« Le chômage partiel est inadapté à de nombreuses sociétés »
Valérie Blandeau, associée responsable de la pratique Droit social de Pinsent Masons France, retrace la mise en œuvre délicate du chômage partiel dans les entreprises au regard de textes publiés de manière séquencée.
Comment s’est passée la mise en place du chômage partiel ?
Mesure phare, la mise en place du chômage partiel a constitué l’une des premières annonces du gouvernement et des démarches effectuées par les entreprises. Son instauration n’a pas été évidente au début, en raison du décalage temporel entre les annonces effectuées par le gouvernement, c’est-à-dire les mesures qui allaient être prochainement mises en place, et les textes qui arrivaient au compte-gouttes et de manière séquencée. Par exemple, le 17 avril, les ministères de la Santé et du Travail ont annoncé que les salariés de droit privé en arrêt de travail pour garde d’enfant ou pour vulnérabilité particulière face au coronavirus, c’est-à-dire les personnes souffrant notamment d’une maladie chronique ou de faiblesses respiratoires, basculeraient dès le 1er mai dans le dispositif de chômage partiel. Si cette mesure constituera prochainement la norme applicable, il ne s’agit aujourd’hui que d’une annonce gouvernementale qui n’est pas applicable en l’état. Il serait souhaitable que les règles soient édictées concomitamment aux annonces pour éviter tous risques de confusion.
Les ordonnances ont-elles été bien interprétées ?
Au-delà de leur parution au compte-gouttes, ces ordonnances sont relativement accessibles par rapport à la technicité des textes que l’on connaît habituellement en droit du travail. Toutefois, même si la crise est évolutive et qu’il est donc normal que la législation le soit également, il serait souhaitable d’arrêter de légiférer et de s’en tenir au corpus de textes dont nous disposons, afin de ne pas le complexifier sauf pour une nouvelle mesure qui pourrait devenir nécessaire. Même si le gouvernement et les différents ministères effectuent régulièrement des mises à jour de leurs sites internet, il reste parfois difficile de suivre des mesures pouvant changer du jour au lendemain. Nous devons rester vigilants, même si les changements sont moins fréquents qu’il y a quelques semaines.
Par ailleurs, la difficulté principale demeure le changement de régime. Comment je fais, si je suis un salarié en chômage partiel et que je tombe malade, ou inversement ? Il serait souhaitable d’obtenir une explication du gouvernement, sur la manière de passer d’un statut à un autre, compte tenu des évolutions législatives dues à la crise du Covid-19.
Quelles sont les points de vigilance dans l’instauration du chômage partiel ?
Il y a eu un engouement, presque symptomatique, des entreprises, pour le régime du chômage partiel revu à l’aune de la crise du Covid-19. Nous avions l’impression qu’elles allaient toutes le mettre en place immédiatement. Pour autant, le chômage partiel demeure inadapté à de nombreuses sociétés car, même si nous traversons une crise sanitaire, la baisse d’activité n’est pas évidente à constater pour toutes celles qui demandent son instauration.
Lorsque les entreprises instauraient du chômage partiel avant la pandémie, elles étaient tenues de compléter un dossier comportant une note économique, correspondant à une sorte de business plan expliquant la raison pour laquelle elles avaient besoin d’y recourir et pour quelle durée. Il pouvait s’agir, par exemple, d’une baisse de commandes liée à un événement exceptionnel, d’une détérioration des outils de travail, ou encore par exemple en raison de travaux impérieux. L’administration effectuait un contrôle a priori et le chômage partiel pouvait être mis en place à la suite de son accord. Depuis la crise sanitaire, nous nous trouvons dans la situation inverse : puisqu’il s’agit d’un régime particulier et dérogatoire, l’administration va donner son accord de manière quasi systématique - la procédure est d’ailleurs assez simple, disponible sur internet et l’acceptation tacite a lieu sous deux jours en règle générale - et n’effectuera de contrôle qu’a posteriori. Les sociétés doivent donc être conscientes de l’importance de bien calculer l’impact réel et pas seulement éventuel des effets de la crise sur leur activité, ainsi que leurs besoins (chômage partiel total ou seulement quelques heures en moins ?). Il ne faudrait pas se retrouver dans une situation où elles n’arriveraient plus à poursuivre leur activité en raison d’une réduction de personnel trop importante. L’administration a en effet indiqué que des contrôles seraient effectués avec des sanctions assez importantes.
Le dernier point de vigilance correspond à la compatibilité du télétravail et du chômage partiel non total - à la différence du chômage partiel total, ce dernier correspond à une réduction partielle du temps de travail des salariés lorsque l’entreprise n’a pas suspendu toutes ses activités. En effet, il est plus complexe pour l’entreprise de monitorer des télétravailleurs n’exerçant plus qu’à temps partiel, plutôt que des salariés travaillant sur des sites industriels pendant la même durée. Avant la crise, le chômage partiel était un système pansement temporaire, lié à des problèmes d’activité identifiés dans le temps. Il était très peu utilisé en dehors de l’industrie. Désormais, il a été étendu à des populations dont le travail est beaucoup plus difficile à monitorer, a fortiori s’il est effectué à distance. Ainsi, il convient d’instaurer un système qui consiste à ne monitorer qu’une partie du temps de travail des salariés puisque l’autre est censée ne pas être travaillée.