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Cartographie 2018 des directions juridiques : une montée en puissance de la fonction

Par Aurélia Granel
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1355

Publiée en avant-première par la LJA, la 6e édition de la Cartographie des directions juridiques 2018 vient de paraître. Revue des principaux enseignements d’un travail d’enquête minutieux mené, auprès de 283 directeurs juridiques, par Lexqi Conseil, en partenariat avec le Cercle Montesquieu et l’AFJE, ainsi qu’avec le parrainage de Gide et LexisNexis.

« La tendance de fond qui se dégage de tous les thèmes abordés dans cette nouvelle Cartographie est que le directeur juridique devient un acteur incontournable de la gestion du risque, tant juridique et organisationnel, que réputationnel, introduit Stéphane Puel, associé gérant du cabinet Gide. La montée en puissance de la fonction, qui se matérialise par une extension de son périmètre, une augmentation de ses responsabilités et un rattachement à la direction générale, démontre qu’il est le mieux armé pour régler les risques majeurs dans l’entreprise ». Le directeur juridique voit, en effet, son périmètre d’action s’élargir d’une année sur l’autre. Ses missions se diversifient particulièrement dans les domaines de la compliance et les données personnelles qui lui sont aujourd’hui majoritairement rattachés. Ce périmètre d’action s’étend même à l’international pour plus de 70 % du panel.

La reconnaissance du directeur juridique par l’entreprise est un autre marqueur de cette enquête. Plus de 66 % du panel déclare ainsi appartenir au comité de direction de l’entreprise, ce qui représente une progression de 3 % par rapport à la précédente édition de la Cartographie, publiée en 2016. De même, deux directions juridiques sur trois restent hiérarchiquement rattachées au président, directeur général et au secrétaire général de son entreprise. Toutefois, malgré une légère progression depuis 2016, le directeur juridique ne s’impose pas encore comme administrateur de sociétés en dehors du groupe où il exerce sa fonction. Seuls 7 % du panel serait ainsi concerné.

Enfin, la Cartographie confirme que les juristes effectuent des carrières moins linéaires. Si 60 % des directeurs juridiques possèdent une formation complémentaire à leurs études de droit initiales, plus de la moitié d’entre eux sont titulaires du Capa et/ou inscrits à un barreau étranger.

Un budget stable mais modeste pour la direction juridique


La Cartographie étudie par ailleurs les ratios-clés de gestion de la direction juridique, notamment les sujets récurrents de l’effectif et du budget. Déjà, la direction juridique serait composée de 85 % de juristes en 2017, contre 80 % quatre ans plus tôt. En rapportant cet effectif au chiffre d’affaires de l’entreprise, il y aurait, tous secteurs économiques confondus, 9,4 juristes par milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2017, contre 7,9 juristes deux ans plus tôt et 7 juristes en 2013. « Ces chiffres démontrent que les directions juridiques renforcent leurs effectifs chaque année, note Hélène Trink, fondatrice de LEXqi Conseil. Les nombreux recrutements effectués depuis 2015 peuvent sans doute s’expliquer par la diversification des missions des juristes et l’évolution de leur périmètre fonctionnel sur les domaines de la conformité et des données personnelles ». Si les entreprises ont recruté, les dépenses juridiques totales se stabilisent. Elles s’élèvent, en effet, à 0,17 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, contre 0,18 % en 2015 et 0,17 % deux ans auparavant. Un chiffre quelque peu étonnant. « Même si les dépenses juridiques totales rapportées au chiffre d’affaires restent stables au fil des ans, elles demeurent relativement modestes à l’échelle de l’entreprise, estime Stéphane Puel. Malgré une complexité grandissante des réglementations et l’impact de la digitalisation sur le métier, l’entreprise fixe, à la direction juridique, des objectifs toujours plus contraignants, l’obligeant à œuvrer dans un univers financier contraint ».

Enfin, la proportion entre le budget interne, essentiellement composé de la masse salariale, et l’externe, comprenant par exemple les frais d’avocats, s’établit respectivement à 62 et 38 % en 2017, contre 60 et 40 % en 2013. « La Cartographie est très utilisée par les directeurs juridiques pour négocier leurs budgets auprès de leur direction générale », indique Hélène Trink. Rappelons toutefois que le panel de cette enquête est composé de 50 % de sociétés cotées, contre 59 % en 2015 et que le chiffre d’affaires médian des entreprises du panel est de 1,1 milliard d’euros, contre 1,2 milliard d’euros en 2015. Les entreprises de moins de 5 000 salariés représentent par ailleurs 59 % du panel, contre 54 % en 2015. Des chiffres à prendre en compte lors de la négociation.

Des ressources allouées à la conformité inadaptées aux enjeux

Si le sujet de la conformité avait déjà été abordé en 2016, la nouvelle édition s’intéresse à sa mise en œuvre. Plus de 60 % des entreprises interrogées auraient ainsi recruté un compliance officer, rattaché à la direction juridique dans 45 % des cas, contre 34 % en faveur de la présidence ou de la direction générale. La proportion inverse était pourtant constatée en 2016, avec 33 % de rattachement à la direction juridique.

Par ailleurs, 73 % des directeurs juridiques du panel auxquels cette fonction est rattachée estiment que leurs ressources humaines et financières allouées à la conformité ne sont pas adaptées aux enjeux. Pourtant, les ressources dédiées à la compliance ont été renforcées depuis 2015, s’élevant désormais à 17 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, contre 5 % en 2015. De manière surprenante, 67 % des directeurs juridiques concernés par la compliance estiment disposer d’une indépendance fonctionnelle réelle par rapport à la direction, leur permettant d’exercer la fonction. Ils arriveraient donc à s’exprimer facilement auprès de la direction et à lui faire entendre les mesures à mettre en place. « La compliance devient plus opérationnelle, notamment en raison de l’implication de la direction juridique dans cette phase active de mise en œuvre de nouvelles réglementations », estime d’ailleurs la fondatrice de LEXqi Conseil.

Le digital, vecteur de collaboration entre les juristes et les avocats

« Le mode de fonctionnement entre les directions juridiques et les cabinets d’avocats sont de plus en plus proches sur le sujet du digital, qui investissent dans la Tech en partageant des objectifs communs et les mêmes préoccupations, considère Stéphane Puel. Une véritable relation de business partner se développe même entre les deux, avec un partage du savoir et l’organisation de formations communes ». Le numérique serait donc un excellent vecteur de collaboration, les juristes d’entreprise et les avocats ayant beaucoup à apprendre les uns des autres. La Cartographie démontre donc que la manière de travailler du juriste évolue. Plus de trois quarts des directions juridiques du panel auraient ainsi initié un projet de transformation des méthodes de travail sur des technologies digitales avancées, en s’appuyant notamment sur la gestion électronique de documents, le e-learning juridique, la signature électronique et la génération automatique de contrats. Soulignons toutefois que la moitié des directions juridiques des entreprises privées non cotées, en particulier dont l’effectif est inférieur à 1 000 salariés, n’utiliserait actuellement pas ce type de technologie. Cependant, 78 % d’entre elles envisageraient de poursuivre la digitalisation de la fonction ou de l’initier d’ici 2020. « La généralisation des générateurs automatiques de contrats sécurisera le processus contractuel, augmentera la productivité des juristes et leur permettra de se concentrer sur les taches à forte valeur ajoutée, rappelle Stéphane Puel. Or, plus les directions juridiques sont efficaces en interne, moins le recours à un avocat est nécessaire sur un grand nombre de sujets : les cabinets devront s’adapter ». Ces derniers n’interviendraient alors, auprès des directions juridiques, que pour les aider sur des sujets à forte valeur ajoutée ou leur faire bénéficier de leurs équipes pluridisciplinaires, dont elles ne disposeraient pas en interne.

RGPD, Sapin II et devoir de vigilance, au cœur des préoccupations de la direction juridique

La Cartographie s’intéresse enfin à l’avancement de la mise en œuvre des dispositions du RGPD, de la loi Sapin II et de celle relative au devoir de vigilance.

Dans le cadre de l’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai dernier, 40 % des entreprises du panel auraient déjà nommé leur data protection officer (DPO) et 50 % prévoiraient d’en nommer un. Celui-ci serait majoritairement rattaché à la direction juridique (41 %) ou à la direction générale / secrétariat général (23 %), même si 14 % des entreprises hésiteraient encore entre la direction juridique et la direction informatique.

Plus de 85 % des entreprises du panel entreraient, par ailleurs, dans le champ d’application de la loi Sapin II. Le pilotage de la mise en œuvre de ses dispositions serait confié dans 70 % des cas à la direction juridique. Plus de 85 % entreprises auraient également indiqué avoir mis en place un programme de conformité anti-corruption, en faisant appel, pour la moitié d’entre elles, à des avocats ou des consultants spécialisés. Même constat, concernant la mise en œuvre des dispositions de la loi relative au devoir de vigilance, auquel est soumis 52 % du panel. Ici aussi, le pilotage de sa mise en œuvre serait le plus souvent confié (59 %) à la direction juridique. Enfin, plus de 60 % des entreprises entrant dans le champ d’application de la loi indiquent avoir mis en place un plan de vigilance et près de deux tiers d’entre elles ont défini ce dernier avec des ressources humaines internes.

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