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La tentation du bruit

Par Charlotte Vier, Fondatrice, Avocom

Le contexte absolument inédit que nous connaissons avec cette période de crise sanitaire et ses impacts profonds sur l’organisation du travail de chacun et l’activité économique, vient rebattre les cartes tous azimuts et la communication des structures de conseil n’y échappe pas.

A situation exceptionnelle, communication exceptionnelle ?

La présence des cabinets d’avocats sur les réseaux sociaux, LinkedIn en premier chef, a explosé dès les premières heures du confinement. Chacun décrypte pour ses clients et partenaires, les enjeux de cette crise sans précédent et les impacts des mesures gouvernementales. Newsletters, prises de paroles médiatiques, vidéos, podcasts, webinars… les initiatives fleurissent chaque jour pour rester en contact avec ses publics, informer, orienter, rassurer et peut-être tout simplement exister.

On peut d’ores et déjà, après 6 semaines de recul, tirer quelques constats et enseignements sur cette accélération de la communication BtoB en temps de Covid19.

DU BESOIN D’INFORMER A L’INJONCTION D’EXISTER

Dès l’annonce du confinement, auxquels certains étaient plus prêts que d’autres en termes de logistique et d‘organisation, sont apparus des dizaines de posts de cabinets assurant de la continuité de leur fonctionnement : « business as usual ». Ces messages avaient vocation à informer les clients sur la capacité de leurs avocats à poursuivre leur mission auprès d’eux de la manière la plus normale possible.  Quelques semaines plus tard, on peut se demander si cette communication ne relevait pas d’une nécessaire auto-persuasion, sorte de réflexe de protection et d’auto-conditionnement en ces temps de sidération, pour se rassurer avant tout soi-même dans un contexte profondément anxiogène et bouleversé.

Cette phase était probablement nécessaire pour « encaisser » et réaliser ce changement de vie brutal et subi.

Ces premiers jours ont très vite été suivis d’une phase d’information aigüe et technique sur les conséquence, pour les entreprises, du confinement et de l’arrêt de nombreux secteurs d’activité et sur les impacts de la série d’ordonnances prises par le Gouvernement fin mars.

Il s’agissait alors de répondre au besoin d’information de son réseau en décryptant pour lui la mise en œuvre, et éventuelles chausse-trappes, de ces mesures exceptionnelles.

Dans ce cadre, l’avocat remplit bien son rôle d’assistance et de conseil mais il s‘agit aussi pour lui de maintenir le lien et d’exister sur un marché profondément fragilisé.

En parallèle à ces actions de communication externe, ont émergé de multiple initiatives de communication interne pour conserver un bon esprit d’équipe, préserver l’efficacité du travail de chacun et s’assurer (c’est aussi le rôle du manager), que personne ne « décroche » du fait d’un trop lourd isolement ou de soucis d’organisation voire de problèmes personnels.

Mission accomplie globalement dans cette première phase de confinement car les parties prenantes ont en effet bénéficié d’une information le plus souvent de qualité, pléthorique, efficace…  Au risque d’ailleurs que certaines ne s’en contentent sans recourir à des conseils plus ciblés et personnalisés via une consultation…

Au risque peut-être également de saturer fils d’info et boites mails de newsletters et autres contenus non sollicités  ?

L’INFOBESITE OU LE RISQUE DE SATURATION

La quasi-totalité des médias est en édition spéciale depuis le 17 mars. Presse quotidienne, presse économique, presse sectorielle, l’immense majorité des contenus est liée à l’actualité de la crise sanitaire et ses conséquences. Le besoin de chaque citoyen de s’informer entre cependant de plus en plus en conflit avec celui de se protéger d’un flux d’informations continu, anxiogène, aux messages parfois contradictoires et menant surtout au constat, jour après jour, que nous sommes avant tout dans une zone de grande incertitude voire d’inconnu complet.

Cette saturation ressentie par certains peut aussi émerger face à la communication corporate des marques en BtoB comme en BtoC. Plusieurs enseignes grand public l’ont appris à leurs dépens. On pense notamment au « shitstorm » contre la marque d’optique Polette qui avait lancé une campagne dès la mi-mars avec ce slogan « Restez protégés. 2 masques sanitaires offerts pour chaque commande”. L’initiative a suscité une vague d’indignation et la société s’est vue accusée de récupération pour le moins indélicate et déplacée, obligeant son fondateur à retirer la campagne, à s’excuser et même à annoncer en guise de mea culpa, des dons de masques aux soignants.  D’autres marques se font régulièrement épingler sur les réseaux sociaux pour leur communication positive voire enjouée, poussant à la consommation de produits et services dits futiles, en cette période où nombre d’entre nous sont dans une situation économique précaire ou bien au travail dans des conditions extrêmement difficiles.

Comme toujours, nous pouvons tirer des enseignements des erreurs de la communication BtoC sur le terrain de la communication institutionnelle BtoB.

L’équilibre est fragile et dur à trouver face au risque de paraître décalé. Fallait-il par exemple se féliciter de ses classements Legal 500 alors que clients et confrères se battent pour maintenir leur activité à flot ? Oui probablement  mais dans un tel moment tout est question de ton et de dosage.

La communication en temps de crise ne doit pas nécessairement répondre exactement aux mêmes objectifs et exigences qu’en période normale. Il s’agit avant tout d’aider, d’accompagner, de conseiller de manière probablement plus magnanime et moins commerciale que d’habitude. Pour autant, il ne faudrait pas, surtout dans la nouvelle séquence de déconfinement qui s’annonce, oublier les fondamentaux : la créativité et le sens qu’on donne aux actions de communication et marketing.

La communication c’est avant tout l’art de se distinguer : cela reste une des équations à résoudre actuellement. Or, aujourd’hui tous les cabinets se saisissent légitimement des mêmes sujets, souvent via les mêmes canaux (LinkedIn, newsletters, webinars…).

Personne ne peut prétendre savoir mieux qu’un autre quand et comment nous sortirons de la crise même si on sait déjà que les pertes seront immenses et les esprits profondément marqués.

Cela ne doit pas pour autant brider l’analyse, la prospective, la prise de parole. Il est déjà temps de poser les questions, d’anticiper et d’imaginer la suite !

TROUVER LE BON TEMPO ET DONNER DU SENS

Dans la configuration actuelle le risque premier serait celui du monologue or communiquer c’est d’abord dialoguer. Dialoguer pour garder le lien, s’enrichir les uns les autres, répondre aux vrais besoins de ses clients, dans le bon timing.

Plus que jamais il faut tendre à la créativité pour adapter les outils du dialogue et les utiliser avec équilibre. Malgré l’accélération permanente encore renforcée par la situation d’urgence sanitaire, le dialogue fécond a besoin d’un peu de temps.

Le temps consacré à rédiger dans l’urgence la énième newsletter ne pourrait-il pas être mis profit pour appeler un client, faire le point sur sa situation, imaginer demain avec lui, anticiper, innover toujours ?

Cet échange peut se faire autrement, à plus large échelle, via des enquêtes on line, un questionnaire personnalisé, une visio-conférence pour un groupe restreint de clients qui pourraient également utilement dialoguer entre eux.

Innover c’est, par exemple, imaginer des partenariats « task forces » avec d’autres métiers car plus que jamais nous aurons besoin de croiser les regards et les expertises.

On parle beaucoup du monde d’après, de toutes les leçons que nous devrions collectivement tirer de cette catastrophe, de tout ce que nous avons à réinventer ensemble. Les sceptiques se font déjà entendre, les philosophes, économistes, éditorialistes également, participant tous à la fois de la cacophonie ambiante et du foisonnement d’idées prometteuses ou utopiques.

Le droit est structurant pour l’économie et la société, les cabinets d’avocats doivent être parties prenantes de ces réflexions, pour leurs clients mais aussi pour eux-mêmes !

C’est sans doute le moment de se pencher vraiment sur sa raison d’être que la crise va peut-être éclairer d’un jour nouveau et de questionner vraiment sa RSE.

Les communicants ont aussi leur part à prendre dans ces réflexions en imaginant des séquences et outils avant tout utiles et en inscrivant leur action dans une démarche réfléchie et riche de sens pour soi et les autres.

Charlotte Vier Communication Avocom