Les cabinets organisent leur déconfinement
Le premier ministre Édouard Philippe l’a acté en fin de semaine dernière, les Français reprennent doucement le chemin des bureaux. Les cabinets ont dû anticiper un retour de leurs avocats dans des conditions sanitaires exceptionnelles. Reportage.
À Paris, même si certains cabinets ont commencé à rouvrir leurs locaux à compter du 11 mai, comme Gide, Fidal, Bersay, Allen & Overy, De Gaulle Fleurance & Associés ou encore Jeantet, la plupart attendaient les annonces du premier ministre Édouard Philippe le jeudi 28 mai pour envisager la date de leur déconfinement. Les indicateurs étant désormais au vert, ou plus exactement au orange, la profession s’organise. Le barreau de Paris a d’ailleurs diffusé, le 26 mai, un vademecum spécial de reprise d’activité. Intitulé « le jour d’après et les suivants », il traite notamment du retour dans les locaux professionnels, du redémarrage des relations avec les clients, de la remise en route des dossiers avec les juridictions, ou encore de la protection de la trésorerie. Si la plupart des cabinets reprendront le 2 juin, notamment LPA-CGR avocats, Bredin Prat, ou encore Hogan Lovells, le déconfinement sera progressif et fondé sur le volontariat. Et le recours au télétravail restera privilégié pendant encore plusieurs semaines.
Afin de faciliter le respect des mesures sanitaires, certaines structures ont organisé des roulements. C’est le cas de LPA-CGR avocats, Dechert, Bersay, Hogan Lovells, Bredin Prat, mais aussi de Jeantet. Depuis sa réouverture, seules 70 personnes par jour peuvent demeurer en même temps dans les locaux de ce dernier. Un lien a été mis en place pour que les avocats souhaitant se rendre au cabinet s’inscrivent en ligne afin de ne pas dépasser la capacité d’accueil autorisée et ainsi respecter la distanciation physique. Présenté par visioconférence à l’ensemble des membres du bureau par le national managing partner, après consultation des représentants du personnel, de la médecine du travail et du comité social et économique, le plan de déconfinement de Linklaters Paris a pour objectif de permettre à un maximum de 50 % des membres du bureau de revenir sur le site. Chez Allen & Overy, le retour au bureau se fera sur la base du volontariat et de manière limitée (30 % des effectifs maximum). Le bureau parisien de Dechert, qui a rouvert progressivement ses locaux le 18 mai, a quant à lui limité le retour, durant la première semaine, à 35 % des effectifs sur une base volontaire. Depuis, ce pourcentage est reconsidéré chaque semaine en fonction des besoins et du respect des mesures de sécurité. Reed Smith a de son côté ré-ouvert ses bureaux aux avocats depuis le 11 mai, et a prévu un retour progressif dans les locaux pour l’ensemble de ses salariés, avec un jour par semaine à compter du 8 juin, puis 2 jours à partir du 22 juin.
Des mesures draconiennes mises en place
Lors de sa séance du 12 mai 2020, le Conseil de l’Ordre a adopté une résolution qui invite les avocats à s’inspirer du protocole national de déconfinement pour reprendre l’activité dans des locaux professionnels : mesures barrières, règles de sécurité sanitaire, nettoyage renforcé, distribution de gel et de masques, signalétique dédiée… Toutes les recommandations ont été suivies par l’intégralité des cabinets. D’ailleurs, ces derniers demandent à leurs avocats d’éviter, dans la mesure du possible, les transports en commun. Afin d’encourager ses membres à préférer les moyens de déplacement individuels comme la voiture, les deux roues ou la marche, Hogan Lovells a ouvert son parking privé à tous les membres du bureau parisien, sous réserve d’une inscription auprès de l’office manager. Gide a quant à lui prévu d’autoriser tous ceux qui se déplacent à vélo à se garer dans sa cour minérale. Et, dans le parking privé de Bredin Prat, des places pour les vélos ont été ajoutées afin de favoriser son utilisation. La direction serait même en train de se renseigner sur la location de places de parking proches du cabinet, toujours dans l’idée de limiter l’utilisation des transports publics.
Dans sa résolution, l’Ordre recommande également que les rendez-vous physiques avec les clients soient limités autant que possible. Lorsqu’ils sont impératifs, Gide a trouvé une technique infaillible pour respecter les distances de sécurité dans ses salles de réunion. « Nous avons scotché une chaise sur deux, car nous avons réalisé que si nous les enlevions, les gens avaient naturellement tendance à se rapprocher, explique Frédérique Misk-Malher, secrétaire générale du cabinet. Il y aura probablement moins de réunions physiques en interne, mais aussi avec les clients, car la plupart d’entre eux ne souhaiteront pas forcément se déplacer ou continueront à télétravailler jusqu’en septembre prochain ». Chez Jeantet, les réunions internes seront limitées à 4 personnes avec respect de la distanciation sociale, tandis qu’elles resteront interdites chez Linklaters au profit de visioconférences. Celles accueillant des personnes externes au bureau seront toutefois autorisées sous certaines conditions.
Respecter les appréhensions de chacun
Pour la totalité des cabinets interrogés, la reprise du présentiel a impliqué la gestion d’une multitude de questions individuelles. Les personnes fragiles, celles qui ont de longs trajets ou des enfants non scolarisés peuvent encore télétravailler à plein temps. C’est finalement une gestion sur-mesure des équipes qui est organisée, dont la tâche revient parfois à l’associé, au responsable de département, ou encore, à l’office manager. « Nous veillons à respecter les appréhensions de chacun par rapport au coronavirus, explique Xenia Legendre. Nous privilégierons donc la souplesse et l’écoute le temps qu’il faudra ». Chez Dechert, le mot d’ordre est assez semblable : « Le retour à la normale ne se fera pas sereinement sans consultation, flexibilité et pragmatisme ».
Pour être à l’écoute de tous leurs membres, plusieurs cabinets ont d’ailleurs mis en place des initiatives intéressantes en amont de leur déconfinement. Linklaters a par exemple adressé un sondage à l’ensemble des collaborateurs et salariés du bureau, afin de connaître leurs préférences personnelles quant à un éventuel retour dans les locaux. Le taux de réponse a dépassé les 95 %. De quoi pouvoir élaborer un plan de déconfinement sur-mesure. Chez Jeantet aussi, un sondage a été réalisé pour connaître les noms des collaborateurs ayant besoin de se rendre au cabinet. Un guide a également été rédigé avec les représentants des salariés de la firme, le secrétariat général et le pôle communication visant à préciser toutes les consignes de sécurité. Chez Hogan Lovells, ce protocole sanitaire a pris la forme d’un PowerPoint extrêmement détaillé géré en partenariat avec la direction de la communication. Écouter, communiquer et expliquer, tels étaient les objectifs dans ces cabinets très structurés. Chez Gide, Frédérique Misk-Malher précise elle-aussi : « Nous avons fait un important effort de communication interne, en utilisant tous les canaux pour que les membres du cabinet comprennent bien les mesures mises en place et viennent dans de bonnes conditions ». Le cabinet Saul Associés a pour sa part choisi de traiter la question du stress post-confinement par une méthode qui a toujours fait preuve d’une certaine efficacité. Il a ainsi été indiqué que « Fabrice Epstein et Benjamin Chouai feront, le 11 juin, découvrir aux équipes du cabinet quelques excellentes bouteilles de Blanc de Noirs de la Maison Taisne Riocour (Les Riceys), distinguées par Le Point en décembre dernier ». De quoi en motiver plus d’un à repasser les portes du bureau !
Vers une réorganisation des locaux ?
« Ce qui compte c’est de donner une impulsion, de reprendre le chemin du bureau pour que la vie reprenne son cours », soutient la managing partner de Hogan Lovells. Au-delà des craintes de chacun sur ce virus, c’est la cohésion sociale de l’équipe qui doit être retrouvée. Force est de reconnaitre qu’elle a pu être mise à mal faute de rencontres, de réunions physiques et d’échanges les yeux dans les yeux. Le présentiel est-il important pour favoriser le sentiment d’appartenance à une firme ? Pour la plupart des personnes interrogées, la réponse est indéniablement positive. Pourtant la crise sanitaire a sans aucun doute fait évoluer les mentalités sur le télétravail. « Nous avons compris qu’il était possible de télétravailler tous les jours, mais je ne pense pas qu’il soit sain de le maintenir à 100 % », considère Xenia Legendre. « Le télétravail a extrêmement bien fonctionné et va se démocratiser, indique à son tour la secrétaire générale de Gide. Même les plus réticents ont été conquis. Mais le lien social est très important pour la profession et les avocats doivent pouvoir se réunir et se retrouver régulièrement dans nos locaux ». Chez Fidal, Jean-Godefroy Desmazières, associé et membre du directoire, reconnait « qu’il n’est pas exclu que le télétravail prenne à l’avenir une place différente au sein de notre organisation ». Pour autant, il n’est pas question de mettre un terme au regroupement d’équipe. Car il faut le reconnaitre, les gens sont à fleur de peau, parfois agressifs à mauvais escient car enfermés depuis trop longtemps. Il suffit de lire les réseaux sociaux où les trolls ont explosé depuis deux mois pour s’en convaincre. Ainsi, selon un sondage du CSA mené fin avril, quelque 36 % des Français ont déclaré s’être sentis stressés pendant la période de confinement. On a même vu apparaître le terme de « Zoom fatigue » dû à la difficulté d’enchaîner des réunions par visioconférence.
C’est en cela que l’initiative du cabinet Slater & Gordon, qui a d’ores et déjà annoncé la fermeture permanente de son bureau à Londres et la mise en place du télétravail pour ses 200 avocats, a été fortement critiquée. Aucun cabinet d’affaires n’y pense sérieusement à Paris. Mais des discussions sont entamées sur le réaménagement des locaux. C’est par exemple le cas chez Hogan Lovells dont le bail expire fin 2022. « Nous devons prendre des décisions importantes et le timing n’est pas trop mauvais, explique la managing partner. Je ne crois pas que nous sous-louerons des espaces, mais nous pouvons penser l’aménagement de l’espace autrement ». Gide n’exclurait pour sa part de sous-louer une autre partie de ses bureaux si l’activité venait à ralentir.
Pourquoi, par exemple, ne pas se débarrasser des bureaux indépendants pour privilégier des espaces plus collaboratifs ? Ou si les associés souhaitent garder des bureaux indépendants, pourquoi ne pas diminuer leur taille et organiser le reste en « flex office », c’est-à-dire des bureaux non attribués, non personnalisés, où chacun s’installe en fonction de son heure d’arrivée ? Plusieurs entreprises et cabinets de conseil financier fonctionnent déjà de la sorte sans impacter le traitement des problématiques confidentielles. La discussion est donc ouverte.