Covid-19 - Continuité / Reprise de l’activité : Les bonnes pratiques à l’aune des décisions Amazon et La Poste
Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, les entreprises s’organisent pour faire face à cette situation exceptionnelle et inédite.
Avec le passage au stade 3 de l’épidémie, beaucoup d’entreprises ont décidé de recourir à l’activité partielle. D’autres ne se sont jamais arrêtées et ont même dû faire face à un surcroît d’activité, considérées comme ayant une activité « essentielle à la Nation ». On constate cependant qu’après quelques moments de flou et d’incertitude, beaucoup d’entreprises ont repris le chemin du travail, même partiellement, en faisant preuve de créativité et de pragmatisme pour s’adapter aux recommandations du Ministère du travail et préserver la santé et la sécurité de leurs employés.
Ainsi, pour les activités qui ne peuvent s’effectuer en télétravail, le Gouvernement a tout d’abord préconisé puis rendu obligatoires notamment les règles suivantes :
- Respect des règles de distanciation et des gestes barrière ;
- Limiter au strict nécessaire les réunions ;
- Limiter les regroupements de salariés dans des espaces réduits ;
- Annuler les déplacements non indispensables ;
- Adapter l’organisation du travail.
Les Tribunaux Judiciaires (« TJ ») de Nanterre et de Paris, saisis en référé par les organisations syndicales (SUD) à l’encontre respectivement des sociétés Amazon Logistique (Tribunal Judiciaire de Nanterre, 14 avril 2020 n°20/601) et La Poste (Tribunal Judiciaire de Paris, 9 avril 2020, n°20/52223) ayant eu des démarches diamétralement opposées, viennent de rendre des ordonnances riches d’enseignements sur les bonnes pratiques à adopter pour la continuité des activités des entreprises dans le cadre de la crise Covid-19.
Ces décisions constituent une sorte de « guideline » pour organiser plus sereinement la poursuite de l’activité pendant la crise sanitaire, mais également pour la reprise des activités lors du déconfinement progressif annoncé par le Premier Ministre où ces règles resteront de mise. Nous présentons ci-après une synthèse des principes dégagés de ces ordonnances.
1. ASSOCIER LES REPRESENTANTS DU PERSONNEL
Le premier enseignement de ces Ordonnances est l’importance d’associer les représentants du personnel (particulièrement le CSE) à l’évaluation des risques, à la mise en place des mesures de prévention et de protection des salariés
Le contraste entre ces deux ordonnances est très parlant et renforce cette conclusion puisque, pour la première, reproche est fait à Amazon de ne pas avoir « associé les représentants de salariés et en premier lieu les CSE des différents sites » . Au contraire, le TJ de Paris loue La Poste d’avoir impliqué ses représentants du personnel et notamment les CSSCT (CHSCT).
Le retour d’expérience de nos clients est similaire. Dans l’essentiel des entreprises, de manière spontanée face au caractère inédit et au manque de recul sur cette situation de crise sans précédent, les entreprises ont souvent associé très en amont le CSE et notamment les CSSCT pour décider ensemble des mesures à prendre.
S’appuyer sur la perception des salariés permet de prendre des mesures plus adéquates et, les adopter en concertation avec les représentants du personnel dans une démarche constructive, conduit indéniablement à une plus forte adhésion des salariés, indispensable dans une telle situation de crise. Ceci a par ailleurs souvent évité que des salariés fassent valoir leur droit de retrait.
Il résulte de ces ordonnances que l’employeur ne peut pas mettre en place ces dispositifs de manière unilatérale, en se contentant d’une simple information du CSE à postériori. Une interaction avec le CSE/ les représentants du personnel est vivement recommandée avec des réunions récurrentes pour expliquer et décider conjointement.
Ce d’autant que le gouvernement a mis en place des mesures permettant de tenir les réunions CSE par visioconférence, conférence téléphonique ou si ces deux méthodes sont impossibles, par messagerie instantanées , lorsqu’il n’est pas nécessaire d’être sur site.
2. FORMALISER LES REUNIONS ET ECHANGES AVEC LES REPRESENTANTS DU PERSONNEL
Même si l’organisation des réunions avec les représentants du personnel a été considérablement facilitée, il faut rester vigilent sur la formalisation écrite :
- Des procès-verbaux des réunions avec le CSE, la CSSCT (si elle existe) ;
- Les comptes rendus de visites et d’audits des situations de travail.
Le respect de ce formalisme est indispensable en interne pour retracer les mesures prises, acter des échanges intervenus et disposer d’un moyen de preuve en cas de contentieux ou de contrôle par l’Inspection du travail.
3. ASSOCIER, si possible, LA DIRECCTE ET LES SERVICES DE SANTE AU TRAVAIL
Associer la Direccte
Dans le cas d’Amazon, les Directeurs du travail compétents étaient intervenus sur les différents sites et avaient adressés des mises en demeure de mettre en œuvre des mesures de prévention du risque COVID-19 et des lettres d’observation. Amazon se trouvant ainsi dans une situation de défense en devant justifier des mesures prises.
De manière générale, les Direccte se sont mobilisées pour contrôler le bon respect des mesures de prévention, mais aussi, de manière constructive, pour accompagner les entreprises pour mettre en place ces mesures.
Nous constatons que la démarche des entreprises qui ont fait le choix de contacter la Direccte pour prendre un avis ou simplement les informer des mesures prises face à une situation dans laquelle personne n’a de certitude, s’est avérée positive. Même si l’Inspecteur du travail ne répond pas systématiquement, il est ainsi impliqué et informé des mesures prises par l’entreprise.
En tout état de cause, il est recommandé de ne pas laisser sans réponse un courrier d’observation ou de mise en demeure de la Direccte, et à tout le moins, de justifier et d’expliquer les démarches engagées.
Associer les services de santé au travail
Dans la décision La Poste, le TJ met en avant le fait que La Poste a pris des avis auprès du médecin du travail. Certaines entreprises ont ainsi fait la démarche outre d’échanger avec le CSE et CSSCT de valider les mesures retenues auprès des Services de santé au travail.
L’Ordonnance n°2020-386 du 1er avril 2020 met en exergue le rôle central des services de santé au travail qui peuvent être amenées sur demande à accompagner les entreprises à accroître ou à adapter leur activité afin d’optimiser la prévention des risques professionnels liés au Coronavirus.
Associer les services de santé au travail permet de s’assurer que les mesures adéquates ont été prises (port de masques, gants, modalités de nettoyage des locaux etc.), d’informer les salariés sur les gestes et pratiques à adopter et peut apporter du crédit à l’égard des salariés et des représentants du personnel.
Même si ces démarches n’ont pas de caractère obligatoire, elles permettent d’avoir un avis extérieur face à cette situation inédite dans laquelle chacun doit rester humble ; de démonter une approche ouverte et constructive impliquant une plus grande adhésion des salariés, et de protéger l’entreprise en anticipant d’éventuelles critiques de ces organismes ou en cas de contentieux.
4. ETABLIR/METTRE A JOUR REGULIEREMENT LE « DUER» AVEC LE CONCOURS DES REPRESENTANTS DU PERSONNEL
Dans le cadre de l’obligation de sécurité et de protection de la santé, il incombe à tout employeur de procéder à une évaluation des risques professionnels. Les résultats de cette évaluation doivent être retranscrits dans le Document Unique d’Evaluation des Risques (« DUER ») (C. trav. Art. L. 4121-3 et R. 4121-1).
La Direction Générale du Travail (DGT) préconise la mise à jour régulière par l’employeur du DUER, même si elle laisse un délai pour formaliser l’évaluation ou la réévaluation des risques dans le DUER, la priorité étant biensûr donnée de manière pragmatique à la mise en place de ces mesures.
- Analyse des risques inhérents au Covid-19
L’analyse doit concerner aussi bien les risques (i) sur la santé physique, que (ii) sur la santé mentale des salariés (risques psychosociaux (RPS)).
Le TJ de Nanterre a notamment reproché à Amazon de ne pas avoir évalué les risques psychosociaux et de ne pas avoir suffisamment évaluer certains risques physiques (liés à la manipulation des colis, à l’entrée des salariés sur le site par un portique tournant ; l’utilisation des vestiaires, etc.).
Les RPS doivent en effet ne pas être négligés. Ils sont générés par : la réorganisation du travail (postes de travail, horaires, organisation des équipes, etc.) ; la surveillance quant au respect des règles de distanciation ; le contrôle de température à l’entrée du site, etc. ; inquiétudes générées auprès des salariés par rapport au risque de contamination au sein de l’entreprise ; les influences externes (médiatique et familial) présentant un caractère anxiogène (conduisant parfois à un fort absentéisme), etc.
- Mise en place des mesures et élaboration de la DUER
Une fois ces risques déterminés, il convient de mettre en place des mesures adéquates notamment pour limiter au maximum les interactions sociales directes et indirectes. Parmi les mesures adoptées on retrouve par exemple :
- L’adaptation des horaires de travail (ex. réorganisation en 7/3 au lieu des 3/8 pour éviter que les équipes ne se croisent) ;
- La limitation de l’accès aux espaces collectifs (cafétéria vestiaires, lieu de pause, etc.) ;
- La mise en place de marqueurs pour respecter les règles de distanciation sociale ;
- Mise à disposition de masques et de solution hydroalcoolique.
L'actualisation du DUER doit être faite conjointement avec les représentants du personnel et éventuellement les salariés. La contribution de ces derniers peut aider à identifier les situations à risque au quotidien et la faisabilité réelle des actions envisagées.
Le DUER est un outil primordial d’information des salariés. Dans l’ordonnance La Poste, le TJ de Paris constate que, même s’il existe d’autres documents d’information (notes de services, Questions et réponses Q&A, etc), ils ne peuvent se substituer à la DUER. Le TJ lui rappelle ainsi son « obligation spécifique d’élaboration d’un DUER ».
Il faut aussi souligner qu’il est nécessaire de mettre en place et d’actualiser les plans de prévention lorsqu’il est fait appel à des entreprises extérieures. Les juges ont fait le reproche à Amazon de ne pas le prévoir.
5. FORMER LES SALARIES AUX MOYENS DE PREVENTION et EN METTRE EN PLACE UN CONTRÔLE REGULIER ET DOCUMENTE
Les juges ont par ailleurs reproché à Amazon de ne pas avoir répondu à la mise en demeure de l’Inspection du travail de justifier de formations du personnel suffisantes et adaptées sur les mesures de préventions mises en place dans le cadre du Covid-19 (sur l’emploi des gants, la distanciation, etc.) notamment du personnel intérimaire et nouvellement entré dans l’entreprise.
Il convient donc d’être vigilent sur ce point et de conserver la preuve des actions menées en ce sens.
En outre, il est recommandé de mettre en place un contrôle régulier de la mise en œuvre et de la bonne application de ces mesures et, bien entendu, de le documenter.
6. METTRE EN PLACE UNE PROCEDURE EN CAS DE CONTAMINATION D’UN SALARIE
L’employeur doit veiller à protéger tous les salariés présentant ou non des symptômes du coronavirus. A ce titre, il est nécessaire de prévoir une procédure en cas de contamination (ou de suspicion) d’un salarié pour son identification, déterminer les personnes avec qui le salarié infecté a pu être en contact, la mise en quarantaine, etc.
Dans l’ordonnance Amazon, les juges ont ainsi en outre validé la procédure mise en place en cas de contamination d’un salarié (échanges quotidiens d’informations entre les services sécurité, support et de prévention, interrogations du salarié concerné et des collègues, analyse des informations relatives à ses horaires de travail et ses activités par les enregistrements de vidéosurveillance, mise en quarantaine des salariés identifiés…).
***
Ces deux ordonnances, premières à intervenir dans le contexte du Covid-19, concernant des entreprises qui ont eu des approches très différentes pour adapter la poursuite de leurs activités face à cette situation inédite, sont riches d’enseignement sur les attentes de l’Administration et des juges relatives à la mise en œuvre de mesures pour limiter la propagation du virus.
Les retours d’expérience que nous avons de la part de nos clients confirment ces conclusions sur les bonnes pratiques à adopter.
Le Premier ministre a clairement indiqué dans son allocution du 19 avril dernier que le déconfinement qui devrait commencer le 11 mai prochain ne se fera que de manière progressive et, qu’en tout état de cause, il ne s’agira pas d’un retour complet à la normale. Ainsi, les règles que nous venons d’énoncer devront probablement continuer à être suivies. La portée de ces jurisprudences sera donc prolongée au-delà du déconfinement.
Nous restons à votre disposition pour toute question complémentaire et pour vous accompagner dans la mise en place de ces mesures.
Notes :
1- Questions / Réponses pour les entreprises et les salariés diffusé par le Ministère du travail mis à jour au 16 avril 2020 -Décret n°2020 – 293 du 23 mars 2020
2- Le TJ rappelle que : les articles L. 4121-3 et R. 4121-1 à 4 du C. du travail précisent une obligation de l’employeur d’évaluer les risques pour la santé et la sécurité des salariés et de transcrire dans un document unique ; la Circulaire du DRT 2002-6 du 18 avril 2002 précise que les représentants des salariés doivent être associés ; et que le CSE a pour mission de promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise et doit être consulté en cas de modification importante de l’organisation du travail 3- Pour ces deux dernières possibilités, le Décret 2020 – 419 du 10 avril 2020 est venu en préciser les modalités d’organisation.
4- Les services de santé au travail ont pour mission d’éviter toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail (C. trav. art. L 4622-2).
5- Q/R Entreprises et salariés du Ministère du Travail ; Note de la DGT du 30 mars 2020