« L’année 2018 a peut-être marqué l’apogée de l’activité des cabinets ou la fin d’un cycle »
La 27e édition de la Radiographie© des cabinets d’avocats d’affaires du bimensuel Juristes_associés, vient de paraître. Elle révèle une poursuite de la croissance de l’activité des structures en 2018. Si les avocats demeurent relativement optimistes pour les prochains mois, la prudence reste de mise dû aux tensions géopolitiques et économiques mondiales. Explications de Caura Barszcz, directrice de la publication.
Quel a été le niveau de l’activité des cabinets d’avocats d’affaires durant ces derniers mois ?
Depuis 2015, nous constatons une lente reprise de l’activité des cabinets d’affaires. L'année 2018 s’inscrit dans la même tendance d’une manière générale. Le corporate a été vigoureux, porté par un certain nombre de belles opérations, tant en fusions-acquisitions qu’en private equity. Contrairement aux années précédentes, l’activité des équipes de droit social est pour sa part en stagnation, tout comme celle des fiscalistes. Mais le premier semestre 2019 a été marqué par un freinage important des transactions. L’activité corporate a été molle dans les cabinets et comme les cycles sont de plus en plus rapides, les matières de niche comme le restructuring ou le social vont peut-être se remettre en selle. La situation économique reste pour l’instant attentiste. Les investissements sont directement impactés par les tensions géopolitiques et économiques.
Les indicateurs de La Radiographie© reflètent d’ailleurs cette analyse puisque même si la croissance des chiffres d’affaires globaux est de 4,89 %, la hausse est moins importante que l’année précédente (+5,24 % en 2017). Le chiffre d’affaires par productif connaît une augmentation de 3,14 %, contre +3,21 % l’an dernier (recul de 0,19 %). Le chiffre d’affaires par associé s’établit à +3,18 % (contre +3,51 % l’an dernier, soit un recul de 1,51 %). Ce sont autant de petits signaux d’alerte qui laissent augurer d'une stagnation du marché dans les prochains mois. L’année 2018 a peut-être marqué l’apogée de l’activité des cabinets ou la fin d’un cycle.
Y a-t-il eu un impact des négociations sur le Brexit sur l’activité des cabinets anglais ?
Avec une dépréciation de 30 % du montant de la livre sterling, le montant des rétrocessions d’honoraires des avocats français exerçant dans un cabinet anglais a probablement été impacté. Particulièrement lorsqu’ils interviennent sur des dossiers dans des pays qui ont comme référentiel la monnaie anglaise. Ceci explique sans doute en partie les mouvements des associés ces derniers mois. Il y a également eu des incertitudes sur la structure juridique des bureaux qui sont passés par Londres pour s’implanter à Paris, mais je crois que cette crainte est désormais dépassée.
Certains cabinets anglo-saxons ont excellé durant les derniers exercices à Paris. C’est le cas de Clifford Chance, ou de Simmons & Simmons et Reed Smith... Leurs équipes ont été occupées sur des dossiers d’envergure qui ont permis à leurs chiffres d’affaires respectifs de connaitre une belle augmentation. D’autres cabinets sont en stagnation. On notera que les exigences de rentabilité des firmes internationales sont de plus en plus importantes. On demande aux associés plus de rentabilité par tête, par équipe, plus d’implication dans le management, face aux clients, dans le développement, etc. Les ratios des cabinets internationaux sont, de ce fait, meilleurs que ceux des structures françaises : +4,52% pour le CA/productif, +5,14 % pour le CA/associé.
Vous évoquez une période de transition pour les cabinets qui doivent réfléchir à leur modèle. Expliquez nous.
Les avocats doivent réfléchir à la pérennité de leurs structures d’exercice. À la fois parce que la génération des seniors est en train de partir à la retraite, mais aussi parce que d’autres opérateurs remettent en cause les process traditionnels grâce à leurs outils technologiques et cela entraîne beaucoup de disruption. Les clients ne confient désormais plus l’intégralité du juridique à des cabinets extérieurs. Ils en traitent une partie en interne, et répartissent le reste du travail entre plusieurs structures, pas nécessairement d’avocats. Les honoraires sont en outre très serrés. De plus, les nouvelles générations les challengent beaucoup et les mots d’ordre sont flexibilité et agilité mais aussi RSE et diversité. Des sujets pas toujours bien appréhendés dans les cabinets.
Dans un environnement politique, social et économique tendu, les cabinets doivent réfléchir à mieux organiser leurs forces, à moderniser leurs outils de travail, à fidéliser leurs clients pour continuer à se développer malgré tout. L’innovation doit être au cœur de leur stratégie. Si certaines firmes ont pour le moment privilégié des partenariats avec de belles legaltech, le marché est en train d’évoluer et une poignée de cabinets se lance dans la création de nouveaux outils digitaux maison mais aussi d’offres alternatives où les technologies sont au centre des réflexions. Sur ce point, le marché des Big 4 est en avance. La loi Pacte les a en effet contraints à étendre leurs champs d’intervention en juridique, en judiciaire et en matière d’innovation afin de maintenir leur position chez les clients.
Les cabinets sont-ils néanmoins optimistes pour les prochains mois ?
Ils demeurent optimistes sur l’activité des prochains mois. 54,3 % estiment que l’exercice 2019 sera meilleur que 2018. 42 % pensent qu’il sera comparable (+13 % par rapport à 2017). Il s’agit donc d’un optimisme mesuré.