L’exception d’inexécution, alternative à la force majeure et à l’imprévision en période de crise ?
La pandémie de covid-19 a généré une crise inédite plongeant les entreprises dans l’incertitude quant au sort de leurs engagements contractuels. Pour répondre aux interrogations légitimes que suscite une telle situation de nombreux articles ont présenté la force majeure et d’imprévision comme les principaux remèdes. Or, si ces deux mécanismes pourraient à juste titre être invoqués une alternative ne doit pas être négligée : l’exception d’inexécution.
Les hypothèses qualifiant l’actuelle pandémie de force majeure se sont inspirées des récentes déclarations sur le sujet : celle de l’OMS affirmant que le covid-19 est « crise sanitaire mondiale majeure de notre époque » ou encore celle du Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, s’empressant d’évoquer un « cas de force majeure ». S’il est tentant de voir dans la situation engendrée par le coronavirus un événement caractérisant la force majeure, les conditions de l’article 1218 du Code civil sont en pratique extrêmement difficiles à réunir. Il revient aux juges du fond, dans leur appréciation souveraine , de trancher le débat. Rappelons que si l’OMS avait décrété l’état d’urgence pour le virus Ebola, la jurisprudence française avait considéré que le lien de causalité entre l’épidémie et l’inexécution n’était pas établi . Ainsi, bien que le 12 mars 2020, la Cour d’appel de Colmar ait jugé les circonstances actuelles comme revêtant les caractéristiques de la force majeure, il ne s’agit là que d’une première décision d’une juridiction du fond qui ne préjuge en rien de ce que pourraient juger d’autres juridictions.
A supposer les critères réunies, l’invocation de la force majeure n’est pas forcément souhaitable suivant le but poursuivi. Selon l’article 1218 du Code civil, si la force majeure est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue, en revanche si elle est définitive, le contrat est résolu de plein droit. En cas de désaccord, sur la durée de l’empêchement, les parties devront saisir les juridictions pour savoir si le contrat est simplement suspendu ou résolu. Or le recours au juge est un processus long et couteux. Les difficultés engendrées par les restitutions consécutives à la résolution sont telles qu'il peut être parfois préférable d'exclure cette voix, notamment pour les contrats à exécutions successives ou groupe de contrats.
L’imprévision codifiée à l’article 1195 du Code civil peut aussi être envisagée, mais il faut garder à l’esprit que ses conditions d’application sont limitatives. Seuls les cas où le changement de circonstances, imprévisibles lors de la conclusion du contrat, rend l’exécution de celui-ci excessivement onéreuse pour l’une des parties sont concernés. Si l’imprévision est avérée, la première étape est la renégociation entre les parties. Celle-ci n’est cependant pas suspensive et les obligations devront continuer à être exécutées. Ce n’est qu’en cas de refus ou d'échec de la renégociation que les co-contractants peuvent solliciter les tribunaux pour adapter le contrat, ou à défaut d'accord, y mettre fin. Cette solution présente les mêmes inconvénients que ceux invoqués pour la force majeure. Le recours au juge implique une incertitude et une lenteur peu compatible avec la vie des affaires.
Reste une autre voie trop peu invoquée pour faire face aux conséquences de la crise du covid-19 : l’exception d’inexécution. Il s’agit de la possibilité pour une partie à un contrat de cesser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave . L’origine de l’inexécution du débiteur n’est pas prise en compte, peu importe qu’elle résulte de la force majeure, du cas fortuit ou de la faute du créancier. Ainsi, dans un contrat de fourniture, si le site de production est fermé, il sera possible de suspendre les paiements jusqu’à sa réouverture. Dans le cas du covid-19, le recours à l’exception d’inexécution présente l’avantage de couper court à toutes les interrogations concernant la qualification de force majeure. L’exception d’inexécution ne peut cependant être opposée comme moyen de pression sur le débiteur que de façon proportionnée . La gravité doit ainsi être appréciée de façon relative, eu égard à l'importance de l'obligation suspendue. En pratique, ce sont les obligations essentielles réciproques qui peuvent donner lieu à une suspension d’exécution.
L’article 1220 du Code civil a introduit un dispositif spécifique d’exception d’inexécution par anticipation. Une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves. En raison du renouvellement des mesures de confinement et des récentes mesures adoptées par le gouvernement, il est manifeste que certaines entreprises ne pourront pas exécuter leurs obligations à temps. La mise en œuvre de la suspension d’exécution par anticipation reste d'une grande simplicité. Il n'est pas nécessaire de s'adresser au préalable aux tribunaux, ni d'adresser une mise en demeure. Il convient seulement que cette suspension soit notifiée dans les meilleurs délais.
Le recours à l’exception d’inexécution présente l’avantage de suspendre uniquement l'exécution de la prestation de celui qui l'invoque de manière temporaire. Le contrat n'est pas anéanti, il demeure valable. Aussi, stratégiquement, l’exception d’inexécution présente un double intérêt. D’une part, ce moyen peut être mis en œuvre de manière unilatérale sans recours au juge. D’autre part, elle permet de suspendre les obligations sans rompre la relation commerciale. Evidemment le créancier n'aura intérêt à invoquer l'exception d’inexécution que tant que l'exécution par le débiteur de ses obligations conserve un intérêt pour lui. L’exception d’inexécution n’est toutefois pas exempte de risque. Le juge peut intervenir a posteriori pour contrôler le caractère suffisamment grave de l’inexécution. Si l'une des parties suspend l'exécution de ses obligations à tort, elle serait susceptible d'être elle-même sanctionnée.
La meilleure solution reste incontestablement la renégociation entre les parties. A défaut, plusieurs voies s’offrent à elles. Le choix procédural devra être guidé non seulement par les circonstances contractuelles mais encore par l’objectif poursuivi à plus long terme. Si la force majeure et la révision pour imprévision restent des solutions opportunes dans certains cas, le recours à l’exception d’inexécution ne devrait pas être négligé. La souplesse de ses conditions d’application et l’immédiateté de ses effets lui confère un attrait indéniable
Remerciements à Clara Goldstrich.
Notes :
1- Organisation Mondiale de la Santé
2- Civ. 1re, 9 juill. 2015, n°14-13.423
3- CA., Paris , 17 mars 2016, n°15/04263
4- CA., Colmar, 6e chambre, 12 Mars 2020, n° 20/01098
5- Article 1219 du Code civil
6- Rapport au Président de la République relatif à l'Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations