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La Cour suprême espagnole fait trembler les marchés

Par Ondine Delaunay
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1372 du 12 novembre 2018

Les dernières semaines ont été le théâtre d’un incroyable imbroglio judiciaire en Espagne, ayant entraîné une spectaculaire chute des valeurs bancaires en Bourse. En cause : une décision de la Cour suprême modifiant les règles de paiement de l’impôt sur les actes effectués devant notaire à la signature d’un prêt immobilier. Explications d’une polémique judicaire hors norme.

Tout a débuté le 18 octobre dernier. Contre toute attente, le Tribunal Supremo a renversé une jurisprudence, datant de vingt ans, estimant qu’il revenait désormais à la banque d’assumer l’impôt sur les actes notariés liés à la signature d’un prêt immobilier. Jusqu’alors, c’était le contribuable qui était redevable de cette taxe appelée IAJD (Impuesto sobre Actos juridicos documentados) et qui est comprise en 0,5 et 1,5 % du montant de l’achat immobilier. Mais en estimant qu’il revenait désormais aux banques d’assumer cet impôt, les cinq magistrats de la section du contentieux administratif du Tribunal se sont attirés les foudres du marché.

Un lourd impact boursier

à la suite de la publication de la décision de justice, les marchés boursiers ont en effet pris une allure de jeudi noir. CaixaBank, Bankia, Banco de Sabadell et Bankinter dévissaient de plus de 7 % dans la journée. En quelques heures, près de 6 milliards d’euros de capitalisation boursière se sont évaporés.

Était notamment soulevée la question de la solvabilité des établissements bancaires, alors que Moody’s avait chiffré l’impact du revirement jurisprudentiel à 4 milliards d’euros pour les banques qui allaient devoir rembourser le trop payé par les clients depuis 2014. L’impact sur les banques « dépend aussi, dans ce cas, de la quantité de gens qui vont réclamer le remboursement de ces frais », expliquait alors à l’AFP Antonio Sales, analyste chez XTB Brokers. Or, selon des associations de défense des clients des banques, la mesure pouvait concerner 6,5 à 8 millions d’emprunts. Des coûts au demeurant relativement peu élevés et qui n’auraient donc pas entrainé une faillite bancaire… Les marchés ont-ils donc sur-réagi ?

Une chose est sûre, les politiques qui se sont emparés du sujet n’ont pas permis d’apaiser les tensions. La ministre des Finances, Maria Jesus Montero a par exemple déclaré qu’une décision rétroactive sur quatre ans en faveur des clients pouvait mettre en péril les objectifs de déficit du gouvernement, si les communautés espagnoles devaient être amenées à rembourser.

Revirement de jurisprudence après revirement de jurisprudence

Dès le lendemain, le président Luis Diez-Picazo a annoncé la suspension du verdit du fait « de l’énorme alarme économique et sociale » de ce « changement radical de jurisprudence ». Il évoquait alors un délai pour réunir la Cour suprême en assemblée plénière. « Une première dans l’histoire judiciaire espagnole, explique Juan Garicano, counsel dans l’équipe tax d’Hogan Lovells Madrid.

Mais la loi l’autorise car la Cour suprême, dans sa formation plénière, pose des principes pour l’avenir sans rejuger le cas d’espèce ». Et après deux jours de délibérations, le verdict tombe : une (courte) majorité de magistrats décident de revenir à la jurisprudence précédente. Les clients devront donc payer.

Ce nouveau revirement laisse perplexe. Certain parlant même d’atteinte à l’indépendance de la justice. Mais c’était sans compter sur la réaction du gouvernement qui a ajouté une cerise sur ce gâteau, déjà rassis, mercredi matin. « Les Espagnols ne paieront plus jamais cet impôt qui sera payé par le secteur financier, par les banques. Nous allons pour cela modifier la loi qui réglemente les actes patrimoniaux », a déclaré le Premier ministre, Pedro Sanchez. Et dans la foulée, de publier un décret réformant la loi. « En résumé, si le changement législatif est mis en œuvre, les banques seront à l’avenir redevables de l’impôt, mais elles répercuteront vraisemblablement ces frais sur leurs fees, expliquent Xenia Legendre et Carmen Nuñez-Lagos, associées du bureau parisien d’Hogan Lovells. Au final c’est le client qui paiera ». CQFD.

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