Conserver les bonnes pratiques de gouvernance nées pendant la crise sanitaire
Le Haut comité juridique de la place financière de Paris, (HCJP) vient de publier le rapport du groupe de travail sur l’adaptation de la gouvernance des sociétés aux périodes de crise, constitué sous l’égide d’Alain Couret, professeur émérite de l’université Paris I Panthéon Sorbonne et avocat associé de KPMG Avocats, et d’Anne Outin-Adam, ex-directrice des politiques juridiques et économiques de la CCI Paris Île-de-France. Composé de spécialistes de la question, le groupe de travail liste 20 mesures qui ont été adoptées provisoirement et en urgence pendant la crise du Covid, mais qui devraient, selon eux, être pérennisées.
À quelque chose, malheur est bon », dit la sagesse populaire. Le rapport s’ouvre par une phrase du conseiller de Barack Obama, Rahm Emanuel : « Ne jamais gaspiller une grave crise. C’est l’occasion de faire des choses que l’on croyait impossibles ». Or le groupe de travail constate que la crise du Covid a révélé le caractère inadapté de certaines règles de gouvernance d’entreprise, car trop rigides. Il reconnaît le caractère précipité de certaines mesures, prises en urgence pour assurer la continuité du fonctionnement des entreprises, qui ont été justement critiquées. Mais pour autant, toutes ces mesures, qu’elles soient franco-françaises ou aient été prises dans d’autres pays, ne doivent pas être oubliées. Elles peuvent être améliorées et parfois retravaillées pour devenir des outils efficaces, non seulement en cas de survenance d’une nouvelle crise, mais également dans un contexte de fonctionnement ordinaire. Le HCJP divise ses 20 propositions en deux grandes parties : l’une, sur l’amélioration des outils de gouvernance et, l’autre, sur la tenue des assemblées générales (AG) en temps de crise.
Améliorer la gouvernance au quotidien
a crise a révélé certaines rigidités de la gouvernance, ayant dû être assouplies par la force des choses. Les points bloquants concernaient, d’une part, la manière dont s’expriment les membres des conseils d’administration et des organes de direction et, d’autre part, les modalités de communication avec les actionnaires. La première proposition est de permettre le recours à la visioconférence ou la télécommunication quel que soit l’ordre du jour, y compris pour les décisions concernant les comptes annuels, les comptes consolidés et le rapport de gestion, dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés cotées comme non cotées. Le corollaire de cette modification est évidemment d’adapter les règles de quorum et de majorité dans les sociétés cotées, en prenant en compte les administrateurs qui participent au conseil à distance. Il est précisé que les statuts et le règlement intérieur de l’entreprise pourront limiter les réunions à distance. Cette limitation pourra également exister dans les sociétés non cotées. Une autre proposition vise à permettre au président du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, dans la limite de ce que proposent les statuts, d’organiser le recours à la consultation écrite, y compris électronique. Les administrateurs disposant, chacun, de la possibilité de s’y opposer - le seuil d’opposition pouvant d’ailleurs être plus élevé dans les entreprises non cotées. Le groupe de travail propose aussi de fluidifier la communication avec les actionnaires, notamment en évitant la perte de temps que constitue, pour l’entreprise, le fait de devoir leur communiquer des documents déjà publiés sur le site de la société. La communication individuelle avec chaque actionnaire sera modernisée en incluant leur adresse électronique dans les bordereaux de référence nominative (BRN) et en instaurant le principe de la convocation aux AG par voie électronique (avec droit d’opposition de chaque actionnaire). Le groupe de travail voudrait, plus généralement, assimiler la communication par voie électronique aux moyens de communication traditionnels.
Réformer la tenue des AG
Une salve de propositions vise à améliorer les modalités du vote en AG, en s’inspirant notamment des exemples étrangers, égrenés dans le rapport, et des adaptations ayant eu lieu avec la crise. Le document préconise ainsi l’introduction du vote par correspondance dans les SARL, la possibilité d’un vote par correspondance électronique dans les SA et les SCA cotées et non cotées, ainsi que la fin de l’obligation pour les entreprises de créer un site exclusivement dédié au vote électronique en AG. Le vote électronique sera aussi étendu aux procurations, avec la possibilité pour les actionnaires mandatés par un autre de transmettre électroniquement les instructions reçues du mandant, par le biais d’un vote par correspondance ou d’un vote en direct et à distance. Les trois autres propositions suivantes ont pour but d’assouplir les modalités techniques du vote électronique direct à distance, déjà permis par la loi, en garantissant sa sécurité. Tout d’abord, estime le groupe de travail, le délai d’inscription en compte des titres au nom de l’actionnaire, qui permet d’ouvrir les droits au vote, est trop court et devra être rallongé, avec la possibilité d’inscrire les titres sept jours avant la date de l’AG. L’exigence de retransmission de la voix des participants à l’assemblée, parfois compliquée à réaliser sur le plan technique, sera supprimée. Le groupe de travail propose également de créer une carte d’admission virtuelle normalisée pour permettre l’identification des actionnaires, notamment au moyen de la technologie blockchain. Enfin, pour que les défaillances technologiques ne causent pas intempestivement l’invalidation des débats, il est proposé de limiter la nullité des résolutions en pareille hypothèse, sauf si l’actionnaire démontre, dans les trois mois de la tenue de l’AG, que cette défaillance technique lui a fait grief. Le rapport préconise d’instaurer le principe d’égalité entre les participants aux AG, la participation sur place ou à distance donnant lieu aux mêmes droits. Pendant la crise, les émetteurs d’actions cotées avaient eu l’obligation d’assurer la retransmission audio/vidéo de l’assemblée en direct et en différé. Cette obligation sera maintenue, un décret en Conseil d’État précisant les modalités de cette diffusion. La dématérialisation ne doit pas non plus être prétexte à des oppositions et il est proposé de supprimer, dans les SA non cotées, le droit d’opposition des actionnaires à l’organisation d’assemblées générales extraordinaires entièrement dématérialisées. Enfin dans les SARL, le champ de la consultation écrite pourrait être étendu aux décisions d’approbation des comptes. Il sera précisé que si la consultation écrite est admise, une consultation écrite par voie numérique peut avoir lieu.