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Directeurs juridiques : que serez-vous demain ?

Par Ondine Delaunay
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1398 du 27 mai 2019

Qui sont les directeurs juridiques d’aujourd’hui ? Quelles sont leurs compétences ? Quelles évolutions professionnelles sont-ils en droit d’attendre ? Quels sont leurs atouts et leurs points faibles lors des recrutements ? C’est à toutes ces questions que répond l’étude, d’une remarquable finesse, menée par Oasys Consultants en partenariat avec le Cercle Montesquieu et l’AFJE.

L’originalité de la démarche réside dans le regard croisé des directeurs juridiques (DJ) et des recruteurs qui ont tour à tour répondu aux 47 questions posées. 221 réponses ont au total été récoltées. Cette double analyse permet de tirer les enseignements les plus précis et utiles sur le profil des DJ en exercice et sur leur avenir.

Qui sont les directeurs juridiques ?

On devient majoritairement directeur juridique entre 35 et 45 ans. Avant, c’est difficile car la fonction impose un certain degré d’expérience et de maturité, sans oublier une formation relativement longue. 40 % des DJ ont en effet suivi une double formation, composée d’un diplôme de droit de niveau bac +4 ainsi que d’une école de commerce, de Science Po, ou complétée par des études juridiques à l’étranger.

Quasiment tous les DJ en exercice (98 %) ont plus de 10 ans d’expérience et 52 % ont plus de vingt ans. Pour autant, les recruteurs révèlent privilégier la tranche d’âge 40-45 ans (61 %). Après il serait plus difficile d’accéder au poste. Seuls 7 % sont devenus DJ après 45 ans. « Le poste requiert une certaine posture et d’avoir acquis des soft skills indispensables comme la capacité de communication, de management et de leadership. On s’attend à ce qu’à mi-carrière, ces qualités se soient déjà révélées », explique Claude Mulsant, associée, coach et directrice de la pratique juridique d’Oasys Consultants, cabinet spécialisé dans l’accompagnement des transitions de carrière et managériales.

L’expérience du Barreau pourrait-elle justifier une arrivée « tardive » en entreprise ? Contrairement aux idées reçues, l’étude démontre qu’une telle « passerelle » n’est pas si fréquente au niveau des postes de direction. Seuls 25 % des DJ ont eu une expérience professionnelle dans un barreau et 13 % sont devenus DJ directement après avoir posé leur robe. « C’est souvent présenté comme une garantie de rigueur et de capacité de travail, indique l’étude. Mais outre des attentes en termes de rémunération parfois trop élevées, les recruteurs craignent leur méconnaissance de l’entreprise et une difficulté à en intégrer rapidement les codes ». Ce sont les parcours de juristes généralistes qui sont privilégiés par les recruteurs, notamment ceux avec une première expérience en management.

Car au-delà de l’expertise technique qui est bien sûr un prérequis inhérent au poste, ce sont surtout les questions de savoir-être qui sont visées par l’étude. Les DJ ont intégré qu’il leur fallait être des managers et des communicants capables de prendre position et de participer aux décisions stratégiques de l’entreprise pour accompagner sa transformation en France et à l’international. Les recruteurs valorisent eux aussi cette dimension de business partner. Un terme un peu « tarte à la crème » et que les juristes se plaisent à rappeler dès qu’ils le peuvent, mais qui recouvre un état d’esprit bien particulier. Claude Mulsant l’explique : « Être un business partner c’est comprendre les enjeux, pas seulement réglementaires mais aussi financiers et commerciaux et être capable d’en discuter avec ses pairs (stratégie, financier, marketing, commercial, directeurs de BU) en France et à l’international. Cela suppose aussi d’être connecté au monde extérieur pour anticiper les évolutions légales et réglementaires du secteur/ métier et en identifier les risques, mais aussi pour proposer des stratégies juridiques d’adaptation ». Brigitte des Abbayes, co-responsable de la commission employabilité des DJ du Cercle Montesquieu, l’explique comme étant le passage de « Monsieur Problème » à « Monsieur Solution ». Et la bataille est, d’après elle, « en passe d’être gagnée ».

« C’est une évolution qui est similaire à celle que l’on constate dans les autres fonctions supports, ajoute Claude Mulsant, associée, coach et directrice. Elles ont également dû réfléchir à une vision plus globale et business de leur positionnement pour s’imposer dans les Codir ». Mais les profils juridiques partent, selon elle, avec un inconvénient inhérent sans doute à leur formation : dans leurs discours, ils privilégient la technique à une vision financière de leur travail. Elle détaille : « Il est frappant de voir combien les profils juridiques ont du mal à chiffrer leurs réalisations pour en faire apparaître la plus-value financière pour l’entreprise. Pourtant c’est essentiel s’ils veulent gagner leur place et la reconnaissance des Codir/Comex, défendre leur rémunération et obtenir des budgets pour leurs directions ». La place au Comex constitue de plus en plus un Graal pour cette population, en quête de reconnaissance au sein des instances de direction. Mais la France est connue pour rester en retard sur ce point par rapport au monde anglosaxon. « La majorité (55 %) des DJ a sa place au Codir/Comex » indique l’étude. Et les recruteurs de préciser que la tendance évolue positivement. Selon leurs informations, 65 % des DJ qu’ils s’apprêtent à recruter feront partis des instances de gouvernance.

Quelles perspectives après la direction juridique ?

Une fois la fonction de directeur juridique atteinte, quelles sont les perspectives pour un professionnel à mi-carrière ? « La grande majorité des DJ et de leurs recruteurs projettent des évolutions de carrière dans le même type de fonction mais avec des responsabilités élargies », explique Claude Mulsant. Si le niveau de rémunération est bien sûr le principal critère d’intérêt pour les DJ susceptibles de changer d’entreprise, il est intéressant de noter que le positionnement du poste est également un indicateur important. Quelque 41 % demandent une présence dans les instances de direction et/ou un rattachement au directeur général. Concernant leur responsabilités, 17 % sont en attente d’autonomie et 12 % de pouvoir. Mais pour l’instant, les recruteurs et les intéressés projettent mal une évolution vers des fonctions financières ou commerciales – même si le changement des approches est déjà perceptible (cf. notre article dans le magazine LJA à paraître). L’évolution est également naturelle vers des fonctions de secrétaire général.

Il semble pourtant de plus en plus envisageable de progresser ailleurs et autrement. L’étude démontre qu’après 50 ans, les DJ sont en attente de nouveauté, de nouveaux challenges. Certains tentent l’avocature. Mais le pari n’est pas gagné d’avance car la dimension libérale de la profession impose des compétences commerciales qu’un directeur juridique n’a, dans la majorité des cas, pas acquises. Qu’il fonde son cabinet ou qu’il rejoigne une structure déjà existante, la difficulté sera similaire : il devra développer une clientèle et un chiffre d’affaires pour faire face à ses charges professionnelles et personnelles. Un choix possible - certains ont d’ailleurs largement rencontré le succès – mais qui est risqué.

Le management de transition constitue une autre voie de changement qui tend à se développer dans les professions juridiques depuis environ quatre ans et qui est devenue attractive. Les entreprises y recourent pour pallier des besoins de courte durée, un remplacement de salariés ou pour faire face à un surcroît d’activité. L’écrasante majorité des DJ (78 %) estiment réaliste d’évoluer vers ce type d’exercice. « La génération des 40-45 ans s’intéresse au management de transition qui permet de justifier de leur adaptabilité, de compléter une expérience, voire d’accéder à un nouveau secteur », explique Claude Mulsant. Marie Hombrouck, associée du cabinet de recrutement Atorus Executive spécialisé dans l’interim, soutient que « le management de transition est une option intéressante notamment pour les seniors qui ont plus de difficultés à trouver des CDI et qui veulent poursuivre leur carrière. Elle leur permet de faire valoir leur savoir-faire et leurs compétences sur des missions ponctuelles. C’est gagnant-gagnant pour l’entreprise et pour le recruté ». La spécialiste pense même que cette option va se développer avec la génération des millenials. « On est passé d’un monde où le juriste faisait sa carrière dans un poste au sein de la même entreprise, à celui où le juriste est mobile et change d’entreprise pour développer ses compétences. Demain, le juriste cumulera plusieurs missions dans plusieurs entreprises ». Toutes les voies sont donc ouvertes. Il suffira d’oser.

AFJE Cercle Montesquieu LJA1398 Codir/Comex Claude Mulsant Directeurs juridiques (DJ) Oasys Consultants