Concurrence & Covid-19 : sécurisation des coopérations exceptionnelles par un tiers de confiance
La tentation est forte évidemment pour les entreprises de s’entendre en période de crise, la plupart du temps pour sauver une situation critique.
Dans le contexte du « cadre temporaire » adopté par la Commission européenne le 8 avril 2020 concernant l’appréciation des pratiques anticoncurrentielles dans le cadre de la crise Covid-19, les autorités de concurrence ont annoncé qu’elles regarderaient avec bienveillance certaines coopérations exceptionnelles entre acteurs potentiellement concurrents pour autant que celles-ci ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour faire face à certaines situations de pénurie.
Ces mêmes coopérations, hors temps de crise, auraient vraisemblablement été considérées comme contraires aux règles de concurrence.
On aurait pu s’attendre à ce que la Commission européenne adopte un règlement d’exemption sur le fondement de l’article 101§3 TFUE ou que les autorités françaises adoptent un texte législatif ou réglementaire sur le fondement de l’article L.420-4 du code de commerce - ne fut-ce qu’à titre provisoire – pour autoriser certaines coopérations visant certains secteurs ou produits, tels les produits médicaux. Mais, il n’en est rien.
En effet, aucune exemption ou texte spécifique n’a été adopté par les autorités européenne ou française, celles-ci se bornant à considérer que les coopérations exceptionnelles en temps de crise devaient a priori remplir les critères d’exemption habituels. Donc, il n’y a pas de règle spécifique mais une application en l’état du principe d’interdiction des ententes et des critères d’exemption prévus par les textes français et UE.
La Commission européenne énonce cependant les caractéristiques ou conditions que doivent remplir les coopérations pour bénéficier de la bienveillance des autorités de concurrence portant sur la forme des coopérations et donc des pratiques visées, les produits concernés et les conditions de la coopération.
Produits du secteur de la santé et produits de première nécessité
Si le communiqué de la Commission vise essentiellement les produits de santé, sont également visés les produits de première nécessité. Il n’existe cependant pas de liste de ces produits de première nécessité. Néanmoins, un décret du 23 mars 2020, pris dans le contexte de la crise sanitaire, a listé les établissements qui peuvent accueillir du public. Sur ce fondement, on peut en déduire que ces établissements proposent des produits ou services de première nécessité, tels les commerces d’alimentation humaine et animale, les pharmacies et magasins médicaux spécialisés, les banques et activités d’assurance, etc.
La liste est longue, comme en témoigne le fait que le gouvernement a reconnu début avril que les graines et plants sont des produits de première nécessité.
Coopérations concernées
Toute entreprise intervenant de la production à la distribution de produits ou services de première nécessité sont concernées.
Les coopérations exceptionnelles peuvent porter sur la gestion des stocks, les capacités de production, les conditions de transports ou l’identification des produits essentiels pour lesquels il existe des risques de pénurie
Mais, la Commission vise aussi les échanges d’informations, sujets toujours délicat à appréhender au regard du droit de la concurrence. Si la Commission encourage l’échange d’informations portant sur la production et les capacités, elle vise également des échanges ou la préparation de modèle commun pour prévoir la demande au niveau d'un État membre ou pour identifier des lacunes d’approvisionnement.
Mais, la Commission rappelle que ces informations doivent être agrégées et ne doivent pas porter sur des informations individuelles. Aucune réelle différence donc avec les règles habituelles de concurrence…
Enfin, le communiqué envisage la possibilité d’accords de partage de marchés entre concurrents si ces accords permettent de surmonter des pénuries.
Conditions d’une bienveillance des autorités de concurrence
Certes les coopérations sont encouragées mais la vigilance demeure car le droit de la concurrence reste pleinement et entièrement applicable.
Pour bénéficier de la bienveillance des autorités de concurrence – autrement dit des critères d’exemption du droit de la concurrence - les coopérations entre entreprises concurrentes doivent remplir un certain nombre de conditions. Elles doivent être nécessaires, temporaires et proportionnées à l'objectif de remédier ou d'éviter les pénuries d’approvisionnement en produits ou services essentiels/rares. Enfin, il est dit que la coopération doit maintenir la concurrence « dans la mesure du possible », formulation qui reste bien floue.
A noter qu’il est indiqué qu’une coopération qui garantit que les biens et services essentiels peuvent être mis à la disposition des travailleurs clés ou des consommateurs vulnérables, sera considérée comme améliorant la production ou la distribution : c’est peut-être une sorte de petite exemption individuelle finalement …
Enfin, dans la relation verticale acheteurs/revendeurs ou distributeurs, les autorités de concurrence encouragent la fixation de prix maximums afin d’éviter des prix excessifs au stade de la distribution. Mais, il ne s’agit là que d’un rappel des règles existantes, seule la fixation de prix de revente imposés ou de pratiques assimilées étant interdite.
Modus operandi : Tiers de confiance (Trustee) et Guidance des autorités de concurrence
L’évaluation et la mise en œuvre des coopérations nécessite de mettre en place un accompagnement juridique pour sécuriser les coopérations envisagées
Afin d’éviter le risque d’infraction aux règles de concurrence, un « trustee » - ou tiers de confiance - peut jouer le rôle conseil et de « boîte noire » pour collecter les informations (capacités de production, besoins du marché selon les zones géographiques, capacités de transport, évaluation des stocks, …), les agréger, construire les modèles d’anticipation de la demande, etc. Les autorités de concurrence valident cette approche sécurisant la mise en œuvre de ces coopérations dans le respect du « cadre temporaire ».
Un conseil externe peut jouer ce rôle de tiers de confiance pour analyser les projets de coopérations exceptionnelles, sécuriser et adapter les accords projetés, collecter et consolider les informations, et accompagner les entreprises dans les éventuelles démarches vis-à-vis des autorités de concurrence pour solliciter une « Comfort Letter ».