Avocats : ce que veulent les entreprises
Le cabinet Gide, en collaboration avec le Cercle Montesquieu, vient de publier une étude réalisée par Odoxa sur les attentes des entreprises vis-à-vis des cabinets d’avocats. Les critères déterminants du choix d’un avocat par les directeurs juridiques sont détaillés par les enquêteurs. Synthèse de résultats déconcertants.
Le panel – essentiellement constitué de directeurs et responsables juridiques d’entreprises de grande taille - a été interrogé sur les critères qui comptaient le plus dans le choix des cabinets d’avocats avec lesquels l’entreprise collabore. Les résultats de l’étude sont sans appel et il résulte de cette première interrogation que c’est principalement la relation de confiance, entretenue par le dirigeant concerné avec le cabinet, qui est cruciale (67 % des sondés). Le rapport qualité/prix de la prestation fournie dont beaucoup pensent qu’il est l’alpha et l’oméga de la relation client/fournisseur, y compris en matière de prestations juridiques, n’est cité qu’en 2e position, par 59 % des dirigeants. Ils sont 38 % à plébisciter la présence d’un avocat en particulier, mais paradoxalement, la composition de l’équipe avec laquelle ils sont amenés à travailler ne compte que pour moins d’un tiers des personnes visées (29 %), ce qui est contradictoire. La spécialisation du cabinet (27 %) et les précédents avec le cabinet (23 %) ont le même ordre d’importance. Il est également intéressant de constater que la pluridisciplinarité ou la multitude de services offerts par le cabinet ne sont déterminants qu’à hauteur de 14 % à peine, à rebours de l’idée reçue selon laquelle les clients recherchent avant tout des firmes « full services ». L’importance du réseau international (10 %) et la coordination à l’international avec des cabinets partenaires (12 %) arrivent en queue de peloton. La diversité des équipes et le classement du cabinet dans des guides spécialisés sont très peu cités (respectivement 3 et 1 % des réponses).
L’étude démontre, pour résumer, qu’il est fondamental que le cabinet soit bien « incarné » et que la notoriété ou la taille ne sont pas des éléments déterminants. Mais cette importance de la « relation humaine » n’est toutefois pas confirmée par tous les autres éléments de l’étude.
Motifs de rupture des relations : l’argent toujours en tête
C’est une question ouverte qui a été posée aux sondés sur les raisons pour lesquelles ils pourraient envisager d’arrêter de travailler avec un cabinet. En tête et de manière assez logique, on trouve les « mauvaises surprises » de facturation. Les répondants citent ainsi, à 58 %, le coût trop élevé des prestations, le rapport qualité/prix non satisfaisant et enfin, le manque de transparence dans la facturation, considérations pratiques somme toute éloignées de celles relatives à la personnalisation de la relation client/avocat.
En deuxième position vient la faible qualité des conseils et le manque de compétence, cités comme des critères de rupture par 49 % des personnes interrogées. Un tiers d’entre elles sont rebutées par le manque de réactivité de l’avocat et le non-respect des délais (31 %). La rupture de la relation de confiance et l’attitude de l’équipe n’arrivent qu’en 4e motif de cessation des relations avec le cabinet, pour 27 % des décideurs. Quelque 22 % n’hésitent pas à mettre fin à la collaboration s’ils considèrent que les avocats ne comprennent pas ou ne s’adaptent pas aux enjeux de l’entreprise et de son secteur. C’est ensuite le manque d’accompagnement de suivi et le manque d’initiative qui sont cités par 20 % du panel et le changement d’équipe ou d’interlocuteur (17 %). Le manque de disponibilité et l’absence de communication est un élément rédhibitoire pour 10 % seulement, mais l’on s’interroge toujours sur la différenciation avec le manque de réactivité qui nous semble assez floue…
Des conseils, des initiatives, du suivi
Ce sont les réponses les plus fréquemment données à la question des attentes principales vis-à-vis du cabinet d’avocat. Les répondants attendent de l’avocat qu’il aille au-delà de l’analyse juridique et qu’il propose des conseils à son client, disent-ils à 79 %. Quelque 75 % réclament de la proactivité par rapport aux enjeux, juridiques cette fois, auxquels est confrontée l’entreprise. Et près de la moitié d’entre eux (46 %) demandent un interlocuteur unique, en mesure d’assurer le suivi de leur dossier. Dans le même ordre d’idées, ils apprécient une bonne communication entre les différents avocats du cabinet (37 %).
Un avocat à l’écoute et synthétique
L’étude a interrogé le panel sur les qualités les plus importantes recherchées chez un avocat, l’expertise juridique mise de côté. Ce sont la disponibilité et l’écoute qui arrivent en tête, qualités citées par 62 % des personnes. En deuxième position est visée une qualité assez nouvelle : la capacité de synthèse. L’exhaustivité, longtemps considérée comme un gage de qualité, n’a clairement plus lieu d’être. Les entrepreneurs attendent également de l’avocat la compréhension des mécanismes de l’entreprise (41 %) et du secteur d’activité (33 %), ce qui est relativement classique. Plus surprenante est l’importance donnée par un tiers des répondants (33 %) à une qualité très subjective et non mesurable : l’intuitu personae. Pour faire confiance à son avocat, il faut donc bien s’entendre avec lui et inversement. La notoriété n’est que très peu citée de même que la capacité du professionnel à apporter des solutions à une problématique, qualités qui recueillent chacune à peine 1 % des suffrages.
Les nouvelles préoccupations juridiques
Les dirigeants sont très majoritairement préoccupés par le sujet de la compliance ou de la conformité, cité par 57 % des répondants. C’est la question de la gestion et de la protection des données qui est citée ensuite, 34 % des répondants déclarant y être confrontés. Les préoccupations qui viennent ensuite sont plus classiques et concernent des opérations de croissance traditionnelles : les restructurations ou réorganisations (21 %), les fusions-acquisitions (25 %), le développement à l’international (20 %) et le développement d’une nouvelle activité ou d’une nouvelle branche (19 %). C’est ensuite un autre « sujet d’actualité » qui est cité puisque 16 % du panel dit être préoccupé par les questions sur l’environnement et la RSE. Le Brexit ne semble quant à lui inquiéter que 8 % des répondants. En queue de peloton, les enjeux se répartissent ensuite entre l’activisme dans les sociétés cotées (3 %), la blockchain (3 %), divers projets d’investissement (3 %), des sujets liés au droit de la concurrence (2 %). Il est surprenant de constater que la question des contentieux n’est significative que pour 1 % seulement des personnes interrogées.
Externalisation et prestations annexes
Autre paradoxe, mais l’étude n’est pas à une contradiction près, ce sont pourtant les dossiers contentieux qui sont les plus confiés à l’expertise d’un cabinet d’avocat, puisque 74 % des répondants indiquent les externaliser systématiquement. Un peu plus de la moitié d’entre eux choisissent également d’externaliser les projets de fusions-acquisitions, mais les réponses, en dehors de ces deux sujets sont ensuite très faibles. Seuls 15 % confient aux avocats la réalisation de prestations liées au droit des sociétés ou au corporate, 8 % leur font confiance pour passer en revue leurs modèles de contrats et seulement 5 % leur demandent de travailler sur la conformité et l’audit interne, ce qui est assez contradictoire puisqu’ils déclarent que cette dernière question est le premier enjeu auquel elles sont confrontées. La contradiction ne manquera pas d’interpeller les praticiens. Est-ce à dire que sur ces sujets important qui les accaparent les directeurs juridiques rechignent à externaliser, et ce alors même qu’ils demandent aux avocats des conseils allant au-delà des frontières de la matière juridique ? En dehors de ces prestations de conseil, les entreprises sont cependant prêtes à rémunérer les cabinets d’avocats pour qu’ils viennent dispenser des formations juridiques en interne (59 %), ce qui pourrait confirmer cette tendance à préférer l’internalisation. Elles sont également demandeuses de détachements à 38 %, et sont aussi 31 % à être intéressées par la gamme des services numériques que peut proposer un cabinet d’avocats (plateformes, solutions d’analyse de documents, etc.). En revanche, elles semblent délaisser les formations non-juridiques qui peuvent être parfois proposées à destination des juristes internes (management ou comportement).
Facturation et innovation technologique
La facturation des honoraires est, comme nous l’avons vu, l’une des préoccupations premières du panel. Une question vient préciser ce que souhaitent les entreprises sur ce front. Seules 12 % privilégient la facturation au temps passé qui semble être désormais une pratique d'antan. Elles lui préfèrent, en grande majorité, une facturation au forfait, claire et prévisible. À défaut, la fixation d’un plafond d’honoraires ou d’un budget peut les satisfaire à hauteur de 21 % pour chacune de ces solutions. Il sera noté que les formules plus innovantes, comme la facturation au volume, le taux pondéré (blended rate), l’abonnement ou même l’honoraire de résultat ne semble pas recueillir les suffrages (1 % pour chacune de ces formules). Est-ce dû au fait que ces formules sont encore rarement proposées en France ?
Concernant les innovations technologiques parfois proposées par les cabinets, on notera l’intérêt du panel pour à peu près toute la gamme des outils proposés sur le marché. L’accès à des bases de jurisprudence ou à des outils prédictifs d’aide à la décision (35 %) arrive en premier, immédiatement suivi d’une appétence pour les logiciels d’automatisation de contrat et les plateformes d’e-learning juridiques (34 % chacun). Les outils d’analyse de de documents (data-rooms électroniques ou outils de due diligence) intéressent 29 % des personnes interrogées. Elles plébiscitent aussi les outils collaboratifs (25 %), ou les applications et outils qui proposent des services juridiques numérisés (23 %). Les outils de contract management leur apparaissent aussi utiles (15 %), de même que les propositions autour du legal design et de la gestion de projet (respectivement 15 à 14 %).
Au vu de cette étude, il semble donc que les souhaits des directeurs juridiques n’apparaissent pas véritablement tranchés. Les entreprises souhaitent pouvoir faire confiance à leurs avocats, mais sans les impliquer trop profondément dans leur stratégie, ce qui est toujours compliqué. L’étude, avec ses nombreuses contradictions, semble démontrer que l’avocat n’a pas encore acquis la place de véritable partenaire à laquelle, pourtant, il aspire et qu’il reste cantonné à la résolution des contentieux et parfois à quelques opérations ponctuelles de croissance.