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L’impossible retrait unilatéral de l’associé d’une Selarl

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1392 du 08 avril 2019

Un arrêt récent complique singulièrement le droit de retrait d’un associé de Selarl. Une réforme législative serait bienvenue. Francis Teitgen, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris et associé du cabinet Teitgen & Viottolo, prend position.

Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 12 décembre 2018, a dit pour droit qu’à défaut de dispositions spéciales de la loi l’autorisant, un associé de Selarl ne peut pas se retirer unilatéralement de la société, ni obtenir qu’une décision de justice autorise son retrait, peu importe le contenu des statuts.

Ainsi, nonobstant l’existence d’une clause statutaire prévoyant un droit de retrait unilatéral, et malgré sa volonté de se retirer de la société, l’associé ne pourra y parvenir, sauf accord unanime des autres membres de la structure. Cette solution condamne aussi la pratique de certaines clauses consistant à prévoir un droit pour l’associé, en cas de retrait, à demander le remboursement de ses parts, ce qui réduit d’autant le capital de la structure. Les associés restants n’auront donc d’autre choix que d’acquérir les parts, ou d’agréer un tiers acquéreur.

Cette solution inédite est de nature à produire des conséquences absurdes pour la société elle-même. Si les associés refusent de laisser le retrayant exercer son droit de retrait, ce dernier restera évidemment associé. Or, on sait que depuis le décret 2016-882 du 29 juin 2016, un avocat peut, tout en étant associé d’une structure, exercer sa profession ailleurs.

En sa qualité d’associé de la Selarl, il se verra communiquer toutes les informations sur la vie sociale auquel son statut donne droit, il sera convoqué aux assemblées générales et il bénéficiera de sa part de dividendes. Supposons un instant que le retrayant ait rejoint une structure directement concurrente de la Selarl délaissée : il aura accès à des informations confidentielles, au grand dam de son ancienne structure et pour le meilleur profit de la nouvelle. Par ailleurs, il encaissera des revenus sur le travail de ses anciens associés sans participer d’aucune manière à la production du chiffre d’affaires. La seule solution, on l’a dit, est que les associés de la Selarl acceptent à l’unanimité le retrait de leur confrère. Mais, au plan pratique, cela n’est pas satisfaisant.

Ce qui pose question, en effet, ce n’est pas le droit de retrait, mais les conditions dans lesquelles il s’exerce. Assuré de ce que ses associés seront contraints de le libérer, le retrayant ne sera-t-il pas tenté d’avoir des exigences considérables, par exemple en ce qui concerne le remboursement de ses parts ? Ne sera-t-il pas tenté de démarcher de manière anormale la clientèle de la société ? Certes, si son comportement est fautif et qu’il cause un préjudice à la Selarl, il pourra être amené à en répondre devant une juridiction. Mais, pendant toute la durée de la procédure, il restera associé !

Cet arrêt ne saurait encourir aucune critique du point de vue théorique. En pratique, il crée plus de problèmes qu’il n’en résout. Il faut donc souhaiter une intervention du législateur. Laquelle ? Elle doit répondre à certains principes simples. L’affectio societatis  – le lien entre les associés – doit être d’autant plus authentique, s’agissant d’un cabinet d’avocats, que ses membres doivent respecter également entre eux les principes de confraternité et de délicatesse.

Comment concilier cette exigence avec la situation de fait selon laquelle un associé, qui aurait signifié à ses confrères son intention de quitter le cabinet, continue d’en faire partie sans plus vraiment lui appartenir, tout en lui livrant une concurrence d’autant plus redoutable qu’il sera informé de ses affaires ? Il faut que l’associé puisse notifier son retrait à la Selarl. Cette notification déclencherait une période de prévenance permettant à chacune des parties de préparer l’après-retrait. Le rappel du principe de la liberté de choix de l’avocat par le client impose aux parties de faire en sorte que leurs différends n’aient aucune conséquence préjudiciable pour la clientèle.

Messieurs les députés, à vos plumes !

Ordre des avocats de Paris Francis Teitgen Associé SELARL LJA1392 Cabinet Teitgen & Viottolo