Ce que pensent les entreprises de la justice
Les dirigeants d’entreprise en France sont partagés sur l’efficacité de la justice et l’estiment, pour la plupart, mal adaptée à leurs besoins. C’est ce que témoigne le dernier baromètre « Les entreprises et la justice » réalisée par OpinionWay pour le cabinet Racine. Explications.
Basé sur un échantillonnage de 301 entreprises interrogées, ce rapport réalisé par OpinionWay pour le cabinet Racine se concentre sur les réponses de sociétés de différentes tailles. 96 % comptent moins de 50 salariés, 2 % entre 50 et 99 salariés et 2 % plus de 100 salariés. Les secteurs d’activité représentés sont également variés : 34 % des entreprises appartiennent au commerce, 33 % aux services, 17 % à l’industrie et l’agriculture, et 16 % à la construction. Et les résultats sont plutôt déceptifs pour l’institution judiciaire.
Selon l’étude, 52 % des dirigeants estiment que la justice fonctionne mal en France, une défiance plus marquée en province avec 54 %. Pourtant, quelque 65 % des répondent affirment comprendre son fonctionnement. Patrick Sayer, président du tribunal de commerce de Paris, se veut néanmoins positif et remarque : « 62 % des dirigeants d’entreprises ont confiance en la justice. D’abord parce que culturellement, la justice française renvoie une image forte. Ensuite, parce que les auxiliaires de justice sont indispensables. Par exemple, un profane sans avocat, se retrouve bien vite décontenancé et sans défense face à la complexité du droit ». L’appréciation varie toutefois selon les profils, les dirigeants financiers et juridiques portant un regard plus positif, tandis que les petites entreprises se montrent plus sceptiques.
Un recours massif aux avocats
et une préférence pour la médiation
Les contentieux sont fréquents puisque 31 % des entreprises interrogées ont été confrontées à une question judiciaire ces cinq dernières années, un chiffre qui atteint 59 % pour celles de plus de 100 salariés. Les litiges les plus courants concernent les différends commerciaux et contractuels, qui représentent 45 % des cas, suivis par les conflits RH ou sociaux, qui touchent 41 % des entreprises. Enfin, les problèmes administratifs concernent 14 % des structures.
Face aux difficultés juridiques, 97 % des entreprises concernées ont fait appel à un cabinet d’avocats. Seuls 3 % ont choisi de ne pas y recourir, invoquant la résolution à l’amiable ou un manque de budget. L’étude met également en avant une tendance marquée dans le mode de résolution des conflits. La médiation est privilégiée dans 58 % des cas, loin devant les procédures civiles qui concernent 38 % des litiges et les procédures prud’hommales qui touchent 36 % des entreprises. Seuls 21 % des contentieux ont donné lieu à une procédure pénale. Ces chiffres témoignent d’une volonté des entreprises d’éviter les longs et coûteux procès. « Le recours à la médiation augmente à la fois parce que les entreprises ont compris qu’elles peuvent gagner beaucoup de temps et d’argent, mais aussi parce que ces procédures sont plus souvent recommandées et facilitées par les juridictions que dans le passé », a indiqué Bruno Cavalié, associé du cabinet Racine.
Un regard positif
sur les avocats
mais un besoin d’optimisation
Les cabinets d’avocats bénéficient d’une bonne image auprès de 80 % des dirigeants, avec une satisfaction moyenne de 7,2 sur 10. Les principaux points forts relevés par les répondants sont le respect de la confidentialité, qui obtient une note de 8,8 sur 10, et l’expertise juridique, évaluée à 7,5 sur 10. Toutefois, des critiques émergent, notamment sur le coût des services, jugé élevé par 97 % des répondants.
Et le rapport de confiance avec les avocats est de plus en plus essentiel, face notamment à l’accumulation de textes réglementaires ou législatifs, voire à la soft law. L’avenir s’annonce en effet exigeant pour les entreprises, confrontées à de nouvelles obligations telles que le devoir de vigilance, la CSRD ou encore l’IA Act. Quelque 63 % des dirigeants s’estiment prêts à faire face à ces évolutions. Pour autant ils ne se sentent pas forcément compétents pour relever seuls ces défis. La preuve : 42 % des entreprises ignorent encore l’existence de juridictions spécialisées pour traiter ces contentieux spécifiques. C’est pourquoi ils se reposent sur la confiance qu’ils accordent à leur avocat dans l’accompagnement de ces contentieux éventuels liées à l’IA, la CSRD ou encore le devoir de vigilance.
Prévention et accompagnement :
des leviers indispensables
Pour mieux gérer les contentieux, les entreprises misent avant tout sur la prévention et l’anticipation. Jacques Fineschi, ancien président du tribunal de commerce de Nanterre, rapporte que : « 58 % des dirigeants d’entreprises recherchent une solution à l’amiable et souhaitent passer par la médiation pour résoudre les conflits. 43 % d’entre eux préfèrent résoudre ou anticiper les problèmes avant d’entamer des procédures ». Par ailleurs, 40 % demandent un accompagnement juridique facilité.
Parmi les autres attentes, 27 % des entreprises souhaitent améliorer la communication et le dialogue pour limiter les conflits, 10 % réclament un accès facilité à l’expertise et à l’information juridiques et 12 % estiment nécessaire d’améliorer l’efficacité et la rapidité des processus juridiques. Jacques Fineschi le reconnaît : « il faut effectivement travailler sur la réduction du délai de traitement des différends ».
Cette étude, première du genre, a eu le mérite de soulever les points d’amélioration de l’institution. Le président Sayer a d’ailleurs conclu que l’initiative était « à saluer et à renouveler, tant la marge de progression est importante pour rapprocher davantage les justiciables des juges, sans quoi l’état de droit ne peut prospérer ».