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Les enjeux de la cooptation interne dans  les cabinets d’avocats

Par Florence Henriet

Devenir associé dans un cabinet d’avocats constitue un objectif professionnel ambitieux. C’est une étape significative dans une carrière, symbolisant la reconnaissance de compétences, de performances et d’engagement au sein du cabinet.

Si la pratique de la cooptation interne est profondément enracinée dans l’histoire des cabinets d’avocats d’affaires, elle a néanmoins évolué pour répondre aux exigences du marché. Ce renforcement de l’équipe d’associés demeure essentiel pour le fonctionnement et la dynamique des structures.

Quelques chiffres clés

De 2021 à 2023, l’enquête menée par la rédaction de la LJA a dénombré 304 cooptations internes au rang d’associés, au sein des 113 cabinets d’avocats d’affaires en France. Ce chiffre trouve sa source dans une minutieuse veille de la presse spécialisée confortée par la déclaration d’une trentaine de cabinets. La réalité est sans doute supérieure. En effet, contrairement aux « recrutements verticaux », c’est-à-dire ceux au cours desquels un collaborateur senior ou un counsel, est promu associé à l’occasion de son changement de cabinet, les cooptations internes ne font pas toujours l’objet d’une communication formelle.

Il convient donc d’ajouter à ces cooptations internes quelque 400 « recrutements verticaux » entre 2021 et 2023. Le baromètre des mouvements d’associés dans les cabinets d’avocats d’affaires en France, réalisé par PwC Legal Business Solutions, sous la responsabilité de l’associé Jérôme Rusak, a recensé 118 recrutements de ce type en 2021 (53 % d’hommes, 47 % femmes) avec comme spécialités en tête de liste : le corporate (11 %), le droit social (9 %) puis la concurrence (7 %). En 2022, le nombre bondit à 141 (57 % d’hommes, 43 % femmes) avec un podium d’expertises constitué du corporate (16 %), du private equity (8 %) et du droit fiscal (7 %). En 2023, le chiffre reste stable avec exactement le même nombre de recrutements verticaux : 141 dont 61 % d’hommes et 39 % femmes spécialisés en droit fiscal (14 %), corporate (13 %) et contentieux (9 %). « Ces deux dernières années, l’écart entre la mobilité verticale (mouvements de collaborateurs devenant associés en changeant de cabinet) et la mobilité horizontale (mouvements d’avocats déjà associés) avait tendance à diminuer. En 2023, la proportion de la mobilité horizontale a été bien supérieure à la mobilité verticale en pourcentage (64 % vs 33 %), comme en valeur », souligne Jérôme Rusak.

Le niveau des cooptations internes a sans doute été ralenti par l’épidémie du Covid 19, pendant deux ans. On recensait 70 et 68 cooptations internes, respectivement en 2021 et 2022. Deux raisons sont invoquées par les cabinets : des confinements empêchant les process de nominations de fonctionner sereinement, mais aussi des mesures de précaution au regard d’un avenir que la pandémie rendait incertain. Les cabinets devaient donc se rattraper pour ne pas perdre leurs meilleurs éléments. L’année 2023 marque donc un fort rebond avec 166 cooptations !

En combinant cooptations internes et recrutement verticaux, au cours des trois dernières années, quelque 704 avocats ont accédé à ce statut d’associés. Et si l’on ajoute à ces données celles de l’étude de la LJA sur la création de cabinets d’avocats qui décomptait 294 lancements au cours des cinq dernières années1, créations de cabinets qui ont permis à leurs fondateurs de devenir associés de leur propre structure, on peut en conclure que la profession se porte plutôt bien !

L’impact de la cooptation sur la dynamique interne des cabinets d’avocats

Être promu comme associé au sein de son cabinet est, au-delà d’une progression professionnelle notable, une marque de confiance et d’intégration au sein de la structure. La cooptation favorise en effet la croissance et le développement des cabinets en permettant une intégration sélective, la mise en valeur de la fidélité et de l’engagement des avocats envers la structure, ainsi que l’amélioration de sa cohésion et de sa culture interne. La possibilité d’intégrer des professionnels qui ont déjà démontré leur valeur et leur adhésion aux valeurs du cabinet n’est pas négligeable. Cette croissance interne permet de maintenir une certaine stabilité en favorisant la progression professionnelle des avocats talentueux et en évitant les coûts liés au recrutement externe. Elle atteste également de la capacité essentielle d’un cabinet à détecter et à former des talents en son sein.

Pour éviter les risques liés à la cooptation interne, les cabinets d’avocats mettent en place des mesures visant à garantir la transparence et l’équité du processus de cooptation. L’établissement de critères objectifs et clairs pour la sélection des nouveaux associés est indispensable, tout comme la mise en place de comités indépendants chargés d’évaluer les candidatures et la promotion d’une culture d’ouverture et de diversité au sein du cabinet.

Toutefois, la cooptation interne peut également présenter des inconvénients. Car en favorisant la promotion des avocats internes au détriment de l’apport de nouvelles perspectives et compétences externes, elle peut parfois limiter la diversité des profils au sein du cabinet. Le processus de cooptation qui manquerait de transparence ou de critères objectifs, pourrait entraîner des tensions internes et remettre en question l’équité des opportunités au sein du cabinet, conduisant à des frustrations, voire à des départs si les avocats seniors estiment que leurs perspectives d’avancement sont limitées.

Les critères traditionnels et leur évolution : trouver l’équilibre entre compétences et soft skills

Les critères traditionnels de cooptation – ancienneté, performance, compétences techniques, autonomie dans la gestion des dossiers et implication dans la relation avec les clients – évoluent face aux nouvelles tendances du marché qui font rentrer dans la danse la diversité, la parité hommes/femmes, le leadership, les soft skills et la vision stratégique.

Trouver le bon équilibre entre les compétences juridiques techniques et les soft skills comme le leadership, la collaboration et la gestion des équipes, est un défi constant dans le processus de cooptation. Les cabinets d’avocats doivent identifier les candidats qui possèdent à la fois l’expertise juridique indispensable et les qualités personnelles pour réussir en tant qu’associé.

Assurément, la maîtrise approfondie du droit est fondamentale. Et la spécialité joue dans les critères. Les business cases des candidats doivent être alignés avec la stratégie, parfois mondiale, du cabinet. L’attractivité de certaines spécialités variera en fonction des secteurs sur lesquels le cabinet est positionné. Tout dépendra en outre de l’orientation stratégique de la structure, qu’elle se spécialise dans un domaine précis (cabinet de niche) ou qu’elle couvre plusieurs domaines de pratique.

Mais l’excellence juridique seule ne suffit plus. Être capable de diriger une équipe, d’organiser le travail et de prendre des décisions managériales sont désormais des qualités déterminantes. Des compétences interpersonnelles incluant communication, négociation, leadership et gestion des relations sont également considérées comme essentielles pour réussir en tant qu’associé. Elles permettent de gérer les imprévus, les défis voire les conflits qui peuvent surgir au cours d’un dossier ou d’une relation avec un client, sans oublier bien sûr ceux qui se créent au sein du cabinet.

And « last but not least », savoir attirer de nouveaux clients, fidéliser la clientèle existante et développer le chiffre d’affaires du cabinet sont des compétences clés. L’enjeu devient pertinent, parfois quasi-indispensable, pour des raisons de crédibilité vis-à-vis du client.

La cooptation d’un nouvel associé peut avoir un impact significatif sur la culture d’entreprise du cabinet. Il est crucial de veiller à ce que les candidats partagent les valeurs, la vision et la culture du cabinet, tout en apportant une perspective nouvelle et complémentaire. Elle est également un moyen essentiel de retenir les meilleurs talents.

Il est rare que le cabinet propose spontanément un poste d’associé. Dans la réalité, c’est généralement à l’avocat collaborateur de faire la démarche. Il lui faudra persuader les associés en place de la légitimité de sa requête et que sa demande est justifiée. Et sa persévérance sera essentielle ! Car l’époque où l’on pouvait aspirer à ce statut au bout de 7 à 8 ans d’expérience est révolue dans la majorité des cabinets. L’âge moyen lors de l’accès à la cooptation se situe légèrement en dessous de 40 ans. Outre le fait qu’elles soient encore moins nombreuses, les femmes devront se montrer encore plus patientes, tout comme les avocats exerçant dans des cabinets internationaux par rapport à ceux visant une position similaire dans des cabinets français.

Les différents niveaux d’associations

Il peut y avoir de nombreux niveaux différents d’associés. Pour le monde extérieur, un associé est généralement un associé et tous peuvent être considérés comme tel, même si certaines firmes continuent à préciser le rang de partner (comprenez local partner) et celui d’associé (associé en equity) dans leurs communiqués de presse. Mais en interne, ces différents profils d’associés ont souvent des niveaux de séniorité, de rémunération, de risque, de droits de vote et de capital différents. Pour schématiser, trois grandes catégories peuvent être distinguées :

L’associé salarié (salaried partner ou non-equity partner ou income partner) bénéficie d’un salaire fixe ou d’une rémunération basée sur ses performances, peu ou pas de droits de vote, et ne détient généralement pas de parts du cabinet mais il est reconnu comme ayant un statut plus élevé que les collaborateurs.

L’associé à part fixe (fixed share equity partner) reçoit une part fixe des bénéfices générés par le cabinet, dispose de certains droits de vote, généralement restreints, et d’un petit montant de capital investi dans le cabinet.

L’associé à part entière (equity partner) ne reçoit pas de salaire fixe, sa rémunération est directement liée aux profits mondiaux du cabinet, il dispose d’un droit de vote.

Mais il y a autant de variantes que de cabinets d’avocats. Dans certains, un equity partner est celui qui ne reçoit pas plus de la moitié de sa rémunération sur la base d’un revenu fixe. Un non-equity partner est celui qui reçoit plus de la moitié de sa rémunération sur la base d’un revenu fixe. Dans des cabinets internationaux, on croise également des associés qui ne sont intéressés qu’au profit généré par le bureau au sein duquel ils exercent.

Ces différentes classifications constituent parfois des niveaux intermédiaires. Les jeunes associés peuvent ainsi passer d’une part fixe à une participation à part entière, par paliers sur une certaine période. Dans ce cas, la participation aux bénéfices, les droits de vote et le capital augmentent à chaque échelon. Les méthodes de distribution des profits varient en fonction des structures et tailles des cabinets.

La cooptation d’associés :
une stratégie déterminante

Dans un monde juridique de plus en plus compétitif, l’accès au statut d’associé souligne l’importance d’une vision partagée et d’une cohésion autour des valeurs fondamentales du cabinet, telles que l’intégrité, le professionnalisme et l’excellence dans le service au client. Les cabinets qui réussissent dans cette démarche sont ceux qui parviennent non seulement à attirer les talents, mais également à les retenir en leur offrant des perspectives de croissance et de développement professionnel.

La politique de promotion interne incarne une stratégie déterminante pour les cabinets d’avocats d’affaires, permettant de s’assurer que les leaders de demain sont non seulement d’excellents juristes, mais aussi des visionnaires alignés sur les ambitions stratégiques à long terme de la maison. T

(1) LJA magazine du 19 février 2024.