« La pandémie va accélérer le développement des audiences virtuelles d’arbitrage »
Si le Covid-19 a un impact considérable sur la tenue des audiences judiciaires et administratives, il a également des conséquences sur le déroulement des arbitrages. La Chambre de commerce internationale a d’ailleurs émis une note, le 9 avril 2020, afin de guider les parties et les tribunaux. Explications de Flore Poloni, counsel au sein du cabinet August Debouzy.
Quel est l’impact de la pandémie sur l’arbitrage ?
L’impact paraît beaucoup plus limité que pour le contentieux judiciaire dans la mesure où, ni les institutions d’arbitrage, ni les tribunaux arbitraux, n’ont suspendu leur activité. Le calendrier de la procédure arbitrale est fixé au début de la procédure et les parties connaissent donc leurs échéances bien en avance. Ainsi, les échanges de mémoires et autres étapes de la procédure arbitrale qui se déroulent souvent à distance suivent leur cours. La différence principale par rapport au cours habituel est que les équipes qui gèrent ces dossiers (qu’il s’agisse d’avocats ou de juristes d’entreprise) doivent le faire à distance, avec plus ou moins de facilité.
C’est donc d’un point de vue pratique que le monde de l’arbitrage est confronté à de nombreuses difficultés. D’abord, pour les conseils, il s’agit d’accomplir correctement les tâches qui leur reviennent, telles que faire des recherches en bibliothèque, interroger des témoins, rassembler les pièces souvent de plusieurs sites de leurs clients et dans des pays différents. Les clients, eux, doivent rassembler ces pièces situées dans des bureaux fermés ou trouver le bon interlocuteur sans pouvoir frapper aux portes d’un service particulier à la recherche de la perle rare. Enfin, les arbitres doivent faire la part des choses entre les difficultés alléguées et celles véritablement rencontrées.
Des mesures particulières ont-elles été prises par les institutions pour réduire l’impact de la pandémie sur les procédures en cours ?
La CCI a émis une note le 9 avril 2020 afin de guider les parties et les tribunaux en leur soumettant les mesures qu’il était possible de prendre pour limiter les effets de la pandémie. La note rappelle que conformément à l’article 22 (1) du règlement d’arbitrage de la CCI « Le tribunal arbitral et les parties font tous leurs efforts pour conduire la procédure d’arbitrage avec célérité et efficacité en termes de coût, eu égard à la complexité et à l’enjeu du litige ».
Le mot d’ordre est donc clair, les tribunaux et les conseils doivent essayer de se comporter comme si la pandémie n’avait pas lieu, des adaptations de la procédure pouvant néanmoins être prévues pour faciliter leur travail dans les circonstances actuelles… L’on peut comprendre l’enjeu d’avoir un système international de justice qui fonctionne malgré tout : pour gérer les litiges qui vont naître des circonstances présentes. C’est dans un tel contexte qu’avoir des procédures intégralement dématérialisées, flexibles et adaptables prend un intérêt tout particulier.
Y a-t-il des précautions particulières à prendre pour initier un arbitrage CCI dans le contexte actuel ?
Le secrétariat de la CCI a prévenu dès le 17 mars 2020 qu’il fallait adresser la requête d’arbitrage et ses pièces sous format électronique i.e. par courriel à l’adresse arb@iccwbo.org. Il est expliqué dans la note, qu’à réception d’une requête, le secrétariat contacte le demandeur afin de voir si la notification de la requête au défendeur par courriel est une possibilité.
On notera que les demandes de nomination d’un arbitre d’urgence sont également à transmettre par courriel (à l’adresse emergencyarbitrator@iccwbo.org).
Y a-t-il d’autres impacts directs sur la procédure ?
Les tribunaux arbitraux doivent favoriser et encourager la signature électronique de la plupart des documents importants de la procédure : l’acte de mission, les mémoires et pièces, et même les sentences. Pour ces dernières, il est demandé aux tribunaux arbitraux de prévenir le secrétariat dès que la signature de la sentence a commencé afin qu’il puisse leur être indiqué à quel bureau de la CCI transmettre ces exemplaires originaux.
Le rythme modifié des services postaux risque de compliquer la signature si les membres du tribunal arbitral sont dans des pays différents. Pour gagner un peu de temps, s’agissant de la notification de la sentence, il est rappelé que, sous réserve de l’existence de dispositions impératives, il est recommandé de s’accorder sur une notification de la sentence par voie électronique.
Quelles sont les dispositions à prendre pour les audiences ?
Les tribunaux doivent considérer les différentes situations et envisager si les audiences doivent être reportées, si elles peuvent se tenir en prenant des mesures sanitaires ou précautions particulières pour préserver la santé et la sécurité des participants, ou s’il faut tenir des audiences virtuelles.
Y voyez-vous une opportunité pour le développement des audiences virtuelles ?
Le développement des audiences virtuelles était déjà en cours mais, comme dans beaucoup d’autres domaines, la pandémie va l’accélérer. Néanmoins, il est préférable que les parties soient d’accord pour cela afin qu’elles n’aient pas l’impression qu’on leur sert une justice au rabais (surtout que les procédures sont onéreuses). Si le tribunal arbitral décide de tenir une audience virtuelle contre l’avis des parties, il doit prendre certaines précautions : bien considérer l’ensemble des circonstances en présence et motiver sa décision. Il doit également être vigilant aux implications des degrés variables de confinement à travers la planète afin notamment qu’il n’y ait pas rupture de l’égalité entre les parties. Il peut être difficile d’accepter qu’un dossier sur lequel une société a investi deux ans de frais de conseil soit plaidé dans des conditions qui ne seraient pas considérées optimales. Néanmoins, tout dépendra des dossiers et tous n’appellent pas une audience particulièrement complexe (certains n’appellent même pas d’audience). La note indique ainsi que la complexité du dossier, le nombre de participants, l’urgence, le risque de délais excessifs en cas de report, peuvent aider à apprécier l’opportunité d’avoir recours à une audience virtuelle.
En cas de report en raison de la nécessité de réunir tous les participants dans une seule pièce, le tribunal pourra envisager de ne faire avancer qu’une partie du dossier seulement. L’on peut imaginer que cela se réfère aux étapes classiques de la procédure : (i) compétence, (ii) responsabilité et (iii) préjudice. Mais cela peut également tout à fait concerner des questions factuelles qui seraient séparées les unes des autres et dont certaines ne nécessiteraient pas l’audition de témoins par exemple, et pourraient ainsi être tranchées sur pièces.
Pour l’organisation de l’audience virtuelle elle-même, il existe également un nombre de précautions à prendre et c’est sur ce point que la note est particulièrement utile car elle permet d’attirer l’attention des tribunaux arbitraux et des conseils sur certains paramètres indispensables au déroulement des audiences dans les meilleures conditions possibles.
Quels sont ces paramètres ?
Les fuseaux horaires, les contraintes logistiques de chaque participant, l’utilisation d’un service de retranscription instantanée, l’intervention d’interprètes, la vérification de la présence et l’identification de tous les participants, l’utilisation de pièces pendant l’audience (demonstrative exhibits), l’utilisation d’un jeu de documents spécifiques sous format électronique (ou bundle électronique) pour en nommer certains. La note présente, en annexe 1, une checklist des points à prendre en compte très utile à cet égard.
Il est recommandé de figer des paramètres dans un cyber-protocole, un acte qui permettra aux parties, à leurs conseils et au tribunal arbitral de se mettre d’accord sur l’ensemble des mesures nécessaires tout en respectant les règles impératives et matière de protection des données. Il y sera également fait état du caractère confidentiel ou non des audiences et de la confidentialité des informations échangées sur la plateforme électronique.
La note recommande de contacter le centre d’audience de la CCI pour un premier support si nécessaire et renvoie vers un comparateur de plateforme susceptibles d’accueillir une audience virtuelle, tout en suggérant que les plateformes payantes offrent sans doute davantage de sécurité, de confidentialité et de protection des données. Les parties, leurs conseils et les arbitres sont encouragés à bien vérifier les services auxquels ils auront recours.
Enfin, l’annexe 2 de la note propose des exemples de clauses à inclure dans un cyber-protocole. À consulter d’urgence par ceux qui seraient sur le point de s’engager dans l’organisation d’une audience virtuelle.