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Management packages : ne cassons pas un mécanisme qui fonctionne

Par Par Caroline Lan, Jean-François Louit et Paul de France, associés, cabinet Gide Loyrette Nouel

Les management packages font aujourd’hui l’objet d’une attention accrue des administrations fiscale et sociale ainsi que des tribunaux. Ces mécanismes d’association des salariés au capital de leur entreprise ont suscité la critique en raison des gains réalisés jugés trop importants, trop rapides et / ou concentrés sur un nombre limité de personnes.

Ils se distinguent des dispositifs dits légaux, qui bénéficient d’un régime fiscal et social encadré par la loi (comme les actions gratuites, les stock-options ou les BSPCE), car ils supposent un investissement initial de la part du salarié ou mandataire. Ils s’adressent ainsi plutôt aux salariés décisionnaires de l’entreprise à même d’appréhender les risques financiers, notamment de perte, inhérents à cet investissement.

Aujourd’hui, les juges administratif et judiciaire semblent s’être accordés pour confirmer la requalification en salaire des plus-values ainsi réalisées et ce sur la base de principes assez généraux, fragilisant ainsi l’investissement des dirigeants et salariés au capital de leur entreprise. C’est ainsi que l’on peut lire sur le site du Conseil d’État « les gains tirés de ces dispositifs doivent être imposés comme des « traitements et salaires » et non comme des « plus-values de cession de valeurs mobilières »1. Concrètement, cela signifie passer d’une taxation du gain d’environ 30/34 % à près de 50 %, à laquelle s’ajoutent potentiellement les cotisations sociales salariales et patronales2.

pourquoi prendre des risques pour être
plus taxés que les autres ?

Cette potentielle requalification en salaire pose problème : elle entraîne une différence de traitement pour ces investisseurs salariés, qui subissent ainsi une taxation bien supérieure à celle d’investisseurs passifs qui n’ont pas de fonction dans l’entreprise concernée.

Par ailleurs, si l’on compare les profils de salariés actionnaires, est-il normal qu’un salarié ayant payé ses actions à la valeur de marché ait un régime d’imposition incertain et potentiellement plus défavorable que celui d’un bénéficiaire d’actions attribuées gratuitement, qui n’a pris aucun risque financier et qui bénéficie d’un régime fiscal encadré par les textes ?

Un objectif vertueux : partager la valeur créée

Les outils dits légaux, par essence gratuits pour leurs bénéficiaires, s’ils restent intéressants, n’ont pas le même impact au sein des équipes et vis-à-vis des autres actionnaires. Les actionnaires dans leur ensemble, en acceptant de partager la création de valeur avec les salariés investisseurs, font le pari que cette perspective de gain et le risque corolaire de perte favoriseront la fidélité et la recherche de performance en changeant notamment l’état d’esprit des salariés par l’adoption d’un comportement de « propriétaire » (expression reprise d’une étude de la Harvard School of Business sur la réussite de l’industrie du private equity)3.

Dans une période où l’économie française a besoin de retrouver de la croissance et où il est crucial de redonner un sens à l’engagement des équipes dans leur entreprise, il ne faut pas fragiliser ce modèle actionnarial qui a fait ses preuves en permettant de créer des leaders nationaux et européens indépendants. Ces modèles d’actionnariat permettent aussi une forme d’équité en permettant aux salariés investisseurs de se constituer un patrimoine, directement corrélé à leur implication dans le projet de l’entreprise et à la création de valeur à laquelle ils ont contribué.

Ces dispositifs permettent enfin d’assurer un rééquilibrage des pouvoirs au sein de l’entreprise en faveur de ces salariés-actionnaires dont les prérogatives ne seraient pas les mêmes s’ils n’avaient pas investi une part importante de leur patrimoine à risque dans leur entreprise. Ce rééquilibrage constitue, pour l’ensemble des parties prenantes, un gage d’une meilleure prise en compte de l’intérêt de l’entreprise, et sert de contrepoids aux actionnaires majoritaires.

Pour l’ensemble de ces raisons et malgré le contexte judiciaire incertain provenant de ces récentes décisions, les entreprises et leurs actionnaires continuent à mettre en place ce type de mécanismes.

C’est aussi pourquoi, il est nécessaire de préserver le régime de taxation des plus-values pour les salariés comme pour les autres actionnaires (plutôt dans la moyenne haute de nos voisins européens) et de donner à ces salariés et à leur entreprise de la prévisibilité et une sécurité fiscale. Il est crucial d’encourager ces schémas d’investissement, et ce en ligne avec les déclarations des pouvoirs publics sur l’intérêt de l’actionnariat salarié, le cas échéant en les encadrant par des conditions complémentaires de démocratisation, d’équité ou encore en les soumettant à des objectifs extra-financiers. T

(1) Management package des dirigeants de société : les gains obtenus doivent être imposés comme un salaire
s’ils sont liés à l’exercice des fonctions (conseil-etat.fr)
.
(2) Problématique qui n’existe pas nécessairement dans un certain nombre de nos voisins européens dans la mesure où ces derniers ont (i) soit des régimes spécifiques (ex : UK, Pays Bas) ou (ii) une comparable incertitude mais sans grand impact pour l’entreprise en raison de leur mécanisme de plafonnement de cotisations sociales (ex : Allemagne, Espagne).
(3) KKR at CHI Overhead Doors (B) (hbr.org); Shared Ownership – Investing in Ownership Culture | KKR.