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Avocats – députés : de nouvelles tendances se dessinent

Par Jeanne Disset

Avocat & député, un grand classique… Certes. Et cette nouvelle législature ne fait pas exception. Non que les professionnels du droit soient tellement plus nombreux qu’auparavant – une quarantaine, dont près de 35 avocats. Mais quelque chose d’autre est apparu : l’intérêt croissant des avocats d’affaires pour la députation, et une certaine présence chez le RN.

11 RN, 2 « ciottistes », 2 Droite Républicaine, 3 Horizons, 6 Ensemble pour la République, 2 Démocrates, 1 LIOT, 3 socialistes, 1 GD&R, 2 non-inscrits.

La majorité des députés avocats sortants ont en fait été réélus, comme Stéphane Mazars, Laurent Marcangeli, ou Jean Terlier qui pourra donc continuer à défendre la confidentialité des avis des juristes. Deux ne se sont pas représentés : Julien Bayou, réinscrit au tableau depuis quelque temps, retourne donc à la profession et il n’y a plus d’avocats écologistes à l’Assemblée. Emmanuel Pellerin rejoindrait lui le Conseil d’État, ayant laissé sa place à Stéphane Séjourné, le ministre des Affaires étrangères qui cherchait une circonscription (gagnable précisent certains).

Les sept battus pourraient bien tous reprendre leur robe : Raquel Garrido – en droit de la presse, sans doute plus comme avocate de LFI et de Jean-Luc Mélenchon ; Victor Habert-Dassault – avocat d’affaires ; Pierre Morel-À-L’Huissier en Lozère ; Emmanuelle Anthoine dans la Drôme ; Émilie Chandler – battue dans une des rares triangulaires où elle s’était maintenue ayant permis l’élection d’un RN dans le Val d’Oise ; Mangour Kamardine, ancien bâtonnier de Mayotte ; ou la RN Catherine Jaouen – battue par le LFI Raphaël Arnault. D’après nos sources, c’est très probable.

Parmi les 8 nouveaux venus, certains avocats sont déjà des élus comme Brigitte Barèges, élue « ciottiste » maire de Montauban, ou Philippe Bonnecarrère, sénateur maire d’Albi monté au créneau pour faire barrage au RN. Mais plusieurs personnalités se détachent. Caroline Yadan, Ensemble pour la République, avocate en droit de la famille, a été élue députée de la 8e circonscription des Français de l’étranger, battant Meyer Habib. Elle a été une responsable très active du pôle antisémitisme de la Licra avant de s’engager en politique. Sylvie Josserand, RN, élue dans le Gard, pénaliste, est une enseignante très active et renommée à la faculté de Nîmes. L’élue de l’Yonne, Sophie-Laurence Roy, RN mais élue sous l’étiquette « LR RN » qui n’a pas rejoint le groupe d’Éric Ciotti « À droite », est la fondatrice du cabinet RCS & Associés, cabinet dédié aux PME. Ou encore Frédéric-Pierre Vos, élu RN de l’Oise, cofondateur du cabinet LVI Avocats associés, décrit comme un procédurier et comme un intime de Marine Le Pen par la presse, connu pour avoir racheté le nom « Rassemblement national » à une association pour le compte du FN en 2018.

Une présence dans les instances
qui se confirme

La bonne implantation des robes noires dans les instances qui dirigent l’Assemblée nationale se confirme. Yaël Braun Pivet, réélue, redevient présidente de l’Assemblée nationale. Idem pour la vice-présidente Naïma Moutchou. Deux pénalistes, passées par la commission des lois. Celle-ci ne sera plus présidée par un avocat, Sacha Houlié, pourtant réélu, siégeant désormais chez les non-inscrits et à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mais par Florent Boudié, un ancien professeur de droit passé par la région Aquitaine où il conseillait le président avant d’être élu député en 2012. Si la présidence de la commission est pour Ensemble pour la République, une vice-présidente, Pascale Bordes, avocate du Gard et réélue, est Rassemblement national, et une secrétaire, Collette Capdevielle, avocate des Pyrénées-Atlantiques, est socialiste. 13 avocats, 15 professionnels du droit sur les 73 membres de la Commission. Trois autres avocats sont vice-président de leur Commission (Frédérique Meunier, Eloïse Caroit et Jean-Yves Thiériot).

Tendances à suivre

Deux tendances, qui ont été révélées par ces élections, sont à suivre. Elles étaient jusqu’ici exceptionnelles. Aujourd’hui, des systématiques se profilent.

D’abord, les cabinets d’affaires voient de plus en plus leurs associés s’engager en politique. Les pénalistes, les indépendants (exerçant seul) ou les généralistes notables de province étaient, jusqu’ici, les avocats types de l’élection à la députation. Petit à petit les lignes bougent : de plus en plus d’avocats du barreau d’affaires, et de cabinets d’affaires importants se présentent. Ce qui n’est pas sans créer des remous dans leur cabinet d’origine quand leur engagement est soit trop ostensible, soit pour un parti ne faisant pas l’unanimité dans le cabinet. Il y a même un vrai risque d’image que visent en ce moment quelques cabinets parisiens, vu la dissonance cognitive entre les activités des associés ou même entre le choix politique d’un associé et les engagements du cabinet (pro bono, choix de clientèle, raison d’être…).

Il faut en outre constater une montée en gamme chez les avocats de l’étiquette RN. Marine Le Pen a longtemps été la seule avocate du mouvement. Maintenant, ce sont des notables installés et reconnus, et des avocats d’affaires. Cela s’est remarqué sur les candidatures. Des personnalités d’extrême-droite ou des cabinets réputés très à droite (Isorni, Varaut, Collard, Tixier-Vignancour…) – ou très à gauche d’ailleurs –, cela ne date pas d’aujourd’hui. Mais c’était des personnalités exerçant en individuel ou des cabinets rares et « compacts » autour d’elles. Le RN aujourd’hui, comme dans toutes les catégories sociales, s’installe chez les avocats, c’est la progression de ce vote dans les catégories CSP +, même si celles-ci sont aussi les plus portées vers le front républicain. Aujourd’hui, c’est 10 % de l’effectif du groupe RN à l’Assemblée. Comme le constate un connaisseur de la vie de la profession, « les principes essentiels de la profession ne protègent pas du vote extrémiste ». Le CNB et le barreau de Paris ont d’ailleurs jugé nécessaire de prendre fermement position pendant la campagne.

Fort de ces deux tendances, certaines situations deviennent presque explosives. Car un avocat de droite, se présentant « droite soutenue par le RN », change la donne pour son cabinet, et pour les clients. Pour les cabinets dont l’associé a été élu, il est nécessaire de clarifier la situation – ce qui n’a pas été fait pour l’instant pour la majorité d’entre eux. Bien sûr pour ceux dont l’associé n’a pas été élu, cela peut apparemment simplifier les choses. Cependant, on ne pourra pas faire « comme avant ». Et puis élu ou pas élu, un client pourra toujours poser la question qui fâche et se détourner du cabinet pour un engagement trop ostentatoire. Des entreprises, engagées sur un travail RSE, pourrait-elle conserver un cabinet ayant de telles positions chez un ou plusieurs associés ?