Les premiers pas de la CICAP
Lors d’une conférence-débat qui s’est tenue le jeudi 12 avril dernier au Palais de la Découverte, à Paris, il a été question de la mise en place de la chambre internationale de la cour d’appel de Paris (CICAP) et de la nécessité pour les avocats et les juristes d’en faire la promotion auprès des opérateurs étrangers.
Ce débat, et c’était une première, précédait la 29e édition du prix Freshfields récompensant le meilleur étudiant juriste d’affaires.
Pour la première fois également, le cabinet d’avocats organisait cette manifestation en partenariat avec le Club des juristes. Au cours des débats animés par le professeur Nicolas Molfessis, les invités sont revenus sur la genèse de la création de la chambre internationale et la signature, le 7 février dernier, des deux protocoles d’accord mettant en place la CICAP et officialisant la chambre internationale du tribunal de commerce (V. LJA n° 1337).
Rappelant l’opportunité pour la France de mettre en place cette chambre dans le contexte du Brexit, Guy Canivet, président du Haut comité juridique de la place financière de Paris, et initiateur du projet a souligné, devant l’auditoire, que « tout n’était pas gagné », car les opérateurs juridiques français doivent penser à introduire une clause attributive de juridiction dans leurs contrats. « Il faut convaincre la place financière de Paris et les cocontractants étrangers ».
Naïl Bouricha, conseiller de la garde des Sceaux chargé de la prospective du droit a assuré, à cet égard, du soutien du gouvernement à la promotion de la nouvelle chambre. « Le ministère des affaires étrangères sera mobilisé, ainsi que les magistrats de liaison en poste à l’étranger » a-t-il assuré, révélant que la garde des Sceaux accompagnerait le président Emmanuel Macron lors de son prochain déplacement Outre-Atlantique.
Modalités pratiques
Chantal Arens, première présidente de la cour d’appel de Paris, a quant à elle révélé qu’elle venait de signer l’ordonnance mettant en place les premières audiences de mise en état devant la chambre internationale de la cour, indiquant qu’un magistrat bilingue, maîtrisant la common law, allait traiter les dossiers dès le mois de mai.
C’est par ailleurs le magistrat David Peyron, qui préside actuellement une des chambres de la cour spécialisée en propriété intellectuelle, qui prendra les fonctions de président de la CICAP. Un greffier bilingue a également été recruté. Ils devraient être rejoints par un troisième magistrat et des assistants de justice, pour lesquels un appel à candidature a été lancé. S’agissant d’une chambre, et non d’une juridiction, la magistrate conseille de faire figurer dans le contrat une clause attributive de juridiction visant la cour d’appel de Paris, suivie de la mention CICAP entre parenthèses. Pour ce qui est des premiers litiges sur lesquels la nouvelle chambre va statuer, Chantal Arens explique que dans un premiers temps, les chambres commerciales de la cour ont identifié dans leur contentieux des dossiers relevant de la compétence de la CICAP pour les rediriger vers la nouvelle chambre. « Nous aurions sinon dû attendre trop longtemps qu’un appel du tribunal de commerce arrive », a lancé Chantal Arrens, faisant allusion au faible taux d’appel devant le TC. « Les affaires qui relèvent de la compétence exclusive de la cour en matière de rupture brutale des relations commerciales, en appel de huit tribunaux de commerce, iront aussi devant la CICAP » a-t-elle précisé. La nouvelle chambre devrait donc être saisie d’une dizaine de dossiers lorsqu’elle commencera, en mai, ses audiences de mise en état. Quant aux premières audiences de plaidoiries, elles sont prévues pour le mois de septembre 2018.
Des difficultés à surmonter
Soulignant l’important rôle des juristes dans la promotion de l’attractivité de la nouvelle chambre parisienne, Stéphanie Fougou, présidente de l’AFJE a salué l’initiative. « C’est la première fois que l’on positionne le droit comme un outil d’attractivité économique », s’est-elle enthousiasmée. Elle a cependant pointé quelques difficultés tenant notamment aux préjugés tenaces sur les compétences linguistiques des français et, a fortiori, des magistrats français. Elle a également souligné que la nouvelle chambre devrait faire preuve de pédagogie dans la motivation de ses décisions pour gagner la confiance des opérateurs et qu’il faudrait communiquer, bien que le coût modéré d’une procédure judiciaire française soit un avantage, sur l’évaluation du coût de traduction des actes de procédure vers le français. La juriste considère également que dans une procédure où, selon le protocole, il sera possible pour le juge de contraindre une partie à produire l’ensemble des documents relatifs à un contrat – sans tomber dans les excès de la discovery anglo-saxonne-, il est indispensable de légiférer à la fois sur le secret des affaires et d’accorder aux juristes le privilège de confidentialité. Patrick Grandjean, avocat au barreau de Paris, et présent dans l’auditoire, a d’ailleurs fait remarquer que dans un premier temps, il serait difficile de convaincre les partenaires contractuels d’entreprises françaises de choisir ces juridictions et qu’il serait plus facile d’imposer une telle clause attributive dans un contrat entre deux opérateurs étrangers. Il a également attiré l’attention sur une jurisprudence récente de la cour d’appel, qui a rejeté les pièces en langue anglaise produites par ses clients, en dépit de leur accord sur la question. Hervé Pisani, associé du cabinet Freshfields Bruckhaus et Deringer, a assuré, de son côté, que le cabinet était motivé pour assurer la promotion de cette nouvelle chambre en France et à l’étranger. « Il y a quelques années, il était absolument inimaginable qu’en France, une procédure soit conduite, même partiellement, en anglais », a-t-il commenté. Il toutefois insisté sur la vigilance nécessaire des magistrats dans la façon de rédiger les décisions et l’importance de la rapidité des décisions à intervenir. Chantal Arens avait auparavant précisé que devant la nouvelle chambre de la cour, la date de délibéré serait fixée dès le début de la procédure ne pourrait aller au delà de six mois à compter de l’introduction de l’instance.
Helène Bourbouloux associée du cabinet FHB, qui intervenait lors du débat à quant à elle plaidé en faveur de décisions à intervenir dans le domaine des entreprises en difficulté, estimant que la France avait une carte à jouer en la matière. « Une justice rapide et pas chère est attractive pour les entreprises en difficulté », a-t-elle déclaré, rappelant que les juridictions françaises, qui avaient eu à traiter d’affaires visibles ces dernières années (Thomson, Eurotunnel, CGG) avaient plutôt bonne réputation sur ces questions.
Après la conférence-débat, le Professeur Nicolas Molfessis a décerné le prix du meilleur étudiant juriste d’affaires, qui avait été attribué, dans la journée, par un jury composé de directeurs juridiques (Bénédicte Gendry, EDF Energies Nouvelles, Elisabeth Monégier du Sorbier, La Française des Jeux, et Nicolas Huet, Eurazeo) et d’associés du cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer (Stéphanie Corbière, Stéphane Bénouville, Jérôme Philippe et Hervé Pisani).
C’est Joachim Traoré, 23 ans, actuellement élève-avocat à Paris, qui a reçu le 3e prix, récompensé d’une dotation de 2000 € et d’un stage rémunéré au sein du cabinet Fresfields.
Titulaire d’un Master 2 en droit fiscal et marchés financiers (ESCP et Paris XI) il a également un LLM de droit commercial international de l’Université de Nottingham.
Ori Enrique Ulloa Castro, 25 ans, remporte le 2e prix, avec à la clé 4 000 € et un stage rémunéré.
Titulaire d’un Master 2 en droit public des affaires (Lyon III) il est également élève avocat à Paris. Delphine de la Ville Montbazon, 25 ans est lauréate du premier prix. Outre la somme de 6 000 €, l’étudiante en Master 2 de droit des affaires européen (Paris I), déjà titulaire d’un Master 2 en droit des affaires approfondi (Lyon III) se voit offrir une proposition de collaboration.