Transfert de la responsabilité pénale dans les opérations de fusion-absorption : un revirement décisif
L’abandon de l’« approche anthropomorphique de l’opération de fusion-absorption ». La chambre criminelle de la Cour de Cassation qualifie ainsi son revirement du 25 novembre 2020 consacrant, sous certaines conditions, le transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée vers la société absorbante.
Cet arrêt (n° 18-86.955) met un terme à l’analyse traditionnelle de la Chambre criminelle qui assimilait la dissolution de la société absorbée au décès d’une personne physique et considérait, sur le fondement du principe de responsabilité pénale du fait personnel (a. 121-1 C. pén.), que la disparition légale de la société absorbée éteignait l’action publique et empêchait de poursuivre la société absorbante au titre des faits commis par la société absorbée.
Ce revirement se justifie, selon la Cour, par la nécessité de prendre désormais en compte la réalité économique et la continuité fonctionnelle de la personne morale dans le cadre d’une fusion-absorption.
Cet arrêt s’interprète surtout comme la conséquence d’un mouvement jurisprudentiel européen convergent, issu de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 5 mars 2015, C-343/13) et de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 24 oct. 2019, n° 37858/14). Sur cette base, la Chambre criminelle se reconnaît désormais fondée à une nouvelle interprétation de l’article 121-1 du Code pénal, permettant que la société absorbante soit poursuivie et condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. La société absorbante pourra se prévaloir des droits et moyens de défense que la société absorbée aurait pu invoquer.
La Cour précise certaines conditions : le principe de transfert de responsabilité pénale s’applique aux opérations de fusion-absorption conclues après le 25 novembre 2020 et portant sur des sociétés anonymes ou par actions simplifiées entrant dans le champ de la directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978 (codifiée par la directive (UE) 2017/1132). De plus, « seules » les peines d’amende et de confiscation – qui peuvent néanmoins donner lieu à une mention sur le casier judiciaire – peuvent être prononcées à l’encontre de la société absorbante.
Demeure inchangé le principe de la responsabilité pleine et entière de la société absorbante (quelle que soit la date de fusion et la forme de la société) lorsque l’opération de fusion-absorption s’analyse en une fraude à la loi.
Ce revirement soulève des incertitudes et appelle à la vigilance dans le cadre des futures opérations compte tenu de l’importante majoration du risque pénal. La limitation du principe aux seules sociétés visées par la directive européenne interroge d’abord quant à la cohérence avec le Code de commerce dont les dispositions sur les fusions-absorptions s’appliquent indistinctement à toutes les sociétés commerciales. En outre, si l’arrêt se limite aux fusions-absorptions, il est loisible de se demander si cette solution ne pourrait pas s’appliquer plus largement à toute opération entrainant disparition de la personne morale à laquelle l’infraction est imputable (ex. fusion par création de société nouvelle, scission).
Le nouveau risque pénal se matérialise dans les opérations de cession de droits sociaux lorsque la société cédée a – notamment au sein de groupes de sociétés et au cours de restructurations internes – absorbé une ou plusieurs filiales afin de regrouper l’activité à céder et a pu se voir transmettre un passif découlant d’infractions commises par les sociétés absorbées, sans même en avoir connaissance (ex. infractions occultes). Afin de protéger le cessionnaire du risque de passif pénal, il serait recommandé de renforcer l’audit pénal préalable à l’opération et de prévoir des clauses adéquates dans le contrat de cession aux fins de couvrir le risque de révélation après la cession d’infractions imputables à la société cible.