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Arbitrage international : les règles de Prague, un an après

Par Ondine Delaunay, Lucy Letellier et Aurélia Granel / Reportage photographique : Stéphanie Trouvé

Les règles de Prague ont été publiées le 14 décembre 2018. Présentées comme une alternative aux règles de l’IBA, leur objectif est précisé dans le préambule : « Fournir une cadre et/ou des recommandations aux tribunaux arbitraux et aux parties sur la manière de renforcer l’efficacité de l’arbitrage en encourageant un rôle plus actif des tribunaux arbitraux dans la gestion des procédures. » Mais, avec désormais un an de recul, constituent-elles véritablement une alternative intéressante ? Dans quels cas sont-elles préférées à celles de l’IBA ?

Avec : Alexis Mourre, Avocat, Arbitre indépendant, Président de la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI, Marc Henry, Avocat associé, FTMS, Shaparak Saleh, Avocat associé, Teynier Pic, Hervé Chambon, Head of Dispute Resolution Practice, Vinci Construction Grands Projets, Eduardo Silva Romero, Avocat associé, Dechert, Andrew Derksen, General Counsel, Faurecia Interior Systems. Absent de la photo : Thomas Cassuto, conseiller, Cour d’appel de Paris.

La philosophie des règles de Prague

Marc Henry, Avocat associé, FTMS : Les règles de Prague sont essentiellement une initiative de juristes issus de pays de l’Est dont les travaux ont débuté en 2015. Ils sont partis du constat que l’essentiel des pays du monde relève de traditions civilistes et ils en ont déduit qu’il serait intéressant pour eux de pouvoir bénéficier d’un règlement de nature purement civiliste. Le premier projet date de la fin de l’année 2017, une deuxième version a vu le jour en 2018 et la troisième a finalement été adoptée en décembre 2018.

Le projet initial était intitulé « inquisitorial rules on the taking of evidence in international arbitration ». Par « inquisitoire », il s’inscrivait dans une démarche réactionnaire face aux règles de l’IBA, alors considérées comme accusatoires. Rappelons néanmoins que les règles utilisées en arbitrage international ne sont pas des règles de common law mais de compromis. Les rédacteurs s’en sont d’ailleurs rendu compte et sont passés d’un système concentré sur la recherche de preuves, à des règles couvrant l’intégralité de la procédure, abandonnant ainsi ce positionnement en réaction aux règles de l’IBA. L’essence des règles de Prague est aujourd’hui de se réapproprier une réflexion de soft law et d’y contribuer par des règles de procédure, de nature civiliste, couvrant la totalité de la procédure arbitrale.

Eduardo Silva Romero, Avocat associé, Dechert : J’étais président du comité d’arbitrage de l’IBA lors de la publication des règles de Prague. Dans la préface, les auteurs faisaient, selon moi, une référence injuste aux règles de l’IBA en indiquant qu’elles ne constituaient qu’une manifestation anglo-saxonne de la conception de l’arbitrage et en recommandant qu’elles ne soient utilisées que dans le cas d’arbitrages très coûteux et complexes, mais non pour des petits arbitrages. Après avoir échangé à cette époque avec Vladimir Khvalei, le leader de cette initiative, ces mentions ont été supprimées et les règles de Prague sont dorénavant présentées comme une directive pour que les arbitres soient plus interventionnistes dans les procédures d’arbitrage.

Alexis Mourre, Avocat, Arbitre indépendant, Président de la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI : Je voudrais faire une observation d’ordre général. Lorsque l’IBA a adopté ses règles sur la preuve, comme celles sur les conflits et celles sur la représentation des parties, elle l’a fait sur la base d’une ample consultation de la communauté de l’arbitrage, des institutions et des praticiens. La rédaction a été confiée, de manière complètement transparente, à un groupe de travail représentatif, et le texte a ensuite été adopté par le conseil de l’IBA, qui est composé de plus de 160 barreaux et organisations professionnelles représentatives de la profession juridique. Ce processus assurait la représentativité et la légitimité du texte. Tel n’a pas été le cas des règles de Prague, qui ont été élaborées par un groupe de travail dont on ne sait pas très bien comment il a été composé, et sans aucune consultation des institutions et de la communauté de l’arbitrage. C’est un problème sérieux.

Marc Henry : Les représentants de common law sont ultra-minoritaires dans la constitution des comités de rédaction des règles de l’IBA. Elles ne sont donc pas un texte de common law. En revanche, il faut reconnaître que la manière dont elles sont appliquées aujourd’hui est plus d’inspiration anglo-saxonne.

Eduardo Silva Romero : L’un des buts de l’arbitrage international en France a toujours été de créer un système autonome, indépendant. Or, je pense que le même but a toujours été poursuivi par l’IBA. Ce n’est pas de créer un système de procédure qui soit de common law ou de civil law, ni même un compromis. L’objectif est de créer autre chose, c’est-à-dire un système pour l’arbitrage international. De ce point de vue, je trouve que les règles de Prague sont finalement contraires à cet esprit.

Alexis Mourre : Je suis totalement d’accord. Ces règles sont l’expression d’un phénomène régressif. L’arbitrage a toujours progressé avec l’ambition d’assurer plus d’harmonisation et de parvenir à des règles procédurales qui soient communes à différentes traditions juridiques. L’idée des auteurs des règles de Prague est au contraire de revenir aux particularismes locaux, ce qui ne peut que compliquer les choses et rendre l’arbitrage moins prévisible. On voit d’ailleurs apparaître ici et là, heureusement de façon limitée, des discussions procédurales sur la question de savoir s’il faut se référer à telles règles plutôt qu’à d’autres, ce qui est en définitive une perte de temps.

Shaparak Saleh, Avocat associé, Teynier Pic : Je crois qu’il est en outre inexact de dire que les règles de Prague seraient représentatives du système civiliste. À leur lecture, je n’y retrouve pas ce qui se passe devant le juge français. Les arbitres y sont incités à prendre le pouvoir de manière très active. Par exemple l’article 2.3 b autorise l’arbitre à donner son avis sur le type de preuves approprié pour démontrer la position de chacune des parties. L’interventionnisme est bien plus limité devant le juge judiciaire français, que ce soit en matière civile ou commerciale. Au contraire, l’article 146 du Code de procédure civile, interdit au juge de suppléer la lacune des parties dans l’administration de la preuve.

Thomas Cassuto, conseiller, Cour d’appel de Paris : Il n’y a pas nécessairement de confrontation entre common law et droit civil parce que, depuis une cinquantaine d’années, l’inspiration est réciproque. Il est difficile d’opposer les deux systèmes aujourd’hui. Il existe une interpénétration, notamment sous l’influence du droit européen, et chaque système n’est pas enfermé dans une philosophie processuelle mais plutôt dans la recherche du mieux.

Shaparak Saleh : On peut se demander si pour les Prague rules, l’influence n’est pas plutôt soviétique que civiliste. En application du Code de procédure soviétique, dans les années 1960, le juge œuvrait dans l’intérêt général et allait à la recherche de la preuve. Aujourd’hui, en Russie le système se rapproche plus de la procédure française qui est à mi-chemin entre l’accusatoire et l’inquisitoire.

Marc Henry : Je ne suis pas d’accord avec le fait de dire que ce sont des règles d’« inspiration soviétique ».

Thomas Cassuto : Il faut considérer cette démarche comme une volonté d’améliorer certains points des règles de l’IBA qui posent difficultés. La question processuelle est en évolution permanente. Si la stabilité est de mise sur une loi de fond, un dispositif processuel est quant à lui toujours en construction car il n’est jamais parfait. L’idée qu’il puisse y avoir une évolution me semble donc bénéfique, voire naturel.

Marc Henry : Ces Prague rules peuvent avoir comme effet vertueux d’être une réaction à la banalisation. De nous permettre de réfléchir à une alternative à la manière la plus commune d’organiser une procédure. Et sans doute, de se rapprocher un peu des traditions civilistes dans lesquelles il n’est pas rare que les magistrats expriment aux parties la manière dont ils voient les choses.

Shaparak Saleh : Je n’ai en revanche jamais vu de magistrat indiquer à une partie ce qu’il attendait d’elle pour la démonstration de son préjudice.

Thomas Cassuto : Je note, par ailleurs, une forme d’inspiration asiatique dans laquelle le juge peut s’investir dans le règlement du conflit, parce qu’un accord amiable est toujours préférable à une décision unilatérale, qu’elle soit arbitrale ou judiciaire. Certes, ce n’est pas l’esprit du texte de procédure civile, mais avec le développement de la médiation, le juge doit être en mesure d’apporter des indications sur la pertinence de recourir à la médiation, laissant entrevoir que l’une des parties est en position de faiblesse – sans pour autant signifier laquelle. À partir du moment où le juge se départit de l’administration de la procédure avant de statuer, de la mise en état et de l’audience, et se déporte pour orienter les parties vers la médiation – quel qu’en soit le résultat – il y a déjà une prise de position. Elle est sans doute moins forte que lorsqu’il donne des orientations sur l’issue de la procédure, mais je pense que c’est aussi important. Le but est que la décision finale satisfasse l’ensemble des parties.

Les faiblesses des dispositions

Hervé Chambon, Head of Dispute Resolution Practice, Vinci Construction Grands Projets : Je n’ai pas encore utilisé ces nouvelles règles. D’ailleurs personne ne me les a encore proposées depuis leur publication en décembre 2018. Cela peut se comprendre de la part des tribunaux arbitraux plutôt composés d’Anglo-saxons dont on peut penser qu’ils ont une tendance naturelle à aller vers les IBA rules. En revanche, même dans une procédure dans laquelle le panel est composé de trois civilistes, ces règles n’ont également pas été proposées. Pourquoi ? Je ne sais pas. La clause classique IBA rules a été insérée, avec la précision « as a guidance », ce qui me convient.

Ces règles de Prague me gênent sur plusieurs points. D’abord celui des témoins. Pour moi, la preuve est souvent imparfaite en matière documentaire. Les témoignages nous permettent donc de compléter et parfaire la preuve. J’ai la charge de la preuve, je suis libre de l’administrer comme je le souhaite et je n’accepte pas que le tribunal arbitral choisisse de me refuser le droit de faire venir un témoin. Le deuxième élément que j’ai noté c’est que le juge peut soulever des points de droit qui n’auraient pas été abordés par les parties. Cette disposition me gêne : le juge doit écouter puis statuer, mais il n’a pas à s’immiscer dans l’argumentaire.

Alexis Mourre : Il faut faire très attention à cette tendance qui consiste à encourager les arbitres à exercer des pouvoirs que les parties ne leur ont pas toujours conférés. L’idée que le tribunal puisse s’exprimer en cours de procédure sur des questions de fond suppose un certain nombre de garde-fous. À la CCI, nous avons vu, par exemple, plusieurs demandes de récusation fondées sur le fait que le tribunal a soudainement exprimé son avis sur des points de fond, sans aucune concertation préalable avec les parties. J’ajoute qu’il est faux de penser que les règles de l’IBA décourageraient les arbitres d’adopter une attitude proactive dans l’arbitrage. Ces règles ont d’ailleurs été révisées en 2010 précisément pour encourager les arbitres à discuter de ces questions de preuve à une étape précoce de la procédure.

Hervé Chambon : Ce que j’apprécie dans les IBA rules, c’est la possibilité de préparer les témoins. Je pense que la préparation par les conseils est importante, mais aussi par les juristes en entreprise. Or rien n’est précisé par les règles de Prague là-dessus. On ne sait pas si c’est autorisé, ni comment on peut le faire.

Enfin, dernier point qui me pose un problème, c’est la référence à la médiation. Il est possible pour un membre du panel de devenir médiateur. Mais si la médiation échoue et si les parties sont d’accord, ce même membre peut revenir dans le panel arbitral. C’est tout simplement incroyable !

Pour tous ces exemples, si on vient à me proposer les règles de Prague, j’y serai opposé.

Alexis Mourre : Cet article 9.3 auquel vous faites référence prévoit que si la médiation ne réussit pas, il y a deux possibilités : soit il y a un accord des parties pour que le médiateur reste, soit l’arbitre doit démissionner. C’est très dangereux. Il me paraît bien préférable de recommander aux arbitres de s’assurer au départ de l’accord des parties.

Hervé Chambon : Ces dispositions sont présentées comme permettant d’accélérer le processus arbitral. Mais en réalité, nous nous dirigeons vers des situations où finalement, s’il y a une démission, un tribunal arbitral devra être reconstitué.

Shaparak Saleh : Le rôle du médiateur et celui de l’arbitre sont réellement différents. On essaie de montrer à l’arbitre son plus beau visage, tandis que les parties peuvent être amenées à faire un peu plus de confessions au médiateur, afin qu’il les aide à trouver un compromis. Comment est-ce que celui qui est devenu notre confident, peut ensuite reprendre sa place de juge ? Cette dualité des rôles va nuire à l’efficacité de l’arbitrage, mais également à celle de la médiation.

Marc Henry : J’ai été critique dans ce que j’ai pu écrire sur les Prague rules. En tant que juriste français, farouche défenseur de l’indépendance de l’arbitre, cette question me paraissait poser des problèmes, notamment sur le fait qu’il semble difficile de pouvoir renoncer à des arguments de défaut d’indépendance. Pourtant, des juristes asiatiques m’ont récemment informé que c’était courant en Chine. Cela ne leur pose aucun problème car les chinois vivent mal l’échec de la médiation et recherchent avant tout la transaction. Les situations évoquées précédemment n’arrivent que très rarement. Il faut toujours se garder de nos préjugés, car ces pratiques peuvent parfaitement fonctionner dans d’autres pays.

Alexis Mourre : Lorsqu’un arbitre accepte d’intervenir comme médiateur, l’accord des parties doit être sollicité dès le départ et non après, comme il est prévu ici.

Les règles de Prague pour quel type de litiges ?

Andrew Derksen, General Counsel, Faurecia Interior Systems : De mon point de vue, la question du recours aux règles de Prague est liée au litige en question. Souvent la clause d’attribution n’est pas nécessairement bien pensée et pas adaptée aux situations. Or, il faut toujours considérer le champ stratégique du contrat en question.

Je gère actuellement un arbitrage très compliqué en Inde sur un projet de construction. Nous avons besoin d’experts et de témoignages et il est important d’avoir la possibilité de modifier notre démarche. Il convient également d’être très prudents sur le droit local et les autorisations. Les IBA rules semblent plus adaptées au cas d’espèce.

Mais je trouve que pour les petits litiges, ceux d’un montant inférieur à 10 millions d’euros, il est judicieux d’avoir des règles comme celles de Prague. Les parties perdent un peu de contrôle, mais parallèlement elles gèrent leur arbitrage plus rapidement.

Hervé Chambon : La majorité des litiges de construction traités dans notre industrie sont plus complexes techniquement et entrainent une multiplication d’experts techniques, experts de parties, peut-être même d’experts désignés par un tribunal.

Je ne souhaite pas recourir aux règles de Prague, même pour les petits litiges. Une procédure accélérée me conviendrait mieux. Le montant est moins élevé et je suis en accord avec l’idée de donner plus de pouvoir à un arbitre unique puisqu’il faut essayer d’aller vite.

Marc Henry : Ces règles n’ont pas été faites pour les très gros litiges.

Alexis Mourre : Dans ce qu’il est convenu d’appeler un « petit » litige, ce qui compte est de limiter au maximum les difficultés procédurales qui pourraient avoir pour effet de rendre l’arbitrage plus long, plus complexe, et donc plus coûteux. Dans ce type de dossier, les parties veulent savoir où elles vont, éviter les discussions inutiles sur les règles applicables et elles souhaitent un tribunal ayant une discrétion raisonnable pour appliquer les règles les plus appropriées. Le règlement d’arbitrage accéléré de la CCI prévoit en ce sens que les arbitres ont des pouvoirs renforcés pour leur permettre de rendre leur sentence en six mois. Ils peuvent décider de ne pas tenir d’audience, de ne pas admettre de productions de documents ou d’interrogatoires de témoins. Quand on a introduit ce règlement, il y a deux ans, un certain nombre de commentateurs se sont montrés sceptiques sur ce système. On voit aujourd’hui qu’il fonctionne très bien. En deux ans, près de soixante sentences ont été rendues dans le cadre de l’arbitrage accéléré CCI, dans leur très grande majorité dans les six mois, et sans incidents notables.

Shaparak Saleh : Ce qui ne me convient pas dans les Prague rules, même pour les petits litiges, c’est leur côté polymorphe. Elles confèrent du pouvoir aux arbitres – ce qui dans certains cas s’avère être une très bonne chose – mais il y a tellement d’exceptions à la règle, qu’il est impossible de savoir à quoi va ressembler chaque arbitrage. Il variera selon l’arbitre.

J’aurais préféré des règles plus claires et quelque part plus courageuses, donnant le dernier mot aux arbitres sur certains sujets. Par exemple, sur le fait de savoir si oui ou non il y aura une audience.

Le nécessaire courage des arbitres

Hervé Chambon : Ce que j’attends des arbitres, c’est le courage de dire non dès que des conseils ne se limitent pas dans leurs écrits et échangent quinze mémoires, ou demandent un report pour une mauvaise raison, voire la production de documents farfelus. Mais s’il y a moins de contradictoire, par la suite la sentence peut être sujette à un recours en annulation.

Marc Henry : Cette optique de responsabiliser les arbitres et de leur donner le courage de dire non à des demandes de productions est louable. Car il n’est pas toujours facile de dire non, lorsque vous avez des demandes de production de pièces qui contiennent des dizaines de pages. Les IBA rules demeureront sans doute essentiellement appliquées, mais l’initiative des règles de Prague vient rappeler aux arbitres que les utilisateurs attendent d’eux de faire preuve d’autorité quand elle s’avère utile pour une bonne administration de la procédure arbitrale.

Eduardo Silva Romero : À l’IBA, nous nous sommes posé cette question du courage. Finalement, la réponse à laquelle nous sommes arrivés est que, pour que les arbitres soient courageux, il faut les rassurer sur la manière dont les juges vont apprécier, lors d’un recours, les éléments d’annulation sur la base d’un manque de respect du contradictoire. Par exemple, la décision de ne pas interroger un témoin ou de refuser certains documents.

Après analyse des jurisprudences française, chinoise et américaine, nous avons constaté que toutes ces juridictions soutiennent les arbitres. Les décisions ont toujours rejeté les recours en annulation sur ce fondement. Il existe une base juridique claire et internationale qui devrait donc rassurer les arbitres.

Thomas Cassuto : Le juge sera en mesure de prendre une décision courageuse que s’il a déjà une bonne connaissance du dossier. Je pense, quoi qu’on en dise, que le juge est le mieux placé pour savoir quels sont les éléments qui vont être utiles à sa décision. En revanche, je suis d’accord avec vous, il ne doit pas sortir des éléments qui lui ont été produits. Mais si, par exemple, l’audition d’un témoin s’éternise, alors que manifestement ce n’est plus en lien avec le litige, le juge compétent et courageux sera celui capable de dire que le délai devient déraisonnable et qu’il s’estime suffisamment informé. Le juge, qui a une parfaite compréhension des problématiques juridiques et des preuves, est en mesure d’évacuer un certain nombre de questions, de soulever des points, procéduraux ou au fond, pour ainsi faire gagner du temps aux parties.

Les Prague rules apportent une certaine souplesse et ce n’est pas une mauvaise chose, à condition qu’elles soient utilisées à bon escient par un expert en procédure. Rien n’interdit de les panacher, selon l’article 1er. Cette souplesse est une chance. Et, associée à un certain pragmatisme des parties qui veulent avant tout régler le litige pour passer à autre chose, j’estime qu’elles peuvent être une opportunité intéressante. À condition bien sûr que le processus soit transparent, que les parties se soient mises d’accord dès le départ sur les règles à appliquer et que les arbitres soient suffisamment compétents pour se les approprier et pouvoir les appliquer.

Shaparak Saleh : Ce qui pourrait permettre de rassurer les arbitres et de les encourager, serait d’établir très clairement les règles du jeu, au début de la procédure, dans l’acte de mission et/ou l’ordonnance de procédure. Avec des règles très claires pour encadrer la procédure, qui auraient au préalable recueilli l’accord des parties et qu’il suffirait d’appliquer, les arbitres devraient être rassurés sur le fait que leurs décisions courageuses n’entraîneront pas la nullité de leur sentence, puisqu’elles seront conformes à la mission que leur auront conférée les parties. J’ai eu plusieurs dossiers dans lesquels les parties se sont entendues pour que soit appliqué un principe de concentration des moyens. Il a été établi que le premier mémoire serait celui dans lequel les parties joueraient cartes sur table et que les mémoires suivants se contenteraient de répondre à l’adversaire, sans que de nouveaux moyens ne soient invoqués. Dans le cas contraire, il était prévu que l’arbitre pourrait déclarer les nouveaux moyens irrecevables.

Dans les deux actes de mission où figurait cette stipulation très claire, cette dernière n’a pas été appliquée par les arbitres. Nous avons donc eu un premier mémoire qui faisait 80 pages, le deuxième qui en faisait 250 alors que ce n’était pas prévu, et les délais n’étaient pas ceux que nous avions imaginés. Concernant les frais, ceux que nous avions annoncés au client ont été difficiles à respecter. C’est toute la prévisibilité qui a été mise en cause, alors que les parties s’étaient entendues dès le départ sur les « règles du jeu » applicables à leur procédure. Mais il y a eu une réticence à les appliquer. Ce sont donc les parties qui donnent à l’arbitre les moyens d’être courageux. Mais il lui appartient aussi d’être courageux, en appliquant ce qui est écrit.

Marc Henry : Autre intérêt des règles de Prague, celui d’inciter les arbitres à s’investir tout de suite dans le dossier. C’est une tendance naturelle, dès lors qu’un calendrier procédural est établi, il s’investit dans le dossier en fonction des étapes. Or, avec ces dispositions, il s’investit dès la conférence de procédure. Sans doute est-ce trop tôt à cette étape, mais il faut reconnaître que les arbitres sont ainsi incités à travailler tout au long du dossier.

Alexis Mourre : Je crois que tout ce qui conduit à créer des incidents procéduraux et à complexifier l’arbitrage est indésirable. Or, ces règles de Prague conduiront surtout à créer du désordre et de la complexité. Quant au pouvoir de l’arbitre de donner dès le début de l’arbitrage des directives très précises sur la façon dont les parties pourront apporter la preuve de leurs prétentions, il faut faire attention. Il est bien sûr souhaitable qu’il y ait une concertation dès le début de la procédure et que le tribunal fixe autant que possible un cadre procédural clair, mais dès que l’on rentre dans des questions de fond, il faut prendre garde à l’arrogance de celui qui ne connaît pas les faits et qui croit néanmoins savoir mieux que les parties où il faut aller. Même si l’arbitre a lu les pièces dont il dispose en arrivant à la première audience, il ne sait pas tout, car il y aura des mémoires à examiner, parfois des témoins à auditionner, etc. Il ne connaît l’intégralité de l’affaire qu’à la fin. Et donc l’arbitre qui croit tout savoir et qui dit aux parties ce qu’il faut faire ou pas faire me semble dangereux. Ce syndrome de toute puissance peut avoir des conséquences très négatives. C’est une question d’expérience dans la conduite des audiences. Je ne crois pas que cet écueil puisse être évité par des règles, que ce soient celles de l’IBA ou de Prague. L’arbitre doit toujours savoir se montrer humble.

La question de la production des documents

Alexis Mourre : L’idée introduite dans les règles de Prague selon laquelle les productions de documents ne doivent être admises que de façon exceptionnelle me paraît tout à fait farfelue. Les parties savent rarement au départ si elles auront besoin de demander la production de documents. Et je ne crois pas que les règles de l’IBA soient problématiques sur ce point.

Andrew Derksen : Dans les différends d’ordre commercial, il est nécessaire de produire des documents pour établir les faits. C’est même très important.

Eduardo Silva Romero : Les arbitres reçoivent parfois 200 pages de Redfern, avec des demandes de documents. La question qu’il faut se poser est de savoir combien de fois, par le biais des productions de documents, l’arbitre a obtenu des éléments de l’autre partie qui ont fait basculer le dossier. Dans les faits, c’est rare.

Alexis Mourre : Je crois que la question n’est pas vraiment si on trouvera ou non un smoking gun, mais de savoir si les documents demandés sont utiles à l’établissement et à la compréhension des faits.

Marc Henry : Rappelons-nous que la justice étatique se rend au jour le jour sans ces milliers de documents. Et le résultat est finalement, dans sa globalité, plutôt satisfaisant.

Alexis Mourre : Soit les parties renoncent à la production de documents dès le départ, et c’est alors un pari. Mais si elles n’y renoncent pas, ne vaut-il pas mieux que cette production soit organisée dans le cadre de Redferns et à un stade défini de la procédure ? C’est de permettre aux parties de demander la production de documents à n’importe quel stade de la procédure et dans des formes différentes qui rend la vie impossible aux arbitres et perturbe l’arbitrage. Je crois d’ailleurs que la principale source de coûts et de délais n’est pas la production de pièces mais la manière dont les audiences sont organisées. C’est là qu’il y a vraiment un problème.

Shaparak Saleh : Entre le moment où j’ai commencé à exercer et aujourd’hui, la phase de production de documents s’est tout de même considérablement allongée. Et l’on se retrouve souvent, même entre avocats français, avec une cinquantaine de documents demandés. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’aspect stratégique de la manœuvre consistant à réclamer au demandeur plus de documents afin de le mettre en difficulté pour la préparation du mémoire en réplique.

Hervé Chambon : Je ne renoncerais pas, en tant qu’utilisateur, à la production de documents, car la preuve est la rançon du droit. L’article des règles de Prague prévoyant que les productions de documents doivent faire l’objet d’une décision dès la conférence de gestion, est parfaitement farfelu. L’avancée de la procédure peut en effet nous conduire à identifier des documents qui n’ont pas été produits par la partie adverse.

Marc Henry : C’est toujours le cas ! Il existe une différence entre les productions spécifiques de documents et les catégories de documents de l’IBA. Mais, je le reconnais, la disposition n’est pas bien rédigée.

Ces règles peuvent cependant provoquer une prise de conscience et peut-être inciter les parties à mieux travailler leur dossier en amont. Les encourager à venir à l’arbitrage avec un dossier qui est déjà prêt, notamment en ce qui concerne les pièces, plutôt que de jeter en pâture une demande d’arbitrage et de commencer à travailler après.

Andrew Derksen : Le développement des outils digitaux, et notamment de l’intelligence artificielle, devrait permettre de limiter ces stratégies dilatoires de production de tonnes de documents. Ils pourront demain être analysés en un clin d’œil.

Hervé Chambon : J’ai toujours considéré cette phase de production de documents comme étant dilatoire. Elle génère souvent du retard à l’arbitrage. C’est pourquoi je pense que, dès qu’un arbitre prend le temps de s’investir dans son dossier et le travaille à fond, il est en meilleure position pour refuser certains documents. Les arbitres acceptent plusieurs procédures, comme arbitre, comme conseil, comme membre de dispute board, etc., et ils n’ont plus de temps pour s’investir dans tous les dossiers. J’ai remarqué la tendance des femmes à moins se laisser déborder que les hommes. Il n’est pas rare qu’elles refusent les dossiers parce qu’elles considèrent qu’elles en ont suffisamment et estiment que ce serait une erreur d’accepter la mission. À l’inverse, beaucoup d’hommes n’appréhendent pas ce problème et prennent tous les dossiers. J’ai donc aujourd’hui tendance à préférer la désignation de femmes comme arbitres. 

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