La médiation, mal-aimée des entreprises
Le groupe de travail constitué au sein du Club des juristes et présidé par Pierre Servan-Schreiber, après avoir procédé à de nombreuses auditions, vient de rendre un rapport sur le sujet aux termes duquel quatre recommandations sont formulées pour réconcilier l’entreprise avec la médiation. Le groupe de travail préconise cependant clairement d’éviter l’écueil de la « médiation obligatoire » qu’il estime être une notion antinomique.
«Nous avons voulu comprendre pourquoi la médiation ne marche pas mieux ». C’est la mission que le groupe de travail constitué à la fin de l’année 2017 s’était fixée. Il a été constitué sous l’égide du think-tank le Club des juristes, à l’initiative du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP). Présidé par l’avocat et médiateur Pierre Servan-Schreiber, il réunissait également la professeure Soraya Amrani-Mekki, le médiateur et président d’honneur de l’AFJE, Pierre Charreton, Guillaume Forbin, avocat et médiateur, et Sophie Henry, présidente du CMAP. Les auteurs du rapport ont auditionné près de 40 personnes : avocats, professeurs, juristes d’entreprise, dirigeants d’entreprise, magistrats, etc. Après avoir défini les contours de la « médiation », dont la polysémie, y compris dans les textes prête à confusion, le rapport dresse le constat d’une véritable barrière culturelle qui freine son essor. Ils ont présenté leur rapport le 13 mars au Club des Juristes.
Le groupe de travail y a pointé des réticences côté avocats, tout d’abord, parce que ces derniers, qui facturent souvent à l’heure, sont réputés trouver davantage d’intérêt dans une situation contentieuse qui dure. Ces réserves se retrouvent également du côté des juristes d’entreprises, qui voient dans le contentieux un « pré carré », au sein duquel ils jouissent d’un certain prestige. Il est également délicat pour les hommes de loi de conseiller une médiation à l’entreprise. « Mais on vous paye pour défendre l’entreprise, et pas pour compromettre », craignent-ils de se voir répondre, rapporte Pierre Charreton, qui estime que les enjeux de pouvoir sont un frein essentiel au recours à la médiation. Pierre Servan-Schreiber rapporte ainsi qu’un directeur des affaires financières lui avait confié qu’il était plus commode d’être condamné par un tribunal à verser une grosse somme d’argent à un ancien employé que de verser ces sommes volontairement dans le cadre d’un accord transactionnel.
Plus surprenant, certains magistrats semblent également rejeter la médiation conventionnelle, puisqu’elle échappe à leur contrôle. Le résultat de ces réserves : une méconnaissance, voire une méfiance des chefs d’entreprises à l’égard de ce mode de règlement des conflits, alors que les autres solutions qui s’offrent à eux, notamment le recours aux juridictions, ne sont satisfaisantes ni en termes de temps, ni en termes de coût. Le rapport se penche aussi sur l’écosystème de la médiation, qui jouit pour le moment d’une médiocre réputation auprès des entreprises et s’attache à expliquer de quelle façon les médiateurs sont formés et rémunérés et comment les entreprises peuvent choisir ceux qui leurs conviennent. Il pointe des statistiques lacunaires sur les médiations, qui empêchent de jauger leur efficacité et même le taux de recours à ces solutions.
Quatre recommandations
Le groupe de travail préconise de sensibiliser les entreprises à la médiation, notamment au moyen de formations, dispensées en interne par des directeurs juridiques formés à la médiation et en externe par des centres de médiation. Pour surmonter les frilosités de certains membres de la profession d’avocat, ainsi que de leurs clients à la médiation, il est également recommandé d’introduire, dans le règlement intérieur national de la profession d’avocat, une obligation déontologique d’informer le client sur la médiation. Le groupe de travail demande également la mise en place d’un outil statistique centralisé afin de recenser le nombre des médiations menées et leurs caractéristiques : nature, montant, résultat. La dernière recommandation est de modifier les dispositions de l’article 1534 du Code civil afin de permettre, après la signature d’un protocole transactionnel, l’homologation judiciaire de l’accord de manière unilatérale. Actuellement, cette homologation n’est possible que si toutes les parties ont donné leur accord, ce qui permet la rétractation de l’une d’elles, même après signature.
Et pour surmonter les freins au recours à la médiation, Pierre Servan-Schreiber de lancer cette idée : « et si on s’adressait aux hommes du chiffre, plutôt qu’aux hommes du droit ? ».