Action de groupe : la réforme enfin adoptée
Après un long parcours législatif, la réforme de l’action de groupe en France est désormais adoptée et devrait être prochainement promulguée sous réserve d’un éventuel contrôle de constitutionnalité. Pour en comprendre les enjeux, Dimitri Lecat, associé au sein de l’équipe contentieux chez Freshfields apporte son analyse. Spécialisé en contentieux commercial, bancaire et financier, ainsi qu’en enquêtes réglementaires et actions collectives, il revient sur les principaux changements apportés par cette réforme, ses implications pour les entreprises, et le rôle croissant du financement par des tiers.
La réforme de l’action de groupe vient d’être adoptée après un long processus législatif. Quels en sont les principaux changements ?
Cette réforme apporte des évolutions significatives sans pour autant constituer une révolution. Le principe de l’« opt-in » est maintenu : les personnes concernées doivent toujours manifester explicitement leur volonté de rejoindre le groupe une fois constitué. Toutefois, la réforme vise à universaliser l’action de groupe en France. Initialement introduite par la loi Hamon pour les consommateurs, puis étendue à la santé et à la lutte contre les discriminations, l’action de groupe s’applique désormais de manière transversale, à quelques exceptions près. Un autre changement majeur concerne l’élargissement de la qualité pour agir. Jusqu’à présent, seules certaines associations agréées pouvaient introduire une action de groupe. Désormais, toute association déclarée depuis plus de deux ans peut engager une action en cessation de manquement, c’est-à-dire pour faire cesser un comportement illicite. En revanche, pour demander réparation d’un préjudice, l’agrément reste nécessaire. De plus, le ministère public peut désormais, selon les cas, engager ou se joindre à une action de groupe, renforçant ainsi la portée de ce dispositif. Enfin, le champ des bénéficiaires s’élargit. L’action de groupe n’est plus réservée qu’aux personnes physiques : les personnes morales peuvent désormais se regrouper, par exemple des PME unissant leurs forces contre un grand groupe. Cela ouvre la voie à des contentieux BtoB jusqu’alors impossibles dans le cadre d’une action de groupe.
Quels sont les critères de recevabilité
pour qu’une action de groupe soit admise
en justice ?
Les critères de recevabilité n’ont pas été fondamentalement modifiés. L’action doit toujours être portée par une entité qualifiée, pour le compte de plusieurs personnes placées dans une situation similaire, et impliquer un même manquement commis dans le cadre d’une activité professionnelle. Il est essentiel que les situations présentent une « communauté » suffisante, c’est-à-dire une caractéristique commune identifiable entre les victimes.
Anticipez-vous un risque accru pour
les entreprises avec cette réforme ?
Oui, probablement. Plusieurs facteurs contribuent à l’augmentation des risques pour les entreprises : l’uniformisation du régime, la meilleure information du public, l’extension aux personnes morales et le recours facilité au financement par des tiers. Ces éléments convergent vers une augmentation probable des actions de groupe. Par ailleurs, la réforme introduit une innovation notable : la possibilité, dans certaines circonstances, de prononcer une sanction civile à la demande du ministère public. Si une entreprise est reconnue responsable d’une faute délibérée ayant généré un profit — ce que l’on appelle parfois une faute « lucrative » —, elle pourrait se voir infliger une sanction allant jusqu’à cinq fois le profit réalisé. On observe ici une forme d’hybridation entre l’indemnitaire et le répressif, ce qui soulève des questions sur l’intention du législateur.
Le financement par des tiers est désormais reconnu par la réforme. Quelles en sont
les implications ?
Le financement par des tiers est un levier perçu selon certains comme essentiel pour soutenir le développement des actions de groupe car ces procédures sont longues, complexes et coûteuses. Le tiers financement, bien qu’autorisé, demeure jusqu’à présent relativement marginal en France. La réforme encadre désormais ce mécanisme avec un souci de transparence : les liens entre le tiers financeur et l’association représentante devront être rendus publics, afin d’éviter tout conflit d’intérêts. Le juge pourra déclarer l’action irrecevable s’il estime que l’indépendance n’est pas garantie. L’avènement d’un nouveau régime de l’action de groupe qui reconnait expressément la validité du tiers financement tout en l’encadrant pourrait aiguiser l’intérêt des tiers financeurs pour les actions de groupe et ce d’autant qu’aucun mécanisme de plafonnement de leur rémunération n’a été mis en place comme cela est le cas dans d’autres pays européens comme l’Allemagne.
Comment se positionne la France par rapport aux autres pays européens sur ce sujet ?
Certains pays, comme les Pays-Bas ou le Portugal, sont souvent cités comme des modèles attractifs pour les actions de groupe. Ils offrent un régime « opt-out » — c’est-à-dire que les personnes concernées font partie du groupe par défaut, sauf si elles se retirent — et acceptent largement le financement par des tiers. Les Pays-Bas, par exemple, sont devenus un véritable pôle d’attraction pour les contentieux transnationaux. Le Portugal a également développé un régime dynamique avec un nombre important d’actions en cours. Il s’agit de juridictions dans lesquelles les conditions de recevabilité des actions sont parfois appréciées de façon plus souple et dans lesquelles le temps de la justice est généralement plus court qu’en France.
Il reste à voir si cette réforme pourrait changer la donne, en professionnalisant l’action de groupe et en créant un environnement plus favorable à sa mise en œuvre.(1)