Renforcement du contrôle des investissements étrangers en France
Le Grand Confinement a impacté de manière significative le paysage économique français : risque accru de fragilisation de certaines entreprises françaises ; besoin de définir de nouveaux secteurs prioritaires nationaux. Dans ce contexte, le gouvernement français a fait le choix, le 29 avril 2020, de renforcer le contrôle des investissements étrangers en France. Celui-ci a décidé de soumettre le secteur des biotechnologies à autorisation et d’abaisser temporairement le seuil de déclenchement de la procédure d’autorisation préalable pour les sociétés cotées.
Le Grand Confinement[1] a impacté de manière significative le paysage économique français : risque accru de fragilisation de certaines entreprises françaises ; besoin de définir de nouveaux secteurs prioritaires nationaux. Dans ce contexte, le gouvernement français a fait le choix, le 29 avril 2020, de renforcer le contrôle des investissements étrangers en France. Celui-ci a décidé de soumettre le secteur des biotechnologies à autorisation et d’abaisser temporairement le seuil de déclenchement de la procédure d’autorisation préalable pour les sociétés cotées.
La France bénéficie d’une excellente image auprès des investisseurs étrangers. En 2019, elle se classait au deuxième rang des pays européens les plus attractifs pour l’accueil des investissements étrangers[2], et au cinquième rang au niveau mondial.[3] Pour garantir un équilibre entre opportunités économiques et restrictions des appétits des compétiteurs étrangers, la France s’est dotée d’un arsenal législatif pour maitriser et contrôler les investissements étrangers en France (« IEF »). Celui-ci a été progressivement adapté et étendu pour couvrir les nouveaux enjeux de sécurité économique et technologique.
Face aux enjeux géopolitiques du Grand Confinement, et s’inscrivant dans le sillage de l’Union européenne, la France a décidé le 29 avril 2020[4] de renforcer son cadre législatif afin de préserver la stabilité de son écosystème en vue de la reprise économique et le développement de ses technologies. Une prise de position importante à prendre en compte pour les investisseurs étrangers et leurs opérations présentes et futures en France.
Le contrôle des IEF constamment renforcé et clarifié
La France est dotée de l’un des régimes de contrôle des investissements étrangers les plus anciens au sein de l’Union européenne, datant d’une loi de 1966[5]. Ce régime a été constamment renforcé et ses derniers aménagements résultent d’un décret du 31 décembre 2019[6] et d’un arrêté du même jour, applicables depuis le 1er avril 2020. Ce régime repose sur la liberté des relations financières entre la France et l’étranger, qui doivent toutefois être contrôlées lorsque les opérations envisagées affectent des intérêts publics essentiels.
Le champ d'application du contrôle des IEF régulièrement étendu en fonction du contexte économique
Un IEF dans un secteur d’activité essentiel à la sauvegarde des intérêts nationaux, qu’il provienne d’un investisseur étranger ressortissant de l’Union européenne ou non, est soumis à une procédure d’autorisation préalable du ministre de l’Economie et des Finances (« MEF »), dès qu’il vise l’acquisition du contrôle ou une branche d’activité d’une entité de droit français, quelle que soit la taille de l’entreprise (grands groupes comme startups).
Pour les seuls investisseurs étrangers non « européens », un IEF est également soumis à autorisation préalable lorsqu’il vise le franchissement, direct ou indirect, seul ou de concert, du seuil de 25% de détention des droits de vote d’une entité de droit français (détention en capital non concernée).
La liste désignant les secteurs d’activités concernés par la procédure de contrôle[7] est régulièrement étendue par le gouvernement français en fonction du contexte économique et géopolitique. A ce jour, sont notamment visés la défense, l'énergie, l'eau, l'espace, les télécoms, les transports, la santé publique, l'alimentation et les médias.
Une procédure d’autorisation préalable claire pour les investisseurs étrangers
La demande d’autorisation doit être déposée par l’investisseur étranger. L'autorisation peut être accordée, refusée ou soumise par le MEF à des conditions visant à sauvegarder les intérêts nationaux. Les cas de refus par le MEF sont limitativement énumérés[8].
Le MEF dispose d’outils de répression calibrés pour agir en cas de non-respect des exigences en matière d’autorisation préalable des IEF, selon la gravité du manquement commis et du niveau d’urgence de la situation. Il peut notamment enjoindre sous astreinte un investisseur de déposer une demande d’autorisation et/ou de rétablir à ses frais la situation antérieure. Il peut également appliquer des amendes importantes, quel que soit le niveau d’investissement initial[9].
Le « précautionnisme » à la française : un équilibre fragile entre ouverture internationale et protection des intérêts nationaux
Pour l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy, « le Covid-19 va accélérer le passage du protectionnisme au précautionnisme »[10]. Dans un souci évident de satisfaire tant les défenseurs d’une ouverture économique large, que ceux d’une plus grande protection des intérêts nationaux, le MEF a annoncé le 29 avril 2020 une adaptation mesurée mais significative de la procédure de contrôle des IEF.
Protection du secteur innovant des biotechnologies
Conséquence immédiate des enjeux géopolitiques liés à la crise sanitaire, le secteur innovant des biotechnologies a été ajouté à la liste des technologies critiques protégées par la procédure de contrôle des IEF[11] par l’arrêté du 27 avril 2020[12]. La désignation de ce secteur est stratégique au regard des enjeux économiques. La France possède en effet une longue tradition d’excellence en matière de recherche en biotechnologies et se positionne comme le leader européen dans ce secteur. Elle est le premier pays d’accueil des projets industriels étrangers en Europe et Euronext Paris représente la première place boursière européenne pour les biotechs[13]. Les enjeux juridiques sont également cruciaux en matière de propriété intellectuelle et de biosécurité.
Les investisseurs étrangers se devront d’être particulièrement vigilant quant aux domaines couverts par les biotechnologies, ces derniers n’ayant pas été précisés en complément de l’arrêté du 27 avril 2020. Deux acceptions aux portées différentes sont données aux biotechnologies. La Convention sur la diversité biologique de 1992 (ratifiée par la France en 1994) désigne les biotechnologies comme « toute application technologique qui utilise des systèmes biologiques, des organismes vivants, ou des dérivés de ceux-ci, pour réaliser ou modifier des produits ou des procédés à usage spécifique »[14]. Cette définition englobe les emplois techniques d’organismes vivants (utilisation des levures de fermentation par exemple). Face aux diverses nouvelles applications liées aux biotechnologies, la Commission européenne a, par ailleurs, élaboré une classification colorée des biotechnologies regroupant les grands ensembles de domaines d’application (tels que la santé, la médecine, la pharmacie, l’environnement, l’agriculture ou encore l’industrie). Pour autant, le Haut conseil des Biotechnologies a une acception plus restrictive en considérant que les biotechnologies recouvrent les seules technologies faisant appel au génie génétique[15], alliant un travail d’ingénierie et un organisme vivant (thérapie génique et lutte contre les maladies génétiques par exemple).
Bien que le MEF ait indiqué que seraient concernées « toutes les biotechnologies », la question se pose donc de savoir quelles sont les biotechs françaises concernées par la procédure de contrôle des IEF. Les investisseurs étrangers (avec l’accord de la biotech cible), tout comme la biotech cible, pourront utiliser la procédure de rescrit prévue par l’article R 151-4 du Code monétaire et financier permettant de saisir pour avis le MEF, avant la réalisation d’une opération d’investissement, afin de savoir si l’opération projetée est soumise à autorisation[16].
Que ce soit dans le cadre d’une demande d’autorisation ou de rescrit, l’appui de l’avocat sera important dans l’accomplissement des démarches auprès du MEF[17] et du dialogue avec celui-ci.
Protection renforcée des sociétés cotées jusqu’au 31 décembre 2020
Les entreprises françaises cotées font actuellement face à une plus grande volatilité des cours de leurs actions du fait de l’incertitude induite par le Grand Confinement, au risque d’en faire la cible d’opérations pouvant, immédiatement ou à terme, modifier sensiblement leur structure actionnariale et se révéler profondément déstabilisatrice.
Le MEF a ainsi décidé d’abaisser jusqu’au 31 décembre 2020 le seuil de franchissement visé à l’article R 151-2 du Code monétaire et financier pour les seules sociétés cotées. En conséquence, toute opération d’un investisseur étranger « non-européen » ayant pour effet le franchissement, direct ou indirect, seul ou de concert, du seuil abaissé temporairement à 10% de détention des droits de vote d’une entité de droit français cotée (détention en capital non concernée), devra faire l’objet d’une demande d’autorisation selon une procédure spéciale.
Il est en effet envisagé que l’investisseur concerné franchissant le seuil de 10% (i) doive le notifier à la direction générale du Trésor, et (ii) que le MEF décide dans les 10 jours si l’opération doit être soumise à un examen plus approfondi, prenant la forme d’une demande d’autorisation complète qui suivra la procédure fixée à l’article R 151-6 du Code monétaire et financier.
Le texte non encore définitivement adopté, devra être transmis au Conseil d’Etat prochainement et pourrait être applicable à compter du 1er juillet 2020.
Vers une position européenne commune ?
14 Etats membres de l’Union européenne disposent d’un mécanisme de contrôle des investissements étrangers (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, et Roumanie)[18]. Il va être particulièrement intéressant d’observer la manière dont ces Etats membres utiliseront les outils juridiques d’ores et déjà à leur disposition et ceux qui seront mis en place par les autres Etats membres dans le contexte du Grand Confinement, au regard du modèle « précautionniste » adopté par la France. On peut d’ores et déjà relever l’opposition ferme de l’Allemagne, en mars dernier, aux intentions américaines pressantes concernant l’acquisition de la start-up CureVac, travaillant à la recherche d’un vaccin contre le Covid-19 et l’extension temporaire mais significative, parmi les mesures prises par l’Italie le 8 avril 2020, des secteurs stratégiques contrôlés par sa réglementation « Golden Power », jusqu’au 31 décembre 2020[19].
La Commission européenne invite à la coopération entre les Etats membres, dans le cadre de l’entrée en vigueur, le 11 octobre 2020, du mécanisme pour la coordination du filtrage des investissements étrangers susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public de l’Union européenne résultant du règlement de l’Union européenne sur le filtrage des investissements directs étrangers, adopté le 19 mars 2019[20]. Ce mécanisme de coopération renforcé a vocation, d’une part, à permettre aux Etats membres d’échanger entre eux et avec la Commission européenne des informations relatives à l’investisseur concerné[21], et d’autre part, à la Commission européenne de présenter un avis à l’Etat membre au sein duquel l’investissement est envisagé[22].
Ces mesures prises par la France s’inscrivent dans le cadre du règlement précité, mais également dans une réflexion européenne lancée pour répondre aux enjeux de la crise actuelle. Le 25 mars 2020, la Commission européenne a en effet publié ses orientations relatives aux investissements étrangers et à la protection des actifs stratégiques européens[23], encourageant les Etats membres à pleinement contrôler les investissements étrangers afin que « l’Europe sorte de cette crise aussi forte qu’elle y est entrée ».[24]
Notes :
[1] Expression employée par la chef économiste du Fond monétaire international, Madame Gita Gopinath
[2] Baromètre attractivité de la France – Perception des investisseurs étrangers en 2019 (https://www.plateforme-attractivite.com/wp-content/uploads/2020/01/Kantar_chiffre_cle_VF-2.pdf)
[3] The 2019 Kearney Foreign Direct Investment Confidence Index (https://www.kearney.com/foreign-direct-investment-confidence-index)
[4] Covid-19 | Adaptation du contrôle des IEF pendant la crise sanitaire (https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/04/30/covid-19-adaptation-du-controle-des-investissements-etrangers-en-france-ief-pendant-la-crise-sanitaire)
[5] Loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l'étranger
[6] Décret n° 2019-1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France
[7] C. mon. fin. art. L 151-3 et R 151-3
[8] C. mon. fin. art. R 153-10
[9] Le montant de l'amende ne peut excéder la plus élevée des sommes suivantes : (i) le double du montant de l'investissement irrégulier, (ii) 10 % du chiffre d'affaires annuel de la société cible, et (iii) 1 million d'euros pour les personnes physiques et 5 millions d'euros pour les personnes morales.
[11] C. mon. fin. art. R. 151-3, III, 1°
[12] Arrêté du 27 avril 2020 relatif aux investissements étrangers en France
[13] Les biotechs en France (Lien)
[14] Article 2 de la Convention sur la diversité biologique de 1992 (https://www.cbd.int/doc/legal/cbd-fr.pdf)
[15] Haut Conseil des Biotechnologies (http://www.hautconseildesbiotechnologies.fr/fr/definition-glossaire/biotechnologie)
[16] Le MEF répond dans un délai de deux mois.
[17] Une attention particulière doit être apportée à la liste d'informations et de documents requis pour procéder à une demande auprès du MEF
[18] List of screening mechanisms notified by Member States (https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/june/tradoc_157946.pdf)
[19] Décret-loi n. 23 du 8 avril 2020 (https://www.natlawreview.com/article/italian-law-corporate-transparency-and-golden-power-provisions-emergency-legislation)
[20] Règlement n° 2019/452 du 19 mars 2019, établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs estrangers dans l’Union (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019R0452&from=EN)
[21] Les informations concernées sont celles figurant dans la liste fixée à l’article 9, paragraphe 2, du règlement n°2019/452 du 19 mars 2019
[22] Ce sont les États membres qui décideront, au final, s'il convient d'autoriser ou non une opération d'investissement spécifique sur leur territoire
[23] Guidance to the Member States concerning foreign direct investment and free movement of capital from third countries, and the protection of Europe’s strategic assets, ahead of the application of Regulation (EU) 2019/452 (FDI Screening Regulation) (https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2020/march/tradoc_158676.pdf)
[24] Propos de Madame Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne - Communiqué de presse du 25 mars 2020 de la Commission européenne (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_20_528)