuvrant surtout dans l’intérêt de leur manager de proximité, le management moderne est parfois considéré comme l’une des causes de la perte de sens. « Les chefs doivent expliquer et donner du sens, a soutenu le Colonel Cyrille Becker, Chef de bureau de la Direction des Ressources Humaines de l'Armée de terre. Nous avons, par exemple, développé un argumentaire pour expliquer aux personnes qui s’engagent sur les zones de combat pourquoi elles vont sur des opérations Vigipirate ». La perte du lien social et la réduction du temps d’échange auraient également participé à l’altération de cette notion. Mais Frédérique Giavarini, directrice des ressources humaines de Fnac-Darty, de s’interroger : « La question du sens du travail n’est-elle pas une question de riches ? ». Philippe Rodet, médecin urgentiste, auteur, fondateur et dirigeant de Bien-être et Entreprise, a pour sa part expliqué : « Le besoin de se sentir utile est universel. J’ai réussi à remobiliser des jeunes en difficulté en leur proposant des missions humanitaires ». Les nouvelles générations ont en effet de nouvelles aspirations quant à la valeur morale de leur travail qui ont un impact certain sur l’organisation de l’entreprise. « On voudrait nous faire croire que réussir sa vie professionnelle, c’est réussir sa vie tout court, a lancé Jean-Luc Molins, secrétaire général d’UGICT-CGT. Mais il faut un équilibre ». Or la frontière serait parfois difficile à trouver, notamment avec le télétravail qui peut engendrer un risque de désorganisation lorsqu’il concerne plus de 30 % de l’effectif. Il fait en outre craindre un isolement. « Comment créer du lien social ? Se retrouver n’a pas de prix mais a un coût », a soulevé une intervenante lors de l’incubateur sur les nouvelles formes d’emploi. Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de Dialogues, a également relayé les craintes d’un DRH dont les jeunes employés arrivent le matin à 11 heures, mais quittent leur poste le soir tard. Comment le justifier en cas de contrôle de l’inspection du travail ?
En matière de rémunération, les évolutions ont également été débattues. Les jeunes sont attentifs aux nouvelles formes de salaire, qui ne sont pas forcément d’ordre financier, mais plutôt constituées d’avantages « non tangibles passant par l’autonomie dans le travail ou par des leviers de reconnaissance », comme l’a expliqué Charles-Henri Besseyre des Horts, Emeritus Professor de HEC et président de l’AGRH. Et Anne Lemercier, associée du cabinet Clifford Chance, d’ajouter : « Les jeunes ont beaucoup d’attentes en termes d’actionnariat salarié, qui leur permet de s’impliquer dans le projet de l’entreprise ». Si la France est déjà championne d’Europe de l’actionnariat salarial, la loi PACTE devrait encourager, encore plus, son développement.
Faire preuve de créativité
« Le droit ne doit pas être campé sur ses positions anciennes et doit tenir compte des évolutions sans les renier », a lancé théâtralement le professeur Antonmattei. Quel doit être aujourd’hui le vrai critère de différenciation entre un salarié et un indépendant ? Si l’état de subordination semble retenir les faveurs des tribunaux, proposition a été faite de retenir le critère de la dépendance économique à l’image de ce qui existe en Espagne. Et pourquoi ne pas faire émerger un droit de l’activité qui constituerait un bloc commun de règles fondamentales du travail ?
« Le besoin de création de normes adaptées à l’entreprise est constant, a expliqué Pierre Bonneau, associé de CMS Francis Lefebvre Avocats, lors de la troisième plénière qui portait sur La négociation collective à l’épreuve des nouvelles formes de travail. On essaye de calquer des statuts de pseudo-salariés sur des indépendants. Mais c’est du bricolage. Il faut repenser les statuts ». Les syndicats ont d’ailleurs fait leur mea culpa, reconnaissent s’être trop institutionnalisés au détriment de la proximité avec les employés. « Si l’on veut miser sur l’intelligence collective, il faut changer la façon dont on appréhende la négociation collective et associer les employés dès le départ », a souligné Alexis Masse, secrétaire confédéral de la CFDT. Car une chose est sûre : la matière se démocratise. « Le droit du travail est en train de traverser la rue », a résumé Jean-Marc Albiol, associé d’Ogletree Deakins.