Management du cabinet : les femmes prennent les manettes
Depuis cinq ou six ans, des associées-femmes sont de plus en plus régulièrement nommées au poste de managing partner. Bien sûr tous les cabinets n’ont pas encore passé le cap. Certains ne s’étant d’ailleurs toujours pas résolu à la parité dans les rangs d’associés. Mais même des structures historiquement marquées par le poids des testostérones masculines, ont fini par élever une associée à ce rang. Ainsi en est-il notamment d’Isabelle Cheradame chez Scotto Partners depuis un peu plus d’un an, ou encore, très récemment, d’Emmanuelle Henry chez Weil Gotshal & Manges.
Il y a dix ans, les rares femmes managing partners de cabinets étaient souvent des associées de caractère, des meneuses, avec un tempérament pour le moins volontaire. On se souvient bien sûr de Frédérique Dupuis-Toubol qui a mené Bird & Bird pendant de longues années, avant que soit mis en place un mode de gouvernance plus collectif. Son rôle, elle le définissait alors comme celui d’ « animer la collectivité pour poser les bonnes questions au bon moment parce que, aspirés par le quotidien, certains peuvent oublier de réfléchir sur le développement de l’activité du cabinet ». Rappelons-nous également de Marina Cousté, managing partner du bureau parisien de Howrey au temps de la gloire.
Faire passer des étapes au cabinet
À cette même époque, les femmes qui étaient nommées managing partner avaient souvent pour mission de faire passer des étapes structurantes au cabinet. On recherchait alors en elles leur sens de l’organisation, de l’intégration, leur capacité à aplanir les égos. Ainsi Loraine Donnedieu de Vabres avait porté ce titre chez Jeantet, après le départ de Georges Terrier pour Davis Polk. À l’image de Frédérique Dupuis-Toubol, Loraine Donnedieu de Vabres est une mère de famille nombreuse, donc rompue à la « gestion des équipes » à la maison, comme au bureau. Énumérer leurs tâches quotidiennes sur une fameuse « to do list » ne les a jamais inquiété. Pour mener la fusion entre Hogan & Hartson et Lovells en 2010, c’est également une femme qui avait été choisie : Marie-Aimée de Dampierre. Bien sûr, au début, elle était co-managing partner avec James Vaudoyer. Mais après la vague classique de départs d’associés -qui s’est d’ailleurs révélée finalement assez restreinte – elle était restée seule à ce poste. « C’est véritablement au moment d’une fusion que le managing partner doit jouer un rôle moteur », expliquait-elle alors. Force est de reconnaître qu’elle a été le moteur du bureau parisien pendant tout de même huit ans, jusqu’à être promue Regional managing partner EMEA en 2018. Xenia Legendre lui a succédé à Paris. Mené par le calme et l’assurance de l’associée fiscaliste, le bureau français s’est considérablement transformé depuis pour passer, là encore, à une nouvelle étape. Dans des cabinets de plus petite taille, cette mission d’organisation a également parfois été dévolue à une femme. En 2016, Sabine Lipovetski a ainsi été chargée de manager la transformation de Kahn & Associés en Harlay Avocats.
Une capacité d’entrainement des équipes
Virginie Jubault, associé du cabinet de conseil en communication Avocom est également experte en management de cabinets. Elle explique que « pendant longtemps, les femmes ont contribué à se mettre des barrières pour accéder aux postes de management. Elles sont désormais partiellement levées notamment parce que les structures comptent désormais en moyenne plus de collaboratrices que de collaborateurs. Celles qui n’ont pas froid aux yeux et ont confiance en elles ont une autoroute pour se développer et prendre la tête d’un cabinet d’affaires ». On pense ainsi à Denise Diallo chez White & Case, ou à Olivia Rauch-Ravisé, chez Latham & Watkins. Et l’experte d’ajouter : « Le plafond de verre, on se le met beaucoup soi-même. Tout est histoire de posture. » Car finalement, c’est aussi une capacité à savoir entraîner les équipes que l’on recherche dans un profil de managing partner. Ne nous mentons pas, toutes les femmes ne cochent pas cette case ! Mais certaines ont la chance d’être dotées d’un sens de l’altruisme particulièrement développé. Au-delà du savoir-faire organisationnel, c’est aussi le relationnel, l’aspect humain et la rondeur qui est recherché dans le caractère féminin. Des qualités incontestables chez Mahasti Razavi, managing partner d’August Debouzy depuis deux ans. Ou encore chez Sophie Blégent-Delapille, managing partner de Deloitte Taj depuis juin 2016, qui revendique « une curiosité de l’humain » et qui gère avec efficacité un cabinet composé de 567 professionnels parmi lesquels 65 associés. Même état d’esprit pour Emmanuelle Henry, nouvelle managing partner de Weil Gotshal & Manges, qui veille depuis longtemps à l’épanouissement professionnel des plus jeunes recrues et à leur recrutement. Interrogée par la rédaction, elle expliquait il y a un an : « Comme nous, ils ont la soif d’apprendre et de se former sur de beaux dossiers. Mais ils aspirent également à trouver un équilibre avec leur vie personnelle. En tant que “chef d’entreprise” d’une certaine manière, je les rejoins, c’est plus motivant de travailler à l’épanouissement de super professionnels que de se cantonner à des objectifs chiffrés. J’ai envie de les convaincre que l’on peut être heureux dans un cabinet d’avocats. » (cf. son portrait dans le magazine 62). Aujourd’hui, au sein du jeune cabinet Ollyns, c’est Anne-Laurence Faroux qui prend les manettes, alors même qu’elle n’est pas fondatrice de la structure. Son associé Cyrille Garnier explique cette décision : « Son sens de l’écoute, son goût pour le travail en équipe et sa formidable énergie mise au service de nos clients ont un véritable effet d’entrainement des équipes. Nous pensons donc qu’elle a toutes les qualités pour accompagner le cabinet dans les prochaines étapes de son expansion. » Les cabinets auraient donc finalement réussi à dépasser la question du genre, pour se concentrer sur les qualités humaines nécessaires à la mission du leader. Et tant mieux.