Des règles adaptées et innovantes pour les acteurs du crowdsale
Les députés du Parlement européen ont adopté, le 6 novembre 2018, un rapport proposant une série d’amendements à apporter au projet de règlement européen sur « les prestataires de services de financement participatif pour les entreprises ». Explications par Stéphane Puel, associé, et Jennifer D’hoir, du cabinet Gide.
Pourquoi la position adoptée par le Parlement européen constitue-t-elle une avancée notable dans le paysage réglementaire relatif à l’innovation et, en particulier, du crowdsale(1) ?
Ce texte constitue une avancée singulière en ce qu’il est, jusqu’à présent, la seule concrétisation législative découlant du plan d’action Fintech rendu public le 8 mars dernier par la Commission européenne. En France, depuis 2014, le crowdfunding bénéficie d’un cadre très novateur, dont les institutions européennes se sont d’ailleurs largement inspirées pour élaborer ce règlement et pour proposer aux acteurs l’agrément ESCP (European Crowdfunding Services Provider).
Quelles en sont les lignes directrices ?
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une réglementation visant à harmoniser les règles nationales développées par les différents États membres. Le texte ne propose pas un régime unique européen qui viendrait se substituer aux régimes nationaux préexistants.
L’approche règlementaire retenue est « exclusive ». Le prestataire devra ainsi faire le choix entre le régime national ou le régime européen, en fonction de ses priorités et de ses plans de développement. Il est en effet essentiel de rappeler que le marché du crowdsale répond à des logiques de proximité. Ainsi, les règlementations se sont développées, dans un premier temps, au niveau national plutôt qu’au niveau européen, les cibles d’investisseurs étant majoritairement domestiques et les projets à financer, d’envergure locale.
En proposant un agrément européen permettant aux acteurs agréés d’opérer sur une base transfrontière au sein du marché unique, le projet de règlement ouvre de nouvelles perspectives de développement aux acteurs. Pour ceux dont les modèles d’affaires sont éprouvés, il leur offre en effet la possibilité de rechercher des financements dans plusieurs pays de l’Union sans avoir à répéter une démarche couteuse d’agrément national. Toutefois, pour obtenir l’agrément européen, un acteur devra automatiquement « abandonner » son agrément national.
Quel sera le rôle de l’ESMA dans l’attribution de cet agrément ?
Dans la proposition originale de la Commission européenne, pour assurer une convergence des pratiques de délivrance du label européen, il était d’abord prévu de confier à l’ESMA le soin d’octroyer l’agrément ESCP. Toutefois, dans une logique de bonne articulation entre les régimes nationaux et européen, le rapport du Parlement européen propose que cet agrément soit délivré par les régulateurs nationaux. L’ESMA assurera un simple rôle de coordinateur et sera notamment en charge de tenir un registre des fournisseurs européens agréés. Certains points méritent encore d’être traités. Se pose notamment la question du glissement du régime national vers le régime européen pour un acteur qui en ferait la demande et celle de la nécessité de permettre une « transition douce » entre les deux régimes.
Pour quelle raison le seuil maximal de l’offre de financement participatif a été relevé ?
Le projet de règlement original prévoyait un seuil d’1M € sur 12 mois, ce qui était clairement sous-dimensionné, alors que l’AMF préconisait un seuil à 8 M €. C’est finalement le chiffre qui a été retenu, qui permet d’assurer une mise en cohérence avec le seuil plafond prévu par le règlement européen, au-delà duquel l’obligation d’émettre un Prospectus s’impose.
En quoi ce règlement est-il intéressant pour tout l’écosystème du crowdsale, au-delà des acteurs crowdfunding ?
Le marché du crowdfunding n’est pas aujourd’hui encore exponentiel et reste limité en France. En revanche, d’autres formes de « financement par la foule » se développent. C’est précisément cette tendance qu’illustre le développement des levées de fonds effectuées via l’émission de jetons utilitaires (ICO) ou via l’émission de jetons, dont les caractéristiques sont proches de celles de titres financiers classiques (Security Token Offerings ou STO). Le recours croissant à ces nouvelles pratiques de financement, basées sur la technologie blockchain, a également attiré l’attention du législateur européen. En effet, certains parlementaires ont évoqué la possibilité de soumettre les ICO aux dispositions prévues par le projet de règlement portant sur le crowdfunding. Cette tentative n’a cependant pas abouti. Cet atterrissage nous semble, à ce stade, prudent et bienvenu. Le rapport du Parlement européen appelle toutefois la Commission européenne à traiter la question de la régulation des ICO via le lancement d’un chantier législatif distinct. Cette dynamique de captation réglementaire des ICO est déjà enclenchée au niveau national et, en particulier, en France comme en témoigne les débats actuels sur le projet de loi Pacte qui prévoit un régime optionnel pour les émissions de jetons utilitaires.
(1) Ce terme générique recouvre différentes pratiques de marché pour collecter des fonds afin de financer des projets, telles que, par exemple, le crowdfunding ou encore les levées de fonds effectuées via l’émission de jetons utilitaires (ICO).