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La délicate question des échanges d’informations dans les opérations de M&A

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires Magazine n°57 - Novembre / Décembre 2018
Table ronde animée par Lucy Letellier, Ondine Delaunay et Aurélie Gervais.
Reportage photographique : Nora Hougenad

En novembre 2016, l’Autorité de la concurrence sanctionnait Altice Luxembourg (Numericable) et SFR Group d’une amende record de 80 millions d’euros pour Gun jumping. Elle reprochait aux groupes d’avoir anticipé la réalisation de deux opérations d’acquisition en prenant part, notamment, à certaines décisions stratégiques pour la cible. Si la place a convenu qu’il s’agissait surtout de cas d’espèces, ils ont tout de même permis au gendarme français de poser un certain nombre de principes. Comment doit-on les comprendre ? Sont-ils un frein au business ? Et plus globalement, comment éviter les risques dans une opération d’acquisition ?

Photo : De gauche à droite : Jacques-Philippe Gunther, associé, cabinet Latham & Watkins ; Jacques Deege, director of legal affairs, Lazard Frères ; Sophie Javary, head of corporate finance Europe Middle East and Africa, BNP Paribas ; Gabriel Lluch, general counsel competition and regulation, Orange ; Mélanie Thill-Tayara, associée, cabinet Dechert ; Alexandre Menais, EVP M&A Strategy and Corporate and general secretary, Atos.

Quelles sont les positions des différentes autorités sur la pratique du Gun jumping ?

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Mélanie Thill-Tayara : Les décisions d’Altice ont emporté une vive émotion dans la communauté d’affaires car elles édictaient, notamment la décision française puisque par la suite il y a eu une décision de la Commission européenne concernant le rachat de PT Portugal avec une autre amende importante, quelques principes qui ont semé le doute. S’il est incontestable que ces affaires doivent être considérées comme des cas d’espèces, dans la mesure où les faits reprochés étaient inhabituels, certaines affirmations érigées en principes restent perturbantes. Par exemple, durant la phase de due diligence, il a été indiqué que les Clean teams ne devaient comporter aucun salarié de l’entreprise acquéreuse, voire des deux entreprises dans le cas de joint-ventures. Un tel principe rend évidemment le process d’acquisition extrêmement complexe s’il est suivi à la lettre. La présidente de Silva, face à une certaine levée de tollé de la communauté des affaires, a nuancé cet été l’approche retenue en publiant un article de clarification dans lequel elle admet que ce principe va un peu loin et qu’il n’est pas concevable que des salariés du département juridique ou M&A soient exclus du process de due diligence. Mais, quelque part, le mal est fait. Il n’est en effet pas rare désormais de voir une cible refuser que les salariés de l’acquéreur participent aux Clean teams. Il n’y a donc que les experts externes – auditeurs, conseil en entreprise, avocats, comptables – qui ont accès aux informations dites sensibles, cette qualification étant d’interprétation variable selon les entreprises. Il est pourtant indispensable que les salariés de l’entreprise puissent savoir sur quoi porte le projet d’acquisition. Et sans avoir accès aux Clean teams, c’est extrêmement difficile.

Notons d’ailleurs que dans la décision Altice-Portugal Telecom de la Commission européenne, cette limite à la composition des Clean teams n’a pas été retenue.

Jacques-Philippe Gunther : Je crois que ces opérations d’Altice étaient le mauvais cas pour envoyer un signal à la communauté du M&A. Il s’agissait en effet typiquement de faits caricaturaux et ériger ces décisions en standard de référence européen était, selon moi, inadapté. Ces deux décisions auraient d’ailleurs dû entrer dans une analyse fondée, non pas sur le Gun jumping, mais plutôt sur l’entente. Les faits démontrent en effet que les sociétés sont allées bien au-delà de ce que l’on peut faire entre concurrents.

La lecture de l’article de la présidente de Silva permet de conclure que la position française s’aligne finalement sur le test américain du « but for », selon lequel si la société n’a aucune autre raison que la concentration pour faire une action, c’est qu’elle est dans un cadre de Gun jumping. Par exemple, si une cible utilise un contrat avec l’acquéreur, entre le signing et le closing, auquel elle n’aurait pas eu recours en l’absence de la concentration, cette utilisation sera considérée, aux États-Unis, comme un cas de Gun jumping. Donc, en ayant retenu le cas Altice comme l’étalon de la position française et communautaire, on s’est aligné sur la conception américaine du « but for ».

Si le gendarme français considère comme non-indépendants les juristes internes de la société acquéreuse, la position communautaire est sur ce point un peu plus souple. La CJUE, dans un arrêt du 31 mai 2018 « Ernst & Young P/S contre Konkurrencerådet », va bien moins loin que la conception française puisque le test qui est utilisé consiste à considérer le Gun jumping que si l’acte incriminé traduit l’exercice d’un contrôle anticipé sur la cible. Dans le cas contraire, il n’y a aucune raison de ne pas l’accepter, dans la mesure où une opération de concentration doit être préparée en amont, avec les précautions habituelles.

Mélanie Thill Tayara : Cette décision « Ernst & Young P/S contre Konkurrencerådet » donne de l’espoir car elle est bien plus raisonnable, mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’une réponse par la Cour de justice à Luxembourg à une question préjudicielle posée par une juridiction danoise et que la Cour était donc quelque peu liée par la question posée. Il faut donc veiller, je crois, à éviter de faire dire à cet arrêt plus que ce qui est écrit, même si ce qui est écrit va totalement dans le bon sens.

Jacques-Philippe Gunther : La décision était tout de même particulièrement bien motivée. Les conclusions de l’avocat général, Nils Wahl, étaient très détaillées. Or la position danoise était la même que celle de Commission européenne. Notons d’ailleurs que Nils Wahl et Carles Esteva Mosso, lui-même directeur politique et stratégie à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, perçoivent une différence dans leurs approches. La CJUE refuse d’entrer dans les extrêmes et la Commission réclame le maximum de prudence si les parties venaient à se fonder sur cette jurisprudence.

Comment les entreprises doivent-elles réagir

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Alexandre Menais : Tout d’abord même si je partage ce qui vient d’être évoqué précédemment, il faut aussi saluer le courage de l’Autorité de s’être emparée de ce sujet car cela a eu le mérite de forcer tout un écosystème à revisiter un peu ses pratiques, ce qui n’est jamais mauvais. En revanche, faut-il encore que les questions soulevées aient des solutions et que ces dernières ne soient pas contre-productives pour les entreprises, voire même pour le marché français. Il faut aussi rappeler que la pertinence de ce sujet va varier selon la nature de l’opération. Dans le cadre d’une opération boursière, les informations transmises sont, par principe, très limitées… En revanche, pour des opérations qui seraient hors marché, l’impact ne sera pas le même dans la mesure où les négociations qui ont lieu avant le signing structurent souvent la transaction et ce que l’on va pouvoir demander en termes d’accès à l’information entre le signing et le closing.

Car c’est bien cette période qui est la plus impactée par la décision de l’Autorité. Or comme on le sait, elle est déterminante car elle permet de vérifier les hypothèses émises par l’acheteur et parfois aboutir à une non-conclusion de la transaction. Aussi le surcroît de règles pendant cette phase ne doit pas entraîner une réaction de protection et de recul chez de nombreux vendeurs et acheteurs car cela serait préjudiciable au bon déroulement des transactions.

Gabriel Lluch : Entre le dossier Altice de 2016 et celui d’Ernst & Young de 2018, il y a eu quatre décisions qui ont donné des signaux différents. Elles ont provoqué des réflexes sur-prudentiels de la part des acheteurs comme des vendeurs, car les entreprises ont néanmoins dû continuer à réaliser des opérations, en dépit de cet environnement incertain. Ajoutons en outre que si la décision de 2016 est survenue dans un paysage qui était vierge au niveau jurisprudentiel, tel n’était pas le cas au niveau organisationnel au sein des entreprises. Celles-ci avaient déjà une pratique, pour certaines sophistiquée, en termes d’organisation : des Clean teams étaient déjà constituées, les mécanismes de protection des informations sensibles existaient aussi.

Les décisions françaises ont posé des principes mais en cherchant le plus petit dénominateur commun et en oubliant que la plupart des entreprises étaient déjà dotées de règles internes efficaces. Le risque est que l’entreprise choisisse, elle aussi, le plus petit dénominateur commun qui ne permettra pas de faire de business.

La première décision laissait par exemple penser qu’aucun opérationnel ne pouvait participer aux opérations d’acquisition. Or aucun groupe ne s’engagera dans une opération valorisée de plusieurs milliards d’euros s’il n’y a pas de sachant pour analyser le business de la cible. En outre, il existe un risque par rapport à l’analyse que les autorités de la concurrence feront d’une opération puisque l’entreprise ne sera pas capable d’évaluer la valeur de la société lui permettant de proposer des éventuels remèdes et d’évaluer leur impact. La conduite de ces opérations reste de la responsabilité des entreprises. Elles doivent se re-légitimiser en interne pour expliquer que ce qu’elles faisaient jusqu’à présent n’était pas si éloigné de ce que les autorités réclament. L’article de la présidente de Silva a permis de faire redescendre une bonne partie de la pression, mais les bases doivent être reposées sereinement après ces deux ans.

Sophie Javary : Ces décisions de 2016 sanctionnaient des comportements qui étaient loin de ce qui constitue les bonnes pratiques de marché. Les boards sont très attentifs au fait que les due diligences soient menés de manière à limiter le nombre d’informations transmises. Ce niveau d’exigence couvre tous les champs de l’entreprise : qu’ils soient opérationnels ou RH en passant par la cybersécurité. L’un des enjeux principaux est la durée des approbations des autorités de concurrence.

Nos clients ont à vivre des périodes extrêmement longues entre le signing et le closing. Nous conseillons notamment Siemens sur l’opération avec Alstom, le timing de ce dossier est extrêmement long pour une opération stratégique dans une industrie majeure.

Cette complexité est sans commune mesure avec ce qu’elle était il y a cinq ans, en partie parce que les entreprises se sont mondialisées et que des autorités de la concurrence se sont constituées dans la plupart des pays. En ce qui concerne les dossiers industriels pour lesquels les clients savent qu’ils rentreront dans une restructuration dure, avec des choix de sites industriels ou de présence dans les pays, cette lenteur des processus d’autorisation fait partie des risques à anticiper.

Comment constituer une Clean team ?

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Sophie Javary : Dans ce contexte mondialisé, nous recommandons des Clean teams qui comptent de plus en plus de tiers extérieurs. On voit d’ailleurs de plus en plus de consultants en stratégie dans les dossiers de ce type. Les avocats devraient également monter en puissance sur la façon de constituer les Clean teams. Le rôle des banquiers d’affaires est d’apporter aux clients une expérience accumulée sur d’autres process, voire de répliquer les bonnes pratiques d’un secteur sur un autre.

Mélanie Thill Tayara : Je constate, en pratique, un peu un manque d’expérience des Clean teams, notamment chez les différents consultants. Les documents que les consultants en stratégie sont ainsi prêts à délivrer aux entreprises contiennent fréquemment des éléments qui ne devraient pas sortir du Clean team. Il y a un travail de formation et pédagogie à faire. C’est malheureux car l’avocat est contraint à un rôle de censeur, mais quand il y a une granularité importante de l’information cela pose de vrais sujets. Donc l’intervention de consultants n’est pas nécessairement meilleure que celle des salariés de l’entreprise qui, eux, vont être plus sensibles à l’information recueillie.

Gabriel Lluch : Elle peut même être moins efficace ! Pour constituer une Clean team, les membres de la direction juridique sont les mieux placés pour déterminer si quelqu’un est ou non dans le day to day. Le consultant, par nature, connaît moins bien le fonctionnement de l’entreprise et la profondeur des informations. On ne peut pas évacuer par principe des profils qui seraient nécessaires à la compréhension du deal M&A, et qui restent compatibles avec les règles de concurrence.

La frontière est, certes, complexe, mais la Clean team doit être composée de sachants, qui ne doivent pas être impliqués dans la stratégie commerciale et se retrouveraient avec des informations problématiques si le deal ne se fait pas.

Alexandre Menais : Comment réagir dans des cas « disinvestment » ? C’est à devenir schizophrénique !

Jacques Deege : Le chef d’orchestre de la Clean team est sans aucun doute la société. C’est elle qui connaît le business. Les conseils financiers et les avocats vont travailler main dans la main pour éclairer le client au regard de leurs expériences passées. Depuis deux ans, on voit apparaître une sorte de formalisation du processus de due diligence avec par exemple des périodes assez longues de négociations des contrats de Clean teams. Ces contrats soulèvent des questions très pratiques pour les conseils qui sont censés faire remonter l’information : dans quelle granularité, sous quelle forme, selon quel agrégat ? À qui ? La remontée d’informations tronquées ou partielles est-elle conforme aux obligations des conseils à l’égard de leurs clients ? Les décisions en question ont par ailleurs rappelé que les autorités de la concurrence, dans le cadre des phases 1 et 2, peuvent demander à revoir l’ensemble des informations et documents produits dans le cadre du processus M&A.

Dans le cadre d’opérations sur des sociétés cotées, d’autres réglementations doivent être respectées. Je pense par exemple à la réglementation AMF en matière de data-rooms qui impose de transmettre uniquement les informations strictement nécessaires à la réalisation de l’opération. Avec en arrière-plan, l’obligation pour l’émetteur, lors de la réalisation de l’opération, ou en cas d’échec de celle-ci lorsque la confidentialité ne peut plus être maintenue, de purger l’information privilégiée, c’est-à-dire de la divulguer au marché pour rétablir l’égalité d’accès à l’information. Cette réglementation a pour conséquence d’entraîner une prudence des sociétés cotées quant aux informations transmises.

Quels pièges éviter entre le signing et le closing ?

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Jacques-Philippe Gunther : Il faut d’abord bien identifier le type d’opération dont il s’agit car elles ne se traitent pas toutes sur le même modèle, notamment dans le cadre d’une offre hostile, ou dans une compétition face à un fonds d’investissement. N’oublions pas que le test utilisé par les autorités françaises est celui « d’échanges d’informations sensibles entre concurrents ». Il existe des années de jurisprudence pour définir ce qu’est une information sensible. Mon deuxième conseil est de bien former les équipes internes. Ce n’est pas parce qu’une entreprise a décidé d’acheter une cible qu’elle peut avoir accès à tous types d’informations. Les directeurs juridique et les directeurs concurrence doivent l’expliquer aux opérationnels. L’opération de concentration ne justifie pas que ce soit open bar. Enfin, il faut procéder par étapes. Chacune d’entre elles doit correspondre à un discours cohérent vis-à-vis des autorités de concurrence pour justifier pourquoi l’entreprise a eu besoin de telle ou telle information. Cette question doit être posée en face de chaque demande d’information et la réponse doit être précise et incontestable.

Il faut également savoir qui peut obtenir cette information dans sa version confidentielle, et qui pourra donner une clé de lecture à l’opérationnel qui a besoin de l’information. Plus on avance dans un processus de négociation et plus d’autres informations pourraient se révéler importantes. Il est clair qu’au moment où l’on écrit une loi, il n’est pas justifié d’avoir accès à 100 % des informations. Mais à une date ultérieure, quand il faut travailler sur l’intégration, il peut être nécessaire d’obtenir de la documentation de plus en plus fine. Au fil de la négociation, l’entreprise peut donc organiser des chantiers distincts, des petits groupes qui travailleront sur une partie de l’intégration.

Mélanie Thill Tayara : Le fait de documenter le besoin d’information est indispensable. Il permet, le jour venu, de justifier la proportionnalité entre le besoin exprimé et l’information fournie. Ce test de proportionnalité est d’ailleurs fonction du marché dans lequel les entreprises en cause évoluent. Si celui-ci est atomisé, l’information fournie n’a pas le même poids que si le marché est extrêmement concentré et où n’importe quel indice permet d’avoir une connaissance bien plus précise sur l’activité de l’entreprise. Autre sujet important qui avait été adressé par l’Autorité française, celui des covenants. À partir de quand est-il raisonnable d’exiger de la cible qu’elle demande l’autorisation préalable à l’acquéreur pour effectuer une action pendant la période intermédiaire ? Qu’est ce qui relève du day to day ou d’une décision exceptionnelle ? Là encore, tout dépend du secteur dans lequel évolue la société. C’est bien ce que rappelait d’ailleurs la présidente de Silva dans son article et c’est pourquoi il est impossible de donner un montant limite de valeur d’un contrat. La proportionnalité et le bon sens sont des déterminants fondamentaux. À cet égard, les clients demandent de plus en plus un accompagnement au quotidien à l’avocat pendant tout le process. Nous mettons quasiment en place des hot lines sur ces sujets

Sophie Javary : On peut objectiver la proportionnalité de l’information donnée et son impact par le business plan. Le travail du banquier d’affaires est de l’étayer et de valoriser la création de valeur et les synergies. Nous conseillons à nos clients d’anticiper en amont ces sujets car les calendriers de négociations peuvent être longs. Il ne faut pas perdre dix jours à constituer les équipes en interne, parce que l’entreprise est rarement seule dans ce process. Il est de notre mission de sensibiliser nos clients sur le paysage concurrentiel. Or les fonds de private equity ont, très souvent, des niveaux d’exigences moins élevés en termes de concurrence. Dès lors, les industriels sont régulièrement défavorisés dans les process, par rapport à tous ces impératifs.

Alexandre Menais : Quand l’entreprise décide de s’engager dans la voie du M&A, ce n’est pas sans conséquence. Certes, il peut y avoir une fairness opinion d’un banquier d’affaires, mais c’est tout de même le conseil d’administration qui engage sa responsabilité et, à travers lui, le management de l’entreprise et principalement le mandataire social, lorsqu’il dit devant le marché qu’un deal va générer telle ou telle synergie. Comment lui expliquer qu’il existe une incertitude sur le calcul de certaines d’entre elles lorsqu’elles représentent une partie significative de la création de valeur pour l’actionnaire ? Il faut être solide ! Et j’ajouterai un point important par rapport aux conseils de la société et aussi au board, qui démontre la limite de l’exercice : nous sommes dans des business qui sont de plus en plus verticaux, avec le besoin d’une forte expertise dans nos métiers que l’on retrouve dans toutes les industries. Or lorsqu’il faut apprécier la valeur des contrats par exemple, il n’est plus simplement question de revenu, mais de données économiques beaucoup plus complexes qui vont structurer la profitabilité d’un contrat (par exemple les engagements dans le renouvellement de certains actifs, le partage des réductions de coûts de production, les mécanismes de compensation, les benchmarks…), etc. Dès lors, il appartient à l’entreprise de former ses conseils à ces techniques et de s’inscrire désormais dans une certaine continuité avec eux. Pour autant, est-ce une bonne chose ? S’ils sont trop formés, ils ne sont plus clean…

Jacques-Philippe Gunther : La justification et la traçabilité de l’utilisation de l’information sont les deux éléments qu’il est important de pouvoir démontrer. En d’autres termes, si cette Clean team n’existe que sur le papier, se réunit sans ordre du jour, ni compte-rendu, et que l’on ne sait pas qui en fait partie, on se retrouve alors dans la situation SFR / Altice.

Rappelons en effet que des Clean teams étaient organisées dans cette affaire. Pour justifier l’accès à une information considérée comme sensible, il convient de démontrer qu’elle ne se trouvait nulle part ailleurs, qu’elle était indispensable pour formuler une offre, ou encore que n’y ont accès, que des personnes qui ne pouvaient pas l’utiliser dans le cadre de leurs démarches à l’égard d’autres clients. Il s’agit finalement d’une question de bon sens. Il faut toujours conserver des traces de la justification, mais on ne peut pas interdire l’accès à de l’information sensible comme le soutient l’Autorité de la concurrence. Cet accès peut se justifier à la condition qu’il soit indispensable pour la valorisation ou l’intégration et que les explications ayant conduit à prendre cette décision soient conservées. La traçabilité est essentielle.

Jacques Deege : Ces questions de Clean teams vont devenir de plus en plus importantes, notamment parce que les autorités de la concurrence ont tendance à revoir, non seulement les opérations qui entraînent véritablement un changement de contrôle, mais également les prises de participation à 10, 20 ou 30 % qui peuvent parfois correspondre à un contrôle de fait. Les autorités brésiliennes, par exemple, commencent à regarder les opérations avec un seuil extrêmement bas. On assiste, par ailleurs, au niveau mondial, à un élargissement de la réglementation applicable aux investissements étrangers. Ceci est le cas en Allemagne, au UK et aux US, et aussi en France au travers de la loi Pacte. La situation devient ainsi extrêmement complexe pour un acquéreur qui est tenu de savoir s’il va, ou non, acquérir des cibles potentiellement stratégiques. Ceci suppose une connaissance du business, des chiffres d’affaires et des parts de marché, en vue de proposer à l’autorité étatique des mesures correctives permettant de concilier la réalisation de l’opération avec les intérêts stratégiques de l’État, les contraintes des autorités de la concurrence, voire également les règles des diverses autorités de marché. Rappelons à ce propos que les définitions d’une information confidentielle, d’une information privilégiée ou d’une information sensible ne se recoupent pas.

Comment réagir en cas d’échec de l’opération ?

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Gabriel Lluch : Les opérations de M&A qui aboutissent correspondent à la phase visible de l’iceberg. De nombreuses autres échouent parce qu’elles ne faisaient pas de sens économiquement, ou parce que les remèdes demandés par les autorités étaient trop élevés. Que s’est-il ensuite passé ? Les entreprises redeviennent concurrentes. Il convient donc de toujours se trouver dans une situation où, malgré ce qui a été échangé, on est capable de dire que le marché va continuer à fonctionner en respectant une concurrence par les mérites. J’ajoute qu’il est tout à fait possible, même si c’est rare, qu’un deal échoue après avoir obtenu une autorisation de l’Autorité de la concurrence. Si les parties conviennent, après l’autorisation de l’Autorité, de se révéler tous les documents relatifs à la cible, un problème concurrentiel peut se poser si le deal n’aboutit pas à un closing.

Alexandre Menais : Effectivement, le nombre de dossiers étudiés est considérable au regard du nombre de deals qui aboutissent… Il est essentiel que l’opération créé de la valeur. Une récente étude démontre bien ce phénomène. Elle établit ainsi, en prenant en compte l’EPS (Earning Per Share) d’émetteurs, que la destruction de valeur générée par l’ensemble des opérations de M&A réalisées depuis ces deux dernières années est telle qu’il est souvent presque plus rentable pour l’actionnaire de laisser dormir son argent à la banque (le fameux WAAC). Si de nombreuses opérations de M&A ont créé de la valeur, d’autres en ont effectivement énormément détruite. C’est pour cela que le succès d’une opération va dépendre de la qualité de l’equity story bâtie par l’acheteur et le vendeur mais aussi de la qualité de l’intégration, d’où la nécessité que ces phases soient les plus éclairées possible ! Si ces conditions ne sont pas réunies, il vaut mieux ne pas faire l’opération. En cas d’échec, il faut savoir parler à ses actionnaires, à ses partenaires et bien entendu à ses salariés pour expliquer ce qui a pu se passer, car les opérations de croissance externe sont par construction déstabilisantes et entraînent une déconcentration chez l’acheteur mais encore plus chez le vendeur. Souvent après les opérations qui n’aboutissent pas, les deux parties peinent à rebondir et parfois des « prédateurs » en profitent. Après l’échec de notre offre sur Gemalto, nous avons pu rebondir par deux acquisitions encore plus structurantes pour le groupe (Six Payment et Syntel) et pour des valeurs d’entreprises supérieures.

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Sophie Javary : Les marchés boursiers sont effectivement très réactifs. Ce phénomène est d’ailleurs plus particulièrement marqué lorsqu’il s’agit d’annonces de résultats ou d’opérations, qui donnent lieu à des niveaux de volatilité jamais éprouvés auparavant. Il est également lié au fait que, dans leur ensemble, les marchés sont gouvernés par des algorithmes. J’ajoute par ailleurs que les boards ne souhaitent plus seulement se limiter au rôle de chambres d’enregistrement. Les décisions rendues par les différentes autorités de concurrence vont les pousser à s’emparer du sujet et ainsi à être capables d’être plus incisifs sur les présentations faites par le management et de challenger leurs décisions. La gouvernance évolue et s’intensifie avec de plus en plus d’indépendants et de comités ad hoc. Les banquiers d’affaires ont un rôle à jouer notamment en assistant le board dans la présentation des dossiers de M&A, en structurant la présentation et en anticipant les questions qui lui seront posées.

Jacques Deege : Nous sommes passés de l’analyse de l’information qui est transmise dans le cadre d’une opération, à l’information privilégiée que constitue l’opération en tant que telle. L’activisme est aujourd’hui une réalité qui impacte la gouvernance des sociétés cotées. Lors de mise en œuvre d’opérations de M&A ou d’arrêt d’opérations, les boards sont davantage scrutés et leurs décisions disséquées. À terme, le régime de la responsabilité de l’administrateur pourrait également se voir profondément modifié en raison de cette vigilance croissante. Peut-être nous rapprocherons-nous des États-Unis où les administrateurs sont régulièrement mis en cause et leur responsabilité individuelle engagée. L’AMF demande aujourd’hui aux boards, dans le cadre de cessions voire d’acquisitions significatives, de pouvoir documenter et justifier les décisions afin de démontrer que celles-ci ont été prises de manière informée et dans une totale indépendance, notamment grâce à la mise en place de comités d’administrateurs indépendants ou de remises de Fairness opinions. Il est essentiel de pouvoir démontrer que l’information fournie aux actionnaires est précise, sincère et exacte.

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