Démarchage, sollicitation, publicité : vers de nouvelles règles ?
Un rapport vient d’être présenté au Conseil national des barreaux (CNB) sur la levée prochaine de l'interdiction du démarchage pour la profession d’avocat. Plusieurs mesures ont été retenues par l’assemblée générale du CNB. Cette évolution du régime du démarchage est le fruit d’un long processus qui s’est déroulé au fil des années, notamment à la suite de la directive « Services » de 2006 et de l'arrêt de la CJUE de 2011, rendu à propos de démarchage chez les experts-comptables.
Un peu d’histoire…
Au préalable, rappelons que :
- La loi du 31 décembre 1971 fixe les règles relatives au démarchage. Son article 66-4 interdit aux avocats toute sorte de démarchage : « Sera puni des peines prévues à l'article 72 quiconque se sera livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique. Toute publicité aux mêmes fins est subordonnée au respect de conditions fixées par le décret visé à l'article 66-6 ».
- Le décret du 25 août 1972 (n° 72-785) relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d'actes juridiques restreint toutefois la définition du démarchage. Son article 1er prévoit ainsi : « Constitue un acte de démarchage au sens de l'article 66-4 de la loi du 31 décembre 1971 le fait d'offrir ses services, en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou de provoquer à la souscription d'un contrat aux mêmes fins, notamment en se rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence d'une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public » .
- La directive « Services » du 12 décembre 2006 impose la suppression de l'interdiction totale des communications commerciales des professions réglementées, sauf pour les notaires, huissiers de justice et professions de santé, n'entrant pas dans le champ de la directive.
- En mai 2010, l’article 10 du Règlement Intérieur National est modifié notamment pour assouplir les mentions à faire apparaître sur le papier à en tête du cabinet et aussi le démarchage (Journal officiel du 11/6/2010). Désormais, la publicité est permise à l'avocat si elle procure une information au public et si sa mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession. La publicité inclut la diffusion d'informations sur la nature des prestations de services proposées, dès lors qu'elle est exclusive de toute forme de démarchage.
Il convient de distinguer le démarchage interdit, de l’envoi de newsletters du cabinet, en grand nombre, qui n’est pas interdit en soi.
Rappelons toutefois que chaque barreau a sa propre définition, à géométrie variable, de la publicité, de la sollicitation personnelle et du démarchage.
- L’arrêt de la CJUE du 5 avril 2011,rendu à propos du démarchage de la profession d'expert-comptable (CJUE, 5 avr. 2011, aff. C-119/09, Sté fiduciaire nationale d'expertise comptable c/min. Budget, Comptes publics et Fonction publique), en réponse à une question préjudicielle du Conseil d'État, estime qu’une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d'une profession réglementée d'effectuer des actes de démarchage contrevient à l'article 24 de la directive « Services ».
La CJUE a ainsi condamné l’article 12-I du Code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable qui prévoyait qu’« il est interdit aux personnes mentionnées à l'article 1er d'effectuer toute démarche non sollicitée en vue de proposer leurs services à des tiers ».Toutefois l’article 12-II du Code de déontologie, comme toutes les autres dispositions du Code relatives à la discrétion, à la dignité et à l’honneur de la profession, continuent à s’appliquer pour assurer aux actions de communication du professionnel comptable la respectabilité attendue de toute profession réglementée. Le démarchage doit ainsi être réglementé dans des conditions conformes aux traditions d’une profession libérale et aux intérêts des clients.
- La décision du Conseil d'État du 22 juin 2011 entérine l'autorisation du démarchage pour la profession d’expert-comptable.
- Le 6 septembre 2012, la Commission européenne interpelle le gouvernement français pour lui demander la modification du décret relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d'actes juridiques qu'elle estime contraires aux dispositions de la directive « Services ».
- En septembre 2012, le barreau de Paris met en place un groupe de travail sur le démarchage. Dans un bulletin de septembre, il est précisé : « le recours au démarchage doit être envisagé dans le Règlement Intérieur National »", en application de la directive « Services » et suite à l'arrêt de la CJUE du 5 avril 2011, concernant l'interdiction de démarchage chez les experts-comptables.
- De son coté, le CNB s’est penché sur le sujet. Sa commission Règles et usages a, en effet, travaillé avec la Chancellerie en vue d'amender la loi du 31 décembre 1971. Un rapport vient d’être déposé en ce sens en septembre. Plusieurs mesures ont été retenues et votées par l’assemblée générale du CNB.
Les mesures votées par le CNB
Le CNB a retenu les évolutions suivantes :
1. Le respect des principes essentiels de la profession
Il a été prévu d’insérer à l'article 3 bis de la loi de 1971, des dispositions mentionnant que publicité et sollicitation personnalisées devront être conformes aux principes essentiels de la profession et respecter l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel.
Le rapport préfère la formule "publicité des avocats"au terme de " démarchage", à connotation négative, d’autant qu’il est délicat de dire aujourd’hui que le démarchage, interdit hier, sera autorisé demain. Mais l’assemblée générale du CNB n’a pas défini ces notions.
2. L’écrit obligatoire
Sur la forme, reprenant les travaux de l'Ordre des avocats au barreau de Paris, l’assemblée générale du CNB a également voté une mesure prévoyant que l'avocat qui sollicite un particulier au moyen d'une communication personnalisée ne peut le faire que par écrit.
Ainsi, cette sollicitation pourra faire l'objet d'un contrôle en cas de doute sur la vulnérabilité de la personne physique sollicitée. Il est donc interdit de procéder à des sollicitations personnalisées par oral.
En revanche, les sollicitations personnalisées orales sont autorisées pour les personnes morales, après une première sollicitation écrite à laquelle il a été répondu positivement.
3. Que des sanctions disciplinaires
Enfin, en cas de violation des règles, ce sont des sanctions disciplinaires qui seules s’appliqueront. Le démarchage est ainsi soumis aux seules règles déontologiques de la profession.
Le CNB exclut, en effet :
- les sanctions civiles, de type annulation du mandat ou de la convention d'honoraires ;
- les sanctions pénales. Une résolution a été adoptée par le CNB à l’unanimité, visant à exclure les avocats de la sanction pénale prévue par les dispositions de l'article L. 121-28 du code de la consommation, qui sanctionne sur le plan pénal le démarchage en vue de donner des consultations juridiques ou de rédiger des actes sous seing privé. Elle sera prochainement présentée à la Direction des affaires civiles et du Sceau, pour qu'elle tienne compte de ces propositions dans un texte qui pourrait être intégré dans un futur projet de loi portant sur l'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne.
Les autres personnes qui se livrent au démarchage en vue de donner des consultations juridiques ou de rédiger des actes sous seing privé y seraient, en revanche, soumises.