Convention européenne pour les avocats, rien que pour les avocats…
Le Conseil de l’Europe est au travail, pour rédiger et adopter une convention européenne pour les avocats. Au cœur de ce texte, les principes clés définissant la profession, dont le secret, la liberté ou l’indépendance de l’avocat, mais aussi des points spécifiques d’organisation comme les ordres ou les conditions d’exercice.
Les textes qui existent ne suffisent plus. La Recommandation No R (2000) 21 du Comité des Ministres aux États membres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat n’a guère prospéré. Elle ne couvre pas tous les principes essentiels de la profession. Ainsi le principe de non-assimilation entre l’avocat et le client, ou la cause défendue par ce dernier n’y figurent pas. Les réglementations applicables sont très variées et même disparates. La jurisprudence de la CEDH plutôt protectrice des avocats ne couvre pas tous les domaines. Et surtout la situation concrète des avocats se dégrade partout.
« Ces actes comprennent, entre autres : les meurtres qui ne font parfois pas l’objet d’une enquête en bonne et due forme de la part des autorités ; les violences physiques, y compris de la part d’agents publics ; les menaces, les critiques publiques injustifiées et l’assimilation des avocats à leurs clients, y compris de la part des responsables politiques ; un usage détourné des poursuites pénales pour sanctionner les avocats ou les dessaisir de certaines affaires ; les violations du secret professionnel par le contrôle illégal de la consultation d’un avocat par son client, les perquisitions et les saisies dans le cadre d’enquêtes illégales ; les interrogatoires d’avocats cités en qualité de témoins dans les affaires pénales de leurs clients ; les recours abusifs aux poursuites disciplinaires ; et les divers manquements structurels et procéduraux dans l’établissement et la mise en œuvre de garanties effectives de l’indépendance des avocats. »
Tout ceci résonne très fort dans l’actualité : en Turquie, en Azerbaïdjan, en Ukraine mais aussi à Malte ou en Hongrie. Jusqu’en France, où les atteintes au secret - par exemple via les écoutes de l’affaire Sarkozy/Herzog -, la multiplication des perquisitions dans les cabinets, les débats sur la constitutionnalisation de l’avocat, « l’assimilation des avocats à leurs clients », sont récurrents. Les affaires terroristes sont l’archétype de cette confusion, présupposée par exemple entre Salah Abdeslam et Franck Berton, AbdelKader Merah et Éric Dupond-Moretti.
Une convention percutante
Pour le Conseil de l’Europe, les avocats sont un marqueur de l’État de droit. Le 24 janvier dernier, son assemblée parlementaire s’est donc prononcée en faveur de l’élaboration d’une convention européenne pour les avocats visant à assurer une protection plus efficace de la profession au sein des États membres.
Laurent Pettiti, avocat spécialiste des questions européennes, AMCO, membre du CNB et du CCBE, qui pilote ce dossier sensible souligne : « L’idée est d’avoir une convention comportant au maximum une dizaine d’articles lesquels seront commentés dans un rapport explicatif. Le calendrier prévisionnel laisse présager que la convention devrait être rédigée courant 2019. De plus, le contexte politique sera très favorable, la France prenant la présidence du Comité des ministres en mai 2019 pour 6 mois. L’entrée en vigueur de la convention interviendrait dès la signature et la ratification par 10 États membres du Conseil de l’Europe, c’est plus qu’atteignable. » Il note aussi l’unanimité en appui de ce texte : CNB, Barreau de Paris, Conférence des bâtonniers, aux côtés du CCBE et de l’UIA. Par ailleurs, la Chancellerie est favorable et l’Élysée plus qu’intéressé. Rares sont les dossiers portés par une telle unité.
Le secret, un enjeu qui dépasse largement les avocats
Mais… qui sera concerné par la convention ? La notion d’avocat ne recouvre en effet pas les mêmes personnes selon les États. Faut-il y intégrer les avocats exerçant en entreprise comme aux Pays-Bas ou en Grande Bretagne, la profession réglementée des conseillers juridiques d’entreprises belges (un cas unique au monde), voire tous les juristes d’entreprises ?
« (Leur) situation est surtout problématique parce qu’ils ne jouissent pas du secret professionnel qui permettrait de protéger les échanges internes entre la direction de l’entreprise et le conseiller juridique interne de toute communication et divulgation de pièces dans le cadre des procédures, y compris les procédures engagées en vertu du droit de la concurrence de l’Union européenne, au motif que l’obligation d’indépendance nécessaire à l’application du secret professionnel n’était pas remplie lorsque l’avocat en question avait une relation d’emploi avec son client » note la rapporteure du texte, Sabien Lahaye-Battheu, faisant référence à la décision Akzo Nobel Chemicals. Pour l’instant, les juristes d’entreprise ne sont pas pris en compte dans la Recommandation n° R (2000) 21, ils ne sont pas mentionnés dans la proposition de recommandation, ils ne seront pas concernés par la Convention. À moins d’être considérés comme « avocat » dans leur pays d’origine, et encore, car la rapporteure insiste sur le caractère libéral de l’exercice.
Elle a auditionné l’Association of Corporate Counsel (ACC) et l’Institut voor bedrijfsjuristen (IBJ, l’Institut belge des conseillers juridiques d’entreprise) qui souhaitaient que les juristes d’entreprises soient intégrés. Visiblement, aucune autre association nationale comme l’AFJE n’a cherché à être entendue, ni même l’Ecla (European Company Lawyers Association). Comme si elles avaient déjà capitulé et intégré que leur sort sur le secret ne pouvait qu’être traité au niveau national.