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Généralisation du transfert de responsabilité pénale en cas de fusion

Par Par Julia Minkowski, associée et Charles Merveilleux du Vignaux, cabinet Temime

À propos de l’arrêt de la chambre criminelle du 22 mai 2024

La Cour de cassation a longtemps jugé qu’en application du principe de personnalité des délits et des peines, une société absorbante ne pouvait pas être condamnée pour des faits commis par une société absorbée, et que celle-ci, ayant disparu, échappait aux poursuites1.

Par un arrêt du 25 novembre 2020, la chambre criminelle avait apporté deux exceptions à cette jurisprudence2. D’une part, si l’opération de fusion avait pour objectif que la société absorbée se soustraie à sa responsabilité pénale, une telle fraude à la loi permettait de prononcer une sanction pénale à l’égard de la société absorbante, sans restriction. D’autre part, se conformant à la jurisprudence de la CJUE issue de la directive Fusions3, la Haute Cour considérait que, « en cas de fusion-absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive précitée, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. »

Bien que rendue spécifiquement en considération de cette directive, applicable uniquement aux SA, aux SAS et à certaines formes de SCA, cette solution risquait d’être étendue à d’autres formes sociales, puisqu’elle reposait sur une motivation générale : le transfert de responsabilité pénale se justifiait par le fait que « l’activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée […] se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération », autrement dit par la « continuité économique et fonctionnelle de la personne morale ».

C’est cette extension que vient de réaliser la chambre criminelle dans un arrêt du 22 mai 20244 : en reprenant mot pour mot les principaux attendus de l’arrêt de 2020, elle juge qu’une SARL absorbante peut être condamnée pour des infractions commises par une SARL absorbée. Autrement dit, la règle érigée en 2020 sur le fondement de la continuité économique est désormais applicable au-delà des seules SA initialement visées, et concerne ainsi toutes les formes sociales. En outre, la Cour de cassation précise que cette évolution étant prévisible, sa solution peut être appliquée à toutes les fusions réalisées depuis le 25 novembre 2020.

En cas de fusion, le transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante sera dorénavant systématique. Ceci accroît considérablement le risque pénal des personnes morales, même si la Cour de cassation juge que seules des peines d’amende ou de confiscation peuvent être prononcées dans ce cas.

Face à ce risque accru, on peut envisager deux parades. D’une part, il conviendra de bien penser la structuration de l’opération. Pour l’instant, le principe du transfert est limité aux fusions-absorptions. Cependant, le critère d’application de la règle étant la poursuite de l’activité économique d’une société disparue, elle pourrait jouer en cas de dissolution entraînant transmission universelle de patrimoine ou de scission. Cela laisse néanmoins subsister un grand nombre de méthodes d’acquisition (cession de titres, augmentation de capital réservée à l’acquéreur, apport partiel d’actifs, par exemple), toutes plus fréquentes en pratique que les fusions.

D’autre part, il sera d’autant plus crucial de conduire un audit pénal scrupuleux pendant la phase de due diligence, afin d’identifier et mesurer les risques de façon exhaustive. Ceci permettra à l’acquéreur soit de renoncer à l’opération, si ceux-ci sont trop élevés, soit de les atténuer, en négociant des clauses de garantie et en mettant en place des mesures de remédiation, soit de les purger définitivement, en les portant à la connaissance du Parquet pour négocier une CJIP – si les faits entrent dans le champ d’application de cet outil. À l’instar du Department of Justice américain, qui s’est doté d’une politique spécifique pour les opérations de fusions-acquisitions, afin que les sociétés absorbantes qui révèlent spontanément des faits identifiés se voient garantir une absence de poursuites ou un DPA, le PNF pourrait introduire des incitations en ce sens dans la prochaine version de ses lignes directrices. T

(1) Crim., 20 juin 2000, pourvoi n° 99-86.742, Bull. crim. 2000, n° 237.
(2) Crim., 25 novembre 2020, n°18-86.955
(3) Directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiées à l’article 105, § 1, de la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés
(4) Crim. 22 mai 2024, n°23-83.180.