Comment gouverner les avocats ?
Barreau d’affaires contre barreaux de province, sociaux contre libéraux, querelle des anciens et des modernes…Les métaphores se suivent pour désigner l’ambiance tendue, au sein de la profession d’avocat, depuis que circule un rapport rédigé par le professeur Christophe Jamin à la demande du bâtonnier de Paris Pierre Hoffman, qui critique vivement le Conseil national des barreaux (CNB).
Au début de l’année 2019, il y a cinq ans maintenant, la présidente du CNB, Christiane Féral-Schuhl, le président de la Conférence des bâtonniers (Jérôme Gavaudan, qui deviendra ensuite président du CNB) et Marie-Aimée Peyron, bâtonnière de Paris, présentaient, ensemble, leurs vœux à la presse, dans les locaux flambant neufs du Conseil national des barreaux qui avait quitté la rue de Londres pour le boulevard Haussmann, assurant de l’unité de la profession à laquelle était reprochée sa représentation tripartite, aux positions souvent divergentes. Ce temps semble désormais lointain, tant les tensions se sont faites jour entre les trois instances d’une profession dont les conflits sont le métier - ceci expliquant sans doute cela.
Le dernier épisode de cette saga a débuté il y a quelques jours, lorsque le journal « Le Point » publie un article sur le rapport remis au barreau de Paris par Christophe Jamin. Dans ce document de 44 pages l’auteur conclut « à la hache », comme il le dit lui-même, que le CNB a fini par « se comporter à certains égards comme ces Ordres dont l’activité est essentiellement gestionnaire, voire comme un syndicat dont la fonction est revendicatrice » et se demande si, au regard du coût annuel de fonctionnement devenu considérable, l’institution peut se contenter de « ce genre d’orientations ». Si la suppression pure et simple du CNB est évoquée de façon incidente dans le rapport, l’universitaire, ancien doyen de l’Ecole de droit de sciences Po, donne surtout des pistes de réforme de l’instance représentative, suggérant notamment de revenir sur le système des vice-présidences de droit et de ne plus intégrer les avocats honoraires au collège électoral.
Le rapport avait été rédigé à la demande du conseil de l’Ordre des avocats de Paris après qu’en mars 2024, le CNB se soit prononcé contre la réforme consistant à introduire dans la loi la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, réforme à laquelle les Parisiens étaient largement favorables. Il convient de préciser, que concomitamment, Julie Couturier, nouvellement élue présidente du CNB, avait, de son côté, et dans le cadre de « la grande consultation des avocats », lancé des travaux sur la gouvernance de l’institution, qui se remettait en question.
Les fuites
L’article a cependant fait réagir et l’ensemble des représentants de la profession a voulu prendre connaissance du fameux rapport. Mais côté barreau de Paris, et comme le précisait le bâtonnier dans l’article du Point, on indiquait qu’il s’agissait d’un document de travail, sur lequel les MCO devaient travailler avant de livrer leurs conclusions. Le rapport était donc sous embargo strict. Deux jours après, toutefois, il était publié sur un groupe Facebook d’avocats et circulait largement dans la profession. « Pas le meilleur endroit où il pouvait fuiter… », regrette un avocat parisien.
Julie Couturier, dans une interview au Point du 13 novembre 2024, a réagi en rappelant que si le rapport ne concluait pas à la suppression du CNB, elle aurait « souhaité une contribution plus prospective et moins désobligeante à l’égard des barreaux de province ». Interrogés, les représentants des deux instances, barreau de Paris et CNB, ont indiqué avoir fait le choix de ne plus s’exprimer dans la presse à ce sujet.
Toutefois, de part et d’autre, les esprits semblent s’échauffer. Quelques avocats s’expriment sur les réseaux sociaux et réagissent de manière épidermique, les uns s’indignant de l’« obsession parisienne pathologique », d’autres adressant une « lettre ouverte » au bâtonnier de Paris indiquant suspendre désormais le paiement de leurs cotisations au CNB. L’association Avenir des barreaux de France (ABF), dans un communiqué du 11 novembre 2024 a largement critiqué le rapport, fustigeant son auteur qui ne mesure l’influence du barreau de Paris qu’en termes de chiffres d’affaires, alors que, selon le communiqué, 60 % des avocats français sont de province ou d’outre-mer. Le président de la conférence des bâtonniers, Jean-Raphaël Fernandez, qui n’avait pourtant pas donné suite aux sollicitations de Christophe Jamin en amont de l’écriture du rapport, s’est quant à lui exprimé dans les colonnes de nos confrères de « la Gazette du Palais » il y a quelques jours, estimant que les 45 000 avocats de province étaient « insultés » par ce document.
Lors de la dernière assemblée générale du CNB, qui s’est tenue le 15 novembre 2024, si les observateurs ont remarqué l’absence du bâtonnier de Paris, la séance s’est déroulée dans un calme relatif. Et alors que certains des membres ont défendu l’institution, les représentants du barreau d’affaires présents semblaient désireux de relativiser les conclusions contenues dans l’explosif rapport. En attendant, les travaux sur la gouvernance du CNB se poursuivent, que ce soit au sein du barreau de Paris, qui devrait, selon nos informations, examiner le rapport Jamin d’ici une quinzaine de jours, mais aussi du côté du CNB, qui complète ses travaux, issus de la « grande consultation » menée depuis le début du mandat. Côté parisien, en tout cas, la petite musique lancinante d’un Ordre national revient et devient de plus en plus audible.